Est-ce la crise qui a tétanisé la vie politique française, causant une sorte d’anesthésie idéologique traduite par une campagne politique bien étrange ? Ou alors l’inverse. La crise financière et sociale serait ainsi le résultat d’une absence d’idéologie. Plus exactement, le vide laissé par la fin du communisme ajouté au déclin des valeurs, morale, vertus, a créé les conditions d’une économie décomplexées, livrée aux coups financiers, aux appétits cupides, dirigées par une classe d’individus bien placés pour recueillir les prébendes en bande organisée mais tout à fait officielle et légale. Cette disposition a permis à Nicolas Sarkozy de se faire élire en 2007 puis de solliciter un second mandat en 2012 en adoptant la figure du président qui va sauver la France du déclin et du scénario qui fait peur, celui d’un destin grec. Si vous votez Hollande, la France va devenir comme la Grèce ! Telle est l’injonction magique proposée par Sarkozy. Une ficelle énorme mais qui n’en n’est pas moins efficace auprès d’une frange silencieuse qui a peur et qui n’est pas forcément majoritaire. Or, le fait est que le président Sarkozy a soutenu depuis deux décennies une politique qui a conduit à la situation économique actuelle. Il se place tel un médecin prescrivant un poison à son patient pour ensuite le soigner en prétendant disposer d’un contrepoison. C’est ce qui rend incongrue sa position idéologique dans cette campagne. Incongrue n’est peut-être pas le mot. Disons que le sarkozysme s’est dissout dans le néo-sarkozysme et réciproquement. L’univers des idées de l’UMP est tellement glacial, à l’image d’un paysage dévasté de Tarkovski, que le monde socialiste ressemble à une prairie printanière avec des arbres en fleurs et puis ya des oiseaux qui chantent avec Mélenchon. Le lendemain du 6 mai, on ne passera pas de l’ombre à la lumière, comme le veut le « mytherrandien » de 1981 mais ce sera le lundi au soleil avec la bonne humeur de cloclo.
Quelques observateurs prédisent une implosion de l’UMP en cas de défaite de Sarkozy. Le vide idéologique y étant sidéral, il est en effet concevable que l’effondrement de la droite républicaine et de ses appendices centristes soit envisageable. La suite étant loin d’être jouée, car on ne peut prédire comment le PS va naviguer avec la conjoncture actuelle. A gauche aussi, l’idéologie est en berne, pas aussi sinistrée qu’à droite mais bien incapable de propulser une société nouvelle qui s’impose si on ne veut pas être balayé par les forces sismiques du système. En 1990, ce système avait perdu son immense ennemi, l’empire soviétique avec son idéologie communiste. Deux décennies plus tard, en 2010, ce même système est devenu son propre ennemi. Par une ruse de la raison venue d’on ne sait quelle dialectique de l’Histoire, le système détourne l’attention en exagérant un nouvel ennemi, l’islamisme extrémiste avec ses activistes djihadistes disséminés en Afghanistan ou en Afrique et pour corser le tout, un Iran brandi comme un épouvantail nucléaire. Sans oublier un zeste de piment avec la Corée du Nord qui lance des fusées qui ratent leur cible. Si la Chine inquiète par son énorme croissance, elle fait bien plus peur lorsqu’elle montre quelques signes d’essoufflement. Tout récemment, une croissance revue à la baisse, 8 points seulement, a suscité quelques inquiétudes sur les marchés.
Le caractère atypique de cette campagne, entre vide idéologique et agressions verbales, s’explique ainsi aisément. Aucune doctrine, aucune idéologie ne suscite un engouement, une espérance. L’européisme est enterré avec la crise, le libéralisme aussi et le communisme est loin derrière nous. Le show de Mélenchon ne doit pas nous aveugler, car cette agitation a tout d’un artefact de campagne mais rien d’un ressort profond. Le socialisme reste un recours par défaut. Bien que 2012 se place sous le signe de la chute du modèle social, tout comme en 1990 il y eut la chute du mur de Berlin et l’effondrement du communisme. Epoque suivie d’une morosité intellectuelle diffusant une douce mélancolie en Europe. La voracité du monde de la finance a eu la peau de l’idéologie libérale. Les marchés ont dévoilé leur nihilisme destructeur alors qu’un nihilisme passif du consommateur a achevé les valeurs. Bienvenue dans le désert social européen. Et occidental. Si la politique est devenue ce qu’elle est, c’est parce qu’elle a épousé le style contemporain, en s’accordant avec les aspirations citoyennes. Dans un pays où la consommation est devenue l’enjeu dominant, le style marchandise a contaminé le genre politique. Voilà le secret de cette élection 2012. Un secret de Polichinelle évidemment. Souhaitons à François Hollande d’être le capitaine avisé d’un pays devenu un Titanic fonçant sur l’iceberg du nihilisme et de parvenir à changer de cap. Ce n’est pas facile dans le contexte actuel. Le plus dur, c’est d’affronter la crise des valeurs, plus dangereuse que la crise des dettes européennes. Et la France, on peut dire qu’elle est en état de décomposition sociale. Une tendance à laquelle n’échappent aucun des pays européens. Les gens aiment l’argent et les marchandises. Adieu monde d’hier, bienvenue dans un monde incertain livré à la voracité des puissants. Le mur des valeurs qui s’oppose aux puissants s’est peu à peu effondré. Et la bêtise a envahi les citoyens. Les gens ne veulent plus s’instruire et s’éclairer.