Le rêve de Susan Boyle est notre rêve d’une autre échelle des valeurs
France Inter, Libération puis de nombreux autres médias s’en sont fait l’écho, la vidéo d’un radio crochet anglais a reçu aux dernières nouvelles 12.970.998 visites et plus de 51000 commentaires. Dupliquée, elle a maintenant une audience planétaire qui n’est même plus comptabilisable.
Dans ce temps où l’on porte au pinacle le paraître, émerge d’un petit village une des plus belles voix que j’ai entendue : naturelle, ample et profondément humaine, d’une musicalité toute en émotion portée par un corps vieillissant aussi inesthétique que possible.
Le public ne s’y est pas trompé. Tout d’abord rigolard, il ovationne Susan debout dès les premières mesures.
La sincérité de Susan est si présente dans son chant que son rêve devient réalité devant nous.
Pour avoir étudié le chant au conservatoire de Lyon, j’entends malgré la peur de Susan qui transparait dans les graves par une légère instabilité, son incroyable équilibre vocal.
Quant on sait que le bruit initial de nos cordes vocales n’a pas plus de puissance et d’amplitude que le chuintement d’une feuille d’arbre glissant au sol, Susan a découvert par elle-même que la voix n’était que résonnances intimes et que c’était l’équilibre de ces résonnances qui la ferait entrer en harmonie avec autrui.
Moquée pour son physique ingrat, son élocution, son âge, son extraction manifestement modeste, son rêve même, elle demeure authentique face à ses juges et au public.
Au mieux ces derniers répugnent à la donner en pâture à ce public de jeux du cirque, au pire ils préparent un lynchage qui laissera la place à un candidat moins « décalé ».
Susan chante et, manifestement, les animateurs n’avaient pas anticipé le retournement complet du public.
Je ne partage donc pas le point de vue de RUE 89 qui ne voit que montage dans ce radio-crochet : ce type de concours est dans la tradition anglo-saxonne et cette émission existe depuis plusieurs années.
Certes nous savons tous que c’est à des fins commerciales que de tels concours sont organisés, mais Le Royaume Uni est aussi infiniment plus tolérant que notre pays. Il serait heureux que nous en prenions conscience.
Le destin qui s’ouvre à Susan me fait penser à celui de Kathleen Ferrier, merveilleuse contralto, elle aussi découverte par un concours, et dont la voix sans apprêt, fût un exemple d’interprétation pour les cantatrices des générations qui suivirent.
Ce qui compte à mes yeux ce n’est pas la stupéfaction sans doute feinte des organisateurs dont on a du mal à penser qu’ils ne l’avaient pas auditionnée, mais celle du public.
C’est la réaction du public qui les stupéfient et son adhésion à une image aussi éloignée des standards consuméristes. Telle une icône, Susan nous consolerait-elle des cyniques qui, de bonus indécents en parachutes dorés et stocks options détruisent en ce moment même la vie laborieuse de tant de familles.
Au-delà de sa transfiguration personnelle, Susan incarne peut-être un renversement des valeurs.
Les sociologues étudieront sans doute l’engouement planétaire suscité par cette vidéo.
J’en garderai pour moi le souvenir d’un instant de profonde fraternité portée par ce langage universel qu’est la musique.
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