Le roi est nu
La santé publique, sur le point d’être sacrifiée sur l’autel du néolibéralisme…
Le système de santé le plus onéreux de la planète est, sans surprise, celui des Etats-Unis, avec une dépense « per capita » de USD 9'892, suivi par la Suisse avec 7’919 USD (OECD 2016). Cela représente, dans le cas de la Suisse, pour l’ensemble de son système de santé, une dépense annuelle de 77 mia CHF, dont 28 mia CHF sont couverts par le système des primes d’assurance maladie de base obligatoires. Aux Etats-Unis, la part que le secteur privé occupe dans les dépenses de santé public, s’élève à 54%, en Suisse cette tranche s’élève à 43% (OECD 2014), des records mondiaux.
En effet, à l’instar du système de santé américain, la santé des suisses coûte chère, très chère, car largement privatisée. C’est un secret de polichinelle. On n’attend plus que la petite fille pour dire que le roi est nu.
Fidèle au concept néolibéral de la « concurrence libre et non faussée » la gestion des cotisations obligatoires est confiée à une poignée d’assurances privées, sous la surveillance bienveillante de l’ « Office Fédéral de la Santé publique » (OFSP)
Ainsi, c’est devenu un rite, une sorte de tradition helvétique. Depuis l’introduction de la (LAMAL), la loi fédérale sur l’assurance maladie, il y a vingt ans, chaque année, au mois d’octobre, le ministre, responsable des assurances sociales, annonce une hausse de 5% des primes, 5%, chaque année, année par année, depuis vingt ans, comme une horloge suisse
Depuis 1996, les primes d’assurance maladie obligatoires ont ainsi augmenté de 155%, davantage que l’économie suisse qui elle a cru de 62%, pendant la même période, tandis que salaires nominaux ont progressé, toujours pendant la même période, de 25%. Si on ajuste ce chiffre à l’inflation, on peut parler d’un accroissement de « zéro », « que dalle », « nada ».
Certes nous avons, au ministère de l‘économie, un surveillant des prix, (surveillant des prix, pas des salaires, mais c’est déjà ça), en la personne de Stefan Meierhans, dont l’office est chargé « d’étudier et de relever les éventuels abus sur les prix des biens et des services ». Et Monsieur Meierhans n’est pas content, mais alors par content du tout. Cela fait 20 ans que son office « étudie » et « relève », et les prix continuent à grimper. Il ne veut pas en rester là, raison pour laquelle il vient de remettre 38 propositions d’amélioration à l’intention du ministre de la santé publique. One ne sait pas ce qui l’a pris.
En Suisse, comme ailleurs, on aime dissocier les sujets brûlants, pour mieux brouiller les pistes. Or, tout est lié. La privatisation du service public et l’explosion des coûts qui s’ensuit touche autant le domaine des chemins de fer, de la poste et de la télécommunication que celui de la santé publique. Le facteur clé s’appelle « la rémunération du capital », le facteur le plus cher et le plus improductif dans l’équation.
Le 5 juin 2016 les milieux de la défense des consommateurs avaient lancé une initiative populaire du nom de « pro service public », initiative refusée devant le peuple à 67,6 %. Oui, oui, nous avons, dans ce pays, le privilège d’interférer dans le processus législatif par le lancement d’initiatives populaires. Seulement, traditionnellement 95% de celles qui sont lancées essuient un refus aux urnes. Il n’est pas bon de trop bousculer l’ordre établi, et le peuple fait en général confiance aux politiques.
Dans ce cas précis il avait peut-être tort, le peuple, probablement même. L’initiative la moins soutenue de l’histoire suisse selon le quotidien « Le Temps » (Même le parti socialiste avait recommandé son refus.), aurait mérité un meilleur accueil. Le texte qui préconisait l’interdiction aux régies publics, la poste, les chemins de fer et Swisscom de faire des bénéfices, était trop fort de café.
Suivant le modèle du grand frère, l’Allemagne, les trois régies suisses avaient été transformées en sociétés anonymes, dont, certes la Confédération garde, encore, la majorité, mais qui seraient dorénavant appelés à payer des dividendes à leurs actionnaires, donc, entre autre aux pouvoirs publics. Le citoyen contribuable est donc prié de passer à la caisse deux fois. En plus du prix de revient du service rendu, le trajet en train, la lettre postée, la communication téléphonique, il devra s’acquitter dorénavant d’un supplément, sous forme de dividende, une taxe déguisée en quelque sorte, en faveur des pouvoirs publics actionnaires, à soi-même en quelque sorte, mais aussi aux actionnaires minoritaires.
Pour cette raison, l’initiative prévoyait que « Swisscom », les chemins de fer ou la poste « devraient faire baisser leur tarifs jusqu’au niveau à partir duquel ils ne feraient plus de bénéfices, tout en prenant en considération les investissements nécessaires dans l’amélioration des infrastructures ».
Un autre point du texte concernait les salaires des PDG de ces entreprises publiques (Le Temps). En effet, à l’époque du lancement de l’initiative, Urs Schäppi, directeur de Swisscom était rémunéré CHF 1'832'000 par année, Andréas Meyer directeur des CFF touchait CHF 1’046'000 et Susanne Ruoff, directrice de la Poste, CHF 984'000, directrice qui vient de se faire prendre « les mains dans le sac » si on peut dire, ayant manipulé les comptes des cars postaux, un domaine sous sa responsabilité, pendant des années, pour « se donner un air plus compétitif », non sans incidence sur sa propre indemnisation sans doute. Les conseillers fédéraux en revanche, les patrons de tout ce beau monde, gagnent, en moyenne, CHF 475'000 par année. Les initiants trouvaient qu’il y avait là matière à réflexion. Le peuple n’était pas de cet avis, ni le parti socialiste suisse d’ailleurs.
