Le Relativisme Postmodern

« Tout est relatif », dit-on, et avec cette phrase on invalide toute remarque jugée excessive. Ce qui est bien ou mauvais se réside dans ce que la société concernée autorise ou sanctionne. Ecartant les jugements moraux, le relativisme proclame la tolérance et l’égalité. Tout se vaut. Les sociétés primitives et les sociétés avancées sont équivalentes. Toutes les cultures se valent. L’affirmation peut paraître ambiguë : en confondant évolution sociale et jugement moral elle se contredit - elle juge qu’on ne peut pas juger une société, toutes étant équivalentes. S’il est vrai qu’un jugement moral sur une société est hasardeux, il est aussi évident qu’une société évoluée ou avancée est plus riche en accomplissements techniques et culturels. Une société restée à l’état primitif, sans langue écrite, peut être une société parfaitement harmonieuse et heureuse, ce qui invalide tout jugement de valeur. L’être humain peut très bien vivre sans confort technique et sans grande culture intellectuelle, mais qu’une société avancée soit techniquement et culturellement plus riche est une évidence, et l’affirmer n’est pas un jugement de valeur mais un simple constat. Les sociétés ne sont pas équivalentes mais différentes, et prétendre qu’elles se valent est un jugement moral relativiste. Indépendamment des méfaits et des accomplissements des sociétés, pour lesquels il est difficile de faire un bilan, on peut comparer leurs valeurs, ce qui, d’ailleurs, se fait couramment. On compare les valeurs du monde musulman, c’est-à-dire de l’islam, avec les nôtres, et on constate qu’elles sont en grande partie les mêmes, seules quelques unes posent problème.
Pour les relativistes, les soi-disant bienfaits de la civilisation apparaissent parfois comme des malheurs : la civilisation attise nos désirs illusoires en inventant en permanence des biens superflus. Sans tous ces « bienfaits » les animaux vivent mieux. Proche de l’animalité, l’homme primitif, immergé dans la nature, est plus heureux. C’est la civilisation qui ruine le bonheur. Elle emmène l’homme sur un long chemin de perversion - de l’agriculture à la culture et à l’écriture. La civilisation européenne, désormais dépourvue de croyances, désespérant de l’avenir, honteuse de son passé, est traversée par des morales contraires, dont le relativisme. Ce relativisme, qui constitue un courant important de la pensée contemporaine, entre en correspondance avec l’individualisme, pour accorder la valeur primordiale à la volonté individuelle et la tolérance. Individualisme et égalitarisme sont ses constituants principaux.
Le relativisme hésite à ériger nos valeurs occidentales en valeurs universelles : chaque société a ses valeurs particulières ; comment prétendre que les nôtres sont les meilleures ? Nous sommes conditionnés par notre éducation, par notre société. Nos valeurs sont subjectives et relatives. Notre faculté de raisonnement ne peut se libérer d’un certain subjectivisme. Pourtant, cette pensée se trouve vite dans une impasse : quand une femme est lapidée dans un pays musulman ou un homme est exécuté aux Etats-Unis, on ne peut plus relativiser. On condamne ces actes contraires à nos valeurs. La tolérance relativiste ne peut pas aller jusqu’à accepter l’esclavage, les crimes d’honneur, le vol etc.. En Grèce antique la pédophilie n’était pas du tout condamnable. Faut-il relativiser et dire que, bien qu’interdite dans notre société, elle n’est pas condamnable en soi ? Quand une femme est lapidée dans un pays musulman, faut-il l’accepter comme compatible avec leur système de valeurs, que l’on n’a pas le droit de juger ?
Le relativisme n’est pas dogmatique. Même la tolérance a ses limites, et certaines valeurs peuvent être considérées comme universelles : les droits de l’homme, la liberté, l’égalité, la démocratie. On souhaite que les pays musulmans arrivent à établir des régimes démocratiques, bien que ces pays expriment clairement une préférence pour la théocratie, et perçoivent notre démocratie représentative non pas comme un modèle mais plutôt comme une oligarchie, c’est-à-dire une dictature par les élites politiques, souvent carriéristes, parfois corrompus, ce qui n’est guère préférable à une dictature religieuse. Sur cette question le relativisme semblerait raisonnable. Il est moins raisonnable quand il décrète, au nom de la tolérance, des dérogations à la loi en faveur de certaines communautés, dérogations qui ouvrent la boîte de Pandore, comme celle en faveur de l’abattage hallal, qui a eu comme résultat qu’une grande partie de l’abattage en France est désormais hallal, pour la simple raison qu’il est plus économique de faire tout hallal plutôt qu‘une seule partie de la production.*
L’Education nationale, dans les programmes d’histoire, a introduit le relativisme à l’école. Considérées comme trop eurocentriques, certaines sections de l’histoire de la France, comme le règne de Louis XIV, ont été remplacées par l’étude sur les sociétés africaines. Pour corriger un biais trop favorable à la civilisation européenne, on explique nos erreurs et nos fautes : la colonisation, l’esclavage, les exploitations. Il est important que les élèves comprennent que notre civilisation n’est pas que celle de Molière et Shakespeare, de Descartes et Kant, de Mozart et Schubert, de Einstein et les Curie ; elle n’est pas que celle de la démocratie, des droits de l’homme et des Lumières, ou de l’invention de l’imprimerie et de l’électricité, non, elle est aussi celle des génocides des peuples d’outre-mer, celle de l’inhumanité et de la barbarie, celle de l’Inquisition et du fascisme, celle qui méprise, et c’est le comble, les autres civilisations, nullement « inférieures » ou « moins évoluées » que la nôtre, au contraire, équivalentes, qu’il faut à présent apprendre à respecter, tout en corrigeant la fausse surestimation de la nôtre, nullement digne d’un respect particulier. Bref, on enseigne l’idéologie du relativisme, une idéologie qui refuse toute échelle de valeurs, considérée comme préjugé. Poussé à les conséquences logiques, le relativisme estime que le Rap et le Hard Métal valent Bach et Mozart, qu’une bonne BD n’est nullement « inférieur » à la Chapelle Sixtine, au contraire, la BD est plus moderne, plus intéressante que les vieilles fresques de Michelangelo. Le relativisme est une idéologie nihiliste qui démolit toutes les valeurs. C’est l’idéologie de l’interdiction d’interdire, c’est celle que l’éducation nationale affectionne depuis des décennies, avec les résultats qu’on connaît.
Le relativisme cultive la honte de notre propre civilisation, la honte de soi, se plaisant à faire une liste des horreurs qu’elle a perpétrées : inquisition, croisades, colonialisme, fascisme, génocides, les brutalités et barbaries à toutes les époques. En horreurs on n’a rien à envier aux autres civilisations. Le relativisme préfère juger une civilisation non pas par ses accomplissements mais par ses méfaits. Surtout la nôtre. La repentance fait partie essentielle de l’éthique postmoderne. Avoir honte de notre civilisation est politiquement correcte. Toutes les sociétés sont équivalents, sauf la nôtre. Ainsi, en ne se nourrissant face au passé que du remords, et face à l’avenir que des craintes, le lieu est étroit sur lequel s’adosser.
* Selon un reportage dans « Envoyé spécial » du 16/02/2012
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