Le sortilège de la promeneuse
Sans démarche particulière, d’une aisance naturelle, la tête légèrement penchée sur sa gauche, le regard vers le sol devant elle à la recherche des restes d’un songe inachevé. Discrètement, je la cadrai dans mon viseur et fit jouer plusieurs fois l’obturateur afin d’y capturer cette soudaine apparition. Ses cheveux jouaient librement au gré de petites brises aléatoires, une fois découvrant son visage, une fois le voilant partiellement d’où, d’une main fine et experte elle en écartait les mèches rebelles obstruant ses paupières.
Figé sur place, l’œil toujours collé au viseur, le temps suspendit son vol. La bouche légèrement et bêtement entrouverte, j’attendis que les aiguilles de Saturne reprennent leur tic tac monotone. Arrivée à ma hauteur, relevant la tête elle m’aperçut et me surprit dans cette posture peu valorisante. Loin de s’en effrayer, elle partie dans un grand éclat de rire à rendre jaloux le son des fontaines les plus claires. Moqueries direz vous ? Non, il n’y avait nulle attitude vexatoire dans ce laissé aller naturel, j’y sentis plutôt la sympathique tendresse d’une femme amusée par la situation d’un inconnu découvrant la lune…
Sans me quitter du regard, ses yeux d‘un vert hypnotique capturés dans la focale de mon objectif, elle passa à mes côtés le sourire aux lèvres et là, merci au ciel, je sentis son parfum de femme et de fleurs ce qui, pour être honnête, n’arrangea rien au trouble qui me paralysait depuis qu’elle s’était aperçu de mon piètre manège de photographe amateur. J'étais perdu dans la rêverie où nous plonge toujours l'énigme d'un beau visage. Puis s’éloignant, elle me fit un petit signe de la main en guise d’au revoir.
Le temps reprit lentement son cours. Sortant de mon inconvenante torpeur je réagis par une première et légitime action qui fut de fermer ma bouche et de cligner des yeux. Je la suivi d’un œil admiratif jusqu’à ce qu’elle disparaisse à la première courbe du chemin. Le temps d’arracher la flèche de cupidon, son curare ayant baissé d’intensité, je m’élançais dans son sillage.
Après une course effrénée d’une centaine de mètre, les reins labourés par le sac de mon matériel photo, je dû me rendre à l’évidence. Le chemin qui se perdait à l’infini du regard était vide de toute présence humaine. A droite comme à gauche, après les rangées de peupliers, il n’y avait que des champs à perte de vue. Où était-elle passée ?
Je n’avais tout de même pas rêvé, à moins d’avoir été atteint d’une quelconque et subite hallucination, je l’avais bien vue ! Sentis son parfum et gravé l’émeraude de son regard dans le mien au travers de l’objectif. L’objectif justement ! Je fouillais dans la carte numérique afin d’y récupérer la preuve de mon bon état mental. Hélas, c’était à n’y rien comprendre, sur les photos que des paysages et des vues du chemin vide de toutes âmes !
Longtemps j’ai gardé mémoire de cette journée repassant plusieurs fois le visage de cet elfe furtive sur l’écran de mes rêves, entendant encore l’écho de son rire. J’ai refait quelques fois la ballade espérant toujours son apparition mais, il n’en fut rien. Je m’en console temporairement en pensant que sans un peu d’illusion, la vie deviendrait vite insupportable car elle est parfois meilleure que la vérité et, les beaux rêves seront toujours plus doux qu'un triste réveil.
L’inconnue qui ne dure qu'un instant, Le temps d’une brève apparition, nous laisse les plus doux regrets et le merveilleux des choses inachevées où l'on se contente de souhaiter sans oser exiger et promettre sans donner. Nous passons notre vie à changer de prison, jusqu'au jour où nous rencontrons le geôlier de nos rêves…
Je tiens à préciser au lecteur qu’un des personnages de ce récit n’est que pure fiction, hélas…
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