Les arguments des opposants valent le détour. Ils estimaient que « l’initiative affaiblirait le service public, dû à la perte de compétitivité des régies ». Si le service public n’avait plus l’obligation de faire du bénéfice, il pourrait se contenter de rendre ses services à son prix de revient. Cela vaut d’ailleurs pour toutes les entreprises, pas seulement celles du service public. Mais ça c’est une autre histoire. Autre grief : « N’étant plus autorisées à faire du bénéfice, les régies publiques ne pourraient plus effectuer les investissements nécessaires », un argument, avancé notamment par le parti socialiste. En matière de comptabilité les entreprises font, ce qu’on appelle communément, des provisions, en vue d’investissements futurs nécessaires, avant de déclarer un profit. Elles ne les font pas avec le produit du profit.
Ainsi, le serpent continue à se mordre la queue, et les experts, les acteurs de la santé continuent à tourner autour du pot, en proposant sans cesse les mêmes recettes qui ne marchent pas. Ils le savent, bien entendu, qu’elles ne marchent pas, car c’est le but de l’opération, faire en sorte à ce que rien ne change et, surtout, éviter de mentionner l’outil démocratique de la redistribution des richesses, susceptible de casser le noeud gordien, l’impôt.
Ainsi la directrice de la plus importante assurance maladie en Suisse (CSS), l’italienne, Philomena Colatrella, rémunération annuelle CHF 700'000, prescrit, dans les colonnes d’un quotidien suisse alémanique, « l’administration d’une bonne dose de « responsabilité propre » aux assurés, en proposant une augmentant de la franchise annuelle minimale, actuellement de CHF 300, à CHF 10’0000 par année, « dans le but de faire baisse les primes ». Elle s’empresse, sans doute pour adoucir son propos, de faire son « mea culpa » en déclarant : « Nous, les assureurs n’avons pas fait assez pour freiner l’augmentation du coût de la santé. Nous discutons des mesures à prendre depuis 20 ans. » A 700'000 CHF par année, cela fait cher la discussion.
Le « partenariat public privé » dans le domaine de la santé dépense, en outre, chaque année la somme de 75 mio CHF en frais de marketing et commissions aux intermédiaires, « frais, nécessaires pour stabiliser le nombre d’assurés et fidéliser la clientèle » affirme Philomena Colatrella, encore elle. Ce chiffre se compare aux tentations, infructueuse, de notre ministre de la santé, Alain Berset, de récupérer la modeste somme de 80 mio CHF de l’industrie pharmaceutique sur la surfacturation des médicaments génériques qui, en comparaison avec les pays voisins, coûtent, en Suisse, le double (RTS), contre l’avis de la majorité bourgeoise de la grande chambre. On se demande pourquoi.
Le capitaliste veut être rémunéré, aussi grassement que possible, c’est son rôle. Il le fait en diminuant ses coûts, le travail et les impôts, tout en augmentant ses revenus, le prélèvement de la taxe sur le capital, l’intérêt. Vu le niveau proche de zéro des taux d’intérêts depuis près de vingt ans, il se voit contraint de siphonner les entreprises de leur substance, aussi les entreprises publics, sous forme de dividendes. La production de biens et de services en soi n’a aucun intérêt pour lui. Ce n’est qu’un moyen pour arriver à ses fins.
Seulement, quand cette logique touche à des domaines tels que la santé, elle met en danger des vies. Elle crée une société à deux vitesses, entre ceux qui se soignent et ceux qui n’en ont pas les moyens.. La Suisse est une économie mixte par excellence, dotée d’un secteur public fort, faisant le succès de son modèle, pour le bien du plus grand nombre, succès rendu possible grâce à une politique vigilante, tenant en échec les velléités trop pressantes du capital, garantissant ainsi la stabilité politique et la légendaire paix du travail. Elle est sur le point de perdre cet avantage comparatif.
Le président américain le plus populaire de tous les temps, seul à avoir été élu à quatre reprises, Franklin Delano Roosevelt, avait réuni, aux heures les plus sombres de la grande dépression, les capitalistes de son pays en leur disant : Vous avez deux options. Soit, vous partagez, où les communistes vous prennent tout. Le parti communiste américain ayant été, faut-il le rappeler, une force non négligeable à cette époque. Les capitalistes avaient choisi l’option du partage.
Ainsi, jusqu’à la fin des années 1970, le taux d’imposition sur le revenu de la dernière tranche s’était élevé à 90%, jusqu’au jour où Hollywood avait envoyé un des siens à la Maison Blanche. Quand on voit, en cette année 2018, aux Etats-Unis et en Europe, descendre dans la rue des pans entiers de la société, on se dit que les capitalistes seraient bien inspirés de partager à nouveau.
En Suisse, on ne descend pas dans la rue, on souffre en silence et on vote pour le statu quo. Lors des récentes élections régionales, la droite réactionnaire, la force politique la plus importante dans ce pays, a certes laissé quelques plumes, mais les électeurs, majoritairement des séniors, car les jeunes ne s’intéressent pas à la politique, ne sont pas prêts à donner davantage de pouvoir à la gauche qu’il n’en faut. Les horreurs du goulag sont encore trop présentes dans les esprits.
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