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Accueil du site > Tribune Libre > Le sortilège de la promeneuse

Le sortilège de la promeneuse

       C’était une fin d’été poussive agonisante sous le plomb fondu d’un ciel de traîne. J’errai dans un parc inconnu près d’un cours d’eau ignoré des cartes postales. Le Nikon en bandoulière en chasse de nouvelles images qui, une fois exposées à la critique bienveillante de mes amis, flatteraient mon ego sous couvert d’une modestie de circonstance alimentée par mon seul silence quand, soudain, je l’aperçu venant dans ma direction. 

 Sans démarche particulière, d’une aisance naturelle, la tête légèrement penchée sur sa gauche, le regard vers le sol devant elle à la recherche des restes d’un songe inachevé. Discrètement, je la cadrai dans mon viseur et fit jouer plusieurs fois l’obturateur afin d’y capturer cette soudaine apparition. Ses cheveux jouaient librement au gré de petites brises aléatoires, une fois découvrant son visage, une fois le voilant partiellement d’où, d’une main fine et experte elle en écartait les mèches rebelles obstruant ses paupières.

 Figé sur place, l’œil toujours collé au viseur, le temps suspendit son vol. La bouche légèrement et bêtement entrouverte, j’attendis que les aiguilles de Saturne reprennent leur tic tac monotone. Arrivée à ma hauteur, relevant la tête elle m’aperçut et me surprit dans cette posture peu valorisante. Loin de s’en effrayer, elle partie dans un grand éclat de rire à rendre jaloux le son des fontaines les plus claires. Moqueries direz vous ? Non, il n’y avait nulle attitude vexatoire dans ce laissé aller naturel, j’y sentis plutôt la sympathique tendresse d’une femme amusée par la situation d’un inconnu découvrant la lune…

 Sans me quitter du regard, ses yeux d‘un vert hypnotique capturés dans la focale de mon objectif, elle passa à mes côtés le sourire aux lèvres et là, merci au ciel, je sentis son parfum de femme et de fleurs ce qui, pour être honnête, n’arrangea rien au trouble qui me paralysait depuis qu’elle s’était aperçu de mon piètre manège de photographe amateur. J'étais perdu dans la rêverie où nous plonge toujours l'énigme d'un beau visage. Puis s’éloignant, elle me fit un petit signe de la main en guise d’au revoir.

 Le temps reprit lentement son cours. Sortant de mon inconvenante torpeur je réagis par une première et légitime action qui fut de fermer ma bouche et de cligner des yeux. Je la suivi d’un œil admiratif jusqu’à ce qu’elle disparaisse à la première courbe du chemin. Le temps d’arracher la flèche de cupidon, son curare ayant baissé d’intensité, je m’élançais dans son sillage.

 Après une course effrénée d’une centaine de mètre, les reins labourés par le sac de mon matériel photo, je dû me rendre à l’évidence. Le chemin qui se perdait à l’infini du regard était vide de toute présence humaine. A droite comme à gauche, après les rangées de peupliers, il n’y avait que des champs à perte de vue. Où était-elle passée ?

 Je n’avais tout de même pas rêvé, à moins d’avoir été atteint d’une quelconque et subite hallucination, je l’avais bien vue ! Sentis son parfum et gravé l’émeraude de son regard dans le mien au travers de l’objectif. L’objectif justement ! Je fouillais dans la carte numérique afin d’y récupérer la preuve de mon bon état mental. Hélas, c’était à n’y rien comprendre, sur les photos que des paysages et des vues du chemin vide de toutes âmes ! 

 Longtemps j’ai gardé mémoire de cette journée repassant plusieurs fois le visage de cet elfe furtive sur l’écran de mes rêves, entendant encore l’écho de son rire. J’ai refait quelques fois la ballade espérant toujours son apparition mais, il n’en fut rien. Je m’en console temporairement en pensant que sans un peu d’illusion, la vie deviendrait vite insupportable car elle est parfois meilleure que la vérité et, les beaux rêves seront toujours plus doux qu'un triste réveil.

 L’inconnue qui ne dure qu'un instant, Le temps d’une brève apparition, nous laisse les plus doux regrets et le merveilleux des choses inachevées où l'on se contente de souhaiter sans oser exiger et promettre sans donner. Nous passons notre vie à changer de prison, jusqu'au jour où nous rencontrons le geôlier de nos rêves…

       Je tiens à préciser au lecteur qu’un des personnages de ce récit n’est que pure fiction, hélas…

       Ne négligez pas vos rêves, dans cette vie qui broie les âmes et nous lance ses noirceurs à la face, ils restent la seule lueur d’espoir d’un monde meilleur pour tous.

