Le retour aux sources ou l’art de s’émerveiller
Un peu lasse d'un été chargé, j’aspirais à un moment de détente, un temps de méditation où se retrouver soi-même, savourer le silence, ce qui nous manque le plus aujourd’hui. C’est ainsi, qu’en compagnie de mon mari, je suis partie me réfugier au plus profond de la campagne dans un coin de verdure ignoré par le bruit, en ce pays d’Auge collineux et bucolique qui prête à la Normandie ce caractère bocager tellement séduisant. Autour, ou proche de nous, un étang qui dort, des herbages entourés de haies vives, des pommeraies et des troupeaux paissant calmement sous un ciel parcouru de nuages nomades. Une terre paisible et attentive et des cieux voyageurs qui laissent dans l’atmosphère une brume bleutée. Voilà posé un décor de rêve, empreint de paix et de joie tranquille. Les rares bruits sont le bêlement des moutons, le mugissement des vaches et surtout le chant discret des oiseaux à cette saison où ils sont tentés de se taire. Ainsi, tout est-il propice à l’émerveillement. D’ailleurs, « S’émerveiller » est le seul livre que j’ai emporté avec moi, réflexions philosophiques où l’auteure Belinda Cannone nous propose une analyse fine et poétique de cette faculté que nous avons de saisir la beauté dans son expression la plus simple et la plus quotidienne. Belinda a rédigé cet ouvrage dans le pur présent, lors d’événements inattendus et intimes qui surviennent en nos vies comme des épiphanies. Il est vrai que la vie heureuse est celle vécue dans l’immédiateté, ce sont ces instants où un pigeon roucoule, où le paysage s’élabore dans son élégance spontanée, où les arbres déploient leurs bruissements mélodieux, que le bonheur s’invite à notre table et que nous sommes totalement solidaires de ce présent qui semble subitement s’immobiliser.
Alors, l’émotion devient naturelle. C’est une émotion tendre et enfantine, celle de l’oiseau qui picore à deux pas, de l’ombrage familier, du ciel qui s’empourpre à l’heure du soir et prête aux lointains une fulgurance wagnérienne, du vent qui se lève subitement et fait ondoyer la canopée ou ce parfum de pomme qui nous saisit et nous procure un avant-goût de tarte tatin. Qu’il est bon de se délester des soucis quotidiens, d’abandonner le courant de la vie ordinaire pour mieux se rassembler en soi, revenir à l’essentiel et à ce qui compose nos aspirations les plus chères, faisant taire, pour un moment, l’agitation du monde. Un monde qui ne sait plus s’écouter, prendre recul et hauteur, se complaisant dans une permanence brouillonne. « Le risque de l’enténèbrement a frappé notre époque » - écrit Belinda Cannone qui sait si bien s’émerveiller de l’ordinaire des choses, des gestes les plus humbles, des actes les plus anodins, ceux qui édifient la matière du monde. Oui, il y a danger à aller progressivement vers la perte du désir vital, vers un refoulement de l’humain. Alors que le bonheur est si présent lorsque nous nous éloignons de l’actualité internationale et que nous le percevons proche du regard, de la main et du cœur comme un rappel de ce qui comble l’âme et rend la merveille possible !
J’aime ces heures qui s’écoulent lentement, qu’on laisse glisser en appréciant leur goût parfait, leur composition simple, leur enchantement subit. Vivre a alors un sens profond, une sorte de continuité dans l’élaboration de notre relation envers les autres, vers toute existence qui accompagne et cisèle une famille, une communauté, une nation, si tant est que cela soit possible ! Il est vrai que le possible n’est pas toujours du domaine du réel, tant ce réel a été malmené, tant notre quotidien a été maintes fois entaché et blessé. Au mieux, pouvons-nous remailler le présent, tenter de renouer les fils qui lâchent, refuser les actes qui portent atteinte à la plénitude de la vie humaine. Souhaiter simplement caresser de la paume l'agneau qui bêle, des yeux la fleur qui s'ouvre, le matin qui se lève, saluer le voisin, le passant, protéger le faible, respecter la nature.
L’émerveillement n’est pas l’éblouissement, il est plus secret, plus humble et peut s’éprouver à tout instant : la saveur d'un fruit, la surprise d'un paysage, d'un envol d'oiseau, d'un éclairage sur la campagne ou sur la mer. Pourquoi sommes-nous si fréquemment dans l’attente, l’agitation, le souci du lendemain ? Notre regard ne sait-il plus s’attarder, se reposer sur les choses dans notre souci permanent d’autre chose ? C’est de cela dont nous devons guérir. Réapprendre à goûter l’instant, à contempler une nature qui s'empresse à nous quérir et n’est-ce pas ce que je suis venue chercher au cœur d’un pays d’Auge pastoral où le temps prend son temps et nous réhabitue à voir et à aimer ? Je crois bien que oui …
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
17 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON