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Accueil du site > Tribune Libre > Le risque d’instruire

Le risque d’instruire

Refonder l'école, comme le proclame le nouveau gouvernement, c'est peut-être prendre le risque de revenir à un socle fondamental : l'instruction, au sens de Condorcet.

Le nouveau gouvernement considère l’Education nationale comme une priorité. Ce discours, de gauche à droite, abreuve notre démocratie depuis des décennies. Le débat sempiternel sur les moyens de l’Education nationale masque souvent la finalité de l’école. L’école est d’abord un lieu étrange pour l’enfant. L’établissement scolaire ouvre le cercle étroit de la famille, la jeunesse y affronte la diversité des origines et des éducations. L’enseignant offre à l’élève une vision neuve. Derrière ce cadre général apparaît la mission de l’école : l’accès au savoir pour tous.

En démocratie – régime politique né de la conversation - le rôle de l’école consiste à instruire. C'est-à-dire préparer, donner des outils à l’esprit ; et d’abord les bases du langage et de l’écriture. Née du tumulte de la Révolution française, la notion d’école républicaine, affranchie des dogmes, est exposée avec une pertinence éclatante chez Condorcet (1743-1794), salué par le travail de Bernard Jolibert.

Les professeurs de la République sont censés former des citoyens libres et responsables, capables de faire des choix, maîtres de leur vie, doués de réflexion et, au fond, aptes à discuter avec tous les pouvoirs – politique, économique, syndical, religieux, scientifique.

Instruire n’est pas seulement éduquer (qui signifie "élever, former et conduire", selon l’étymologie latine). A l’école, instruire présuppose exigence et rigueur, compétence et vocation des « instructeurs », et ouverture sur le monde sans parti pris ni asservissement aux modes du monde. Peut-on former à la pédagogie ? Les dernières décennies nous laissent dubitatifs. Les nouvelles technologies changent la donne, dira-t-on. Mais certainement pas la mission fondamentale de l’école. Internet n'est qu'un nouveau lieu étrange, devenu lui-même un objet d’instruction.

Instruire est une mission qui requiert un certain conservatisme : pas question de transformer l’école en simple espace de « vivre ensemble » où l’on enseignerait uniquement comment se « comporter correctement » afin de garantir la paix sociale. L'Education nationale ne formerait alors que des consommateurs du système en place. L’Histoire montre à quel point « l’ordre de la cité » peut passer par le "simple" endoctrinement des masses. En France, après la défaite de 1870, on faisait défiler les écoliers avec des fusils de bois pour galvaniser l’esprit de revanche sur le vainqueur allemand ; la préoccupation des dirigeants de l'époque détruisait ainsi l'esprit même de l'école...

Instruire en démocratie doit représenter à la fois un sanctuaire institutionnel et un risque pour l’ordre établi. Imaginer des sorties de crises passe peut-être, aussi, par ce risque. Ce risque, l'Etat doit le prendre pour mettre en œuvre la liberté de ses citoyens. C'est peut-être le meilleur chemin pour « refonder la République par l’école » selon la formule de rentrée du ministre Vincent Peillon, bon connaisseur de Condorcet…

laurent watrin


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9 réactions à cet article    


  • non667 4 septembre 2012 16:22

    L’Histoire montre à quel point « l’ordre de la cité » peut passer par le « simple » endoctrinement des masses.

    l’école est un formidable outil d’endoctrinement , croire qu’un pouvoir en place (peillon ) va vouloir s’en passer est naïf .
    instruction publique = lire-écrire-compter
    éducation nationale = déposséder les parents de leur devoir/pouvoir d’éducation (morale ,religieuse ,sentimentale sexuelle )pour la confier à l’endoctrinement idéologique .(de droite ou de gauche , mais surtout pas de libre arbitre ) si bien qu’en 1968 cohn bendit à pu dire : il ne sert à rien de promouvoir/favoriser l’accès des fils d’ouvriers à l’université ils deviendrons les plus fidèles serviteurs du système capitaliste !!! (que lui en bon coco voulait abattre en france )

    sur les récurrentes réformes qui depuis 1965 vont toujours dans le même sens  : sabotage
    celles à venir .

    c’est la notation pédagogique des profs par les chefs d’établissements  (qui ont déja la notation administrative qui compte pour 2/5 dans l’avancement ) . il est à noter que l’inspection peut être faite a l’initiative de l’inspecteur ,a la demande de l’intéressé ou du chef d’établissement . dans tout les cas l’inspecteur rencontre informellement le chef d’établissement avant l’intéressé ! si bien que l’on peut dire que la note est mise avant l’inspection ! alors pourquoi l’a confier officiellement au chef d’établissement  ??????????
    la seule explication plausible qui cadre avec toutes les autres réformes de l’ E.N. est que l’on la sabote (*) pour justifier la privatisation par l’autonomie des établissements et un recrutement /maintient des profs par le chef d’établissement (plus de recrutement par concours national anonyme mais recrutement à la carte politique ou piston ! )
    (*) = arrêt des notes....etc...

     


    • Abou Antoun Abou Antoun 4 septembre 2012 22:38

      la seule explication plausible qui cadre avec toutes les autres réformes de l’ E.N. est que l’on la sabote (*) pour justifier la privatisation par l’autonomie des établissements et un recrutement /maintient des profs par le chef d’établissement (plus de recrutement par concours national anonyme mais recrutement à la carte politique ou piston ! )
      Cela me paraît la bonne explication, en tout cas la seule possible. L’État veut se débarrasser de l’Instruction, de la Défense, de la Sécurité, de la Santé, des voies de communication, bref l’État se saborde, mais la classe politique, elle, continue à faire de la mauvaise graisse. Le mammouth c’est pas celui qu’on croit. L’État n’est plus pour les élus qu’un prétexte.
       


    • Francis, agnotologue JL 5 septembre 2012 09:51

      C’est l’État libéral qui veut se débarrasser de l’école républicaine et tout ce qui relève de l’État social, pas l’Etat républicain.

      C’est tout à l’honneur des socialistes (*) que de préserver et renforcer ces acquis de la nation : Vincent Peillon est l’homme de la situation. D’ailleurs, toutes les attaques contre ce gouvernement viennent de la droite, pas de la gauche.

      Mais il est à craindre que des apprentis sorciers n’alimentent la grogne dans les quartiers sensibles pour provoquer des émeutes.

      (*) même s’ils ne sont socialistes que de nom : je dirai quant à moi, la droite molle, et ce n’est pas péjoratif ; je le dis par opposition à la droite dure, incarnée récemment par Sarkozy. Le peuple ne veut pas de la droite dure ; mais les nantis haïssent tout ce qui est à gauche de la droite dure ; ils ne veulent surtout pas perdre ce que la droite dure a fait pour eux dans le sens des inégalités et de la ruine de l’Etat social.


    • L'enfoiré L’enfoiré 4 septembre 2012 16:50

      Ce fut le sujet du jour dans un chat.


      • mortelune mortelune 5 septembre 2012 13:54

        On se fout de l’école, elle est devenue une usine à manipuler la jeunesse et non à l’instruire. 


        • médy... médy... 5 septembre 2012 17:08

          Bien, discutons.

          « Le nouveau gouvernement considère l’Education nationale comme une priorité. »

          Qu’est-ce que l’Education nationale ? Un bien grand mot, un beau principe qui explose en une multitude de réalités bien différentes... En fonction de la localité, depuis les « grands » lycées parisiens (Louis-le-...) aux lycées de banlieue décrépis. Un grand tiercé où nous sommes tous des concurrents arborant un numéro, de 0 à 20. On peut avoir la chance d’avoir un bon professeur de ci de là, ou ne jamais l’avoir (même dans les « grands » lycées).

