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#47 des Tendances

Le rôle de l’historien aujourd’hui, entre tradition et innovation

 

Je précise d’emblée qu’être historien n’est pas d’abord une question de diplômes, mais une affaire de méthode. En réalité, le travail de l’historien n’a guère changé depuis Hérodote : il consiste à raconter le passé à la lumière du présent, en s’appuyant sur les multiples sources disponibles. L’Histoire a toujours été une source de débats, de conflits et de confrontations. Penser le contraire revient à méconnaître les nombreux enjeux qu’elle soulève. En effet, il n’est pas rare, et cela ne date pas d’aujourd’hui, que des historiens ou des camps idéologiquement opposés s’affrontent sur des questions historiques et mémorielles.

La grande nouveauté réside dans l’évolution radicale des modes de diffusion. Grâce ou à cause des nouvelles technologies de l’information et de la communication, presque n’importe qui peut désormais se prétendre historien ou devenir vulgarisateur historique. La société du divertissement, dominée par l’immédiateté et l’éphémère, explique en grande partie pourquoi le grand public, pourtant intéressé par l’Histoire, hésite à recourir aux supports traditionnels que sont le livre et les revues papier. Ces transformations obligent les historiens à redoubler de vigilance pour préserver leur crédibilité et défendre une approche scientifique rigoureuse face à la prolifération de récits simplistes ou biaisés.

 

Il est plus facile de regarder une vidéo de trois à vingt minutes sur une thématique historique que de lire un article de trois pages ou un livre de cinq cents pages. Par conséquent, les historiens, qu’ils soient institutionnels ou indépendants, doivent s’approprier les nouveaux supports de communication s’ils souhaitent diffuser leurs travaux au-delà des cercles universitaires, des spécialistes ou des passionnés. L’historien contemporain doit composer avec des défis inédits, tels que la surabondance d’informations, la rapidité de leur diffusion et la grande influence des médias sociaux sur les productions intellectuelles et culturelles.

L’historien consciencieux continuera d’adopter une démarche rigoureuse face à un flot croissant et incessant d’informations, souvent orientées ou simplifiées à l’excès. Son rôle majeur reste de déchiffrer les temps anciens en appliquant les méthodes propres à son domaine : aller aux sources, les confronter, les croiser et toujours replacer les événements dans leur contexte. Cela permet d’éviter la projection d’un regard contemporain sur les faits passés. L’anachronisme se révèle mortifère pour l’analyse historique. L’historien doit éviter les biais de confirmation et rester impartial pour restituer les faits dans toute leur complexité. Par ailleurs, nul ne peut ignorer que l’Histoire subit régulièrement des instrumentalisations visant à répondre à des attentes émotionnelles ou pour justifier différentes idéologies. 

Cela dit, il ne faut jamais idéaliser le passé, ni même noircir le présent : l’Histoire n’est pas forcément mieux ou moins bien connue aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois. Chaque époque compte ses cancres et ses esprits talentueux, même si certaines ont connu plus de génies que d’autres. Dans un pays qui souffre d’une grave crise civilisationnelle, le rôle de l’historien devient non seulement important, mais absolument nécessaire.

La véritable vocation de l’historien demeure inchangée : elle consiste à rendre le passé intelligible, non pas pour le magnifier ou le dénigrer, mais pour en offrir une compréhension approfondie. Face à une société dominée par la spontanéité et le flux permanent de notifications, l’historien doit s’adapter aux nouveaux supports et modes de communication, sans jamais renier les principes fondamentaux de ce métier exigeant. Afin d’éviter les erreurs du passé, je vous invite à lire des livres et à réfléchir sur cette maxime : « L’Histoire nous apprend une seule leçon, les leçons de l’Histoire ne sont jamais retenues »… 


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2 réactions à cet article    


  • Étirév 29 novembre 08:24

    « Le rôle de l’historien aujourd’hui, entre tradition et innovation »
    Il est un fait assez étrange qu’on semble n’avoir jamais remarqué comme il mérite de l’être, rappelait en 1946, René Guénon : c’est que la période proprement « historique » (la seule qui soit vraiment accessible à l’histoire ordinaire ou « profane »), remonte exactement au VIème siècle avant l’ère chrétienne, comme s’il y avait là, dans le temps, une barrière qu’il n’est pas possible de franchir à l’aide des moyens d’investigation dont disposent les chercheurs ordinaires.
    À partir de cette époque, en effet, on possède partout une chronologie assez précise et bien établie ; pour tout ce qui est antérieur, au contraire, on n’obtient en général qu’une très vague approximation, et les dates proposées pour les mêmes événements varient souvent de plusieurs siècles.
    L’antiquité dite « classique » n’est donc, à vrai dire, qu’une antiquité toute relative, et même beaucoup plus proche des temps modernes que de la véritable antiquité et l’on pourra suffisamment juger par là jusqu’à quel point les modernes (Jean Parvulesco parlait de « confrérie faisandée des historiens conventionnels ») ont raison d’être fiers de l’étendue de leurs connaissances historiques ! Tout cela, répondraient-ils sans doute encore pour se justifier, ce ne sont que des périodes « légendaires », et c’est pourquoi ils estiment n’avoir pas à en tenir compte ; mais cette réponse n’est précisément que l’aveu de leur ignorance, et d’une incompréhension qui peut seule expliquer leur dédain de la tradition ; l’esprit spécifiquement moderne, ce n’est en effet rien d’autre que l’esprit antitraditionnel.
    NB : VIème siècle avant notre ère
    « La force déchaînée écrasa partout l’esprit et institua le règne des tyrans... une démocratie brutale monte et force toutes les intellectualités à se démettre. Ce sont les masses incultes qui veulent dominer. Toutes les lignes de démarcation disparaissent. On ne distingue plus, parmi les peuples, que des hommes libres et des esclaves selon qu’ils sont vainqueurs ou vaincus. Il semble que l’espèce humaine, emportée par un mouvement général de folie orgueilleuse, venait de perdre tout ce qui avait existé en elle de raison. Tous voulaient commander, aucun ne voulait obéir ; chaque fraction voulait le pouvoir, l’anarchie était partout. » (A. Fabre d’Olivet).
    LIEN


    • Opposition contrôlée Opposition contrôlée 29 novembre 10:38

      Un article de bon sens. A ceci près :

      l’Histoire n’est pas forcément mieux ou moins bien connue aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois.

      Globalement, si, l’Histoire est mieux connue aujourd’hui. Le passé lointain est éclairé par l’archéologie, les progrès sont tout à fait remarquables. Les méthodes de l’archéologie même ont considérablement évolué, non seulement avec des instruments de mesure scientifiques nouveaux, mais aussi avec des algorithmes de classification, par exemple. 

      D’autre part, même concernant un passé plus récent, la liberté de recherche et d’édition n’a été octroyée qu’à la fin du XIXe. Ayant étudié la Révolution française, il est tout à fait remarquable qu’il a fallu attendre les années 1950 pour commencer à avoir une image à peu près cohérente de cette période. Il est remarquable aussi que ce sujet reste hyperpolitisé en France et que la promotion des historiens, y compris dans le monde universitaire, est très liée à ces considérations. Et certainement pas comme le grand public l’imagine d’ailleurs. C’est très intéressant de constater que les meilleures publications sur un sujet français par excellence sont faites à l’étranger, dans le monde anglo-saxon essentiellement.

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