          Vous parlez ensuite de démocratie. Pourquoi m’a-t-il fallu attendre 25 ans pour comprendre que notre système n’était justement pas une démocratie ? Vous semblez mettre l’accent sur le rôle d’instruction civique que doit avoir l’Ecole dans une démocratie. C’est une idée à laquelle je tiens beaucoup, mais il faut reconnaître que la permanente recherche de réussite personnelle construit des personnalités très égoïstes... D’où viennent ces technocrates qui parlent de refonder l’Ecole, sinon de cette Ecole conservatrice des inégalités sociales, pour emprunter un terme à Bourdieu ?

          L’Ecole est donc à l’image de la société du profit personnel, c’est un lieu où l’individu apprend les rapports de domination et de soumission qui seront l’essence de son existence sociale, avant d’être un lieu où des individus partagent une expérience et construisent ensemble.

          D’après moi, le manque de réaction d’une majorité des professeurs vis-à-vis des enjeux actuels montre le véritable échec scolaire : celui de ne pas avoir formé des mentalités ouvertes, curieuses et empathiques. Comme ailleurs, on a plutôt affaire à des fonctionnaires un tant soit peu matons qui bénéficient de l’immunité intellectuelle due à la Foi aveugle qu’ils éprouvent en leur institution civilisatrice. Il ne faut pas oublier non plus qui sont les clients de cette usine à cerveaux programmés : des entreprises au coeur d’un écosystème capitaliste sans pitié, ni pour la les humains ni même pour la Vie.

          Je rappelle que nous sommes sur un site de débat, le moinssage n’est pas un argument.

          Cordialement


          • Vipère Vipère 5 septembre 2012 17:18

            Ivan ILLITCH parle de l’école comme d’un endroit où l’enfant acquiert un capital de connaissances. 

            L’école serait un lieu où l’on délivrerait un « enseignemen »t qui serait selon lui, un capitalisme de connaissances ??? 


            • Vipère Vipère 5 septembre 2012 17:39

              « l’Ecole cette vache sacrée » d’Yvan ILLICH

              Un texte critique de l’Education Nationale, de l’Ecole Publique dont il dénonce la centralisation, la bureaucratie interne la rigidité et surtout les inégalités.

              Il dénonce le gavage des cerveaux, l’éducation institutionalisée et l’institution scolaire en tant que productrices de marchandises ayant une valeur d’échange dans une société déterminée, une société où ceux qui profitent du système sont ceux qui disposent d’un capital culturel initial...


              • Rudolf Bkouche Rudolf 8 septembre 2012 18:58

                Oui, instruire est un risque, le risque de déstabiliser la société. Mais c’est un point essentiel de la démocratie si ce mot à un sens.

                Cela dit, je ne pense pas que la grand’messe organisée par Peillon soit de mettre l’instruction au centre de l’école.

                Cela reviendrait à remettre en question la politique scolaire de ces trente dernières années dont le PS a une lourde part de responsabilité.

                Et le discours de Peillon sur la morale laïque montre que ce que le ministre appelle refondation n’est que la mise en place d’un ordre moral. Ce qui sépare la droite de la gauche, c’est que les catéchismes sont différents, mais chacun défend son catéchisme. Alors que le retour à l’instruction rappellerait que le catéchisme, quel qu’il soit, n’a pas sa place dans l’école.

                 

                Il ne faut pas oublier le rôle ambigu de l’école, à la fois lieu d’adaptation des nouvelles générations à la société (et en cela proche de ce qu’Althusser appelait "appareil idéologique d’Etat") et lieu d’émancipation comme le propose Condorcet. Oublier l’aspect « appareil idéologique d’Etat » peut apparaître comme de l’angélisme, mais oublier le rôle émancipateur de l’instruction est une forme de démission. 

                 

                rudolf bkouche, membre du GRIP, professeur émérite à l’Université Lille 1

                www.instruire.fr


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