 


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26 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 12 novembre 2012 11:12

    Bonjour, Gabriel.

    Un personnage fantasmé dans la vie devient vite un personnage réel de son imaginaire qui, souvent, prend plus d’importance que les gens, de chair et d’os, qui nous entourent.

    Il manquait de la musique pour illustrer cette très jolie histoire. Les passantes de Brassens (sur un très beau poème d’Antoine Pol) me semble être la meilleure manière de rendre hommage à ces belles inconnues, qu’elles aient été croisées dans la vraie vie ou dans nos rêves.

    Cordialement.


    • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 11:24

      Bonjour Fergus,

      Je te rassure, un personnage fantasmé a moins d’importance qu’une personne réelle à mes yeux et mon cœur. Mais, nous n’allons tout de même par cracher sur un peu de douceur et de rêve dans ce monde qui est devenu un immense champ d’expérience de plus en plus négatives que Dieu, le diable ou le hasard brassent, aux travers des hommes, dans leurs éprouvettes.

      Cordialement


    • Yaltanne 12 novembre 2012 11:27

      Joli texte, jolie plume pour éveiller la semaine.
      Merci beaucoup :)


      • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 11:37

        Heureux qu’il vous ait plu et merci de votre lecture.


      • COVADONGA722 COVADONGA722 12 novembre 2012 11:38

        yep l’auteur , yep

        La passante d’été

        Vois-tu venir sur le chemin la lente, l’heureuse,
        celle que l’on envie, la promeneuse ?
        Au tournant de la route il faudrait qu’elle soit
        saluée par de beaux messieurs d’autrefois.

        Sous son ombrelle, avec une grâce passive,
        elle exploite la tendre alternative :
        s’effaçant un instant à la trop brusque lumière,
        elle ramène l’ombre dont elle s’éclaire.

        R M Rilke


        • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 11:49

          Bonjour COVADONGA722,

          La belle poésie germanique de Rainer. Il me vient en mémoire cette citation qui colle assez bien à la trace laissée dans nos mémoires par ces éphémères inconnues : « Il ne suffit pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent … » Merci de votre passage. 


        • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 12 novembre 2012 12:11

          Ia Orana
          Me vient cette phrase du Truffaut de « L’homme qui aimait les femmes »
          Charles Denner : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe térrestre en tous sens , lui donnant son équilibre et son harmonie ».


          • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 12:58

            Welcome Aita Pea Pea, la géométrie féminine est bien une des seules qui peut nous rendre la passion des mathématiques. 


          • Constant danslayreur 12 novembre 2012 15:30

            « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe térrestre en tous sens , lui donnant son équilibre et son harmonie »

            Des armes redoutables ouais,
            Semant désolation, bris cardiaque et même mort ... à petit feu doux (très très doux)


          • velosolex velosolex 12 novembre 2012 13:58

            Le début du texte m’a ramené les premières lignes de la chute de la maison Usher. Je cite de mémoire : « Après avoir galopé pendant toute une journée dans une morne plaine, sous un ciel bas, j’arrivais en vue de la sinistre maison Usher »....

            Et finalement l’esprit du grand Allan edgar Poe n’est pas si loin.

            Mais la photo numérique dévoile trop vite les choses. Il suffit de taper sur une touche pour visualiser tous ces clichés, et tuer l’attente, et une partie de l’imaginaire qui ne peut plus se déployer.
             Le développement argentique aurait entretenu l’intrigue, en en soulevant pas si vite ses voiles, qui sont autant celles de ce que l’on veut cacher, que celles qui nous poussent au large, sur un bateau.
            Merci pour votre petit texte qui nous permet de rêver, et de dérouler nos plus belles perspectives, celles de l’imaginaire, au delà des bouées et des balises du réel.


            • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 14:10

              Merci velosolex pour ce commentaire. Que ma modeste plume d’écrivaillon puisse s’approcher un tant soit peu de celle du grand Allan, même dans mes rêves les plus fous, une telle prétention s’apparenterait à un blasphème…


            • Fergus Fergus 12 novembre 2012 16:23

              Bonjour, Velosolex.

              Personnellement, ’y vois moins du Edgar Poe que du Alain Fournier, avec un zeste de Marcel Aymé et une pincée d’Henri Vincenot.


            • dom y loulou dom y loulou 12 novembre 2012 14:13

              et la merveille du nettoyage du smog dans toutes les capitales et partout en ce monde par les prodiges que nous apportent les obolix vous passent par-dessus la tête


              dommage, cela vous oblige à espérer au lieu de voir, de retourner à la fiction à qui l’on donne les prix littéraires alors qu’encore la génération d’avant aurait lynché les éditeurs pour une telle perversion et de taire toute vérité

              ainsi pour les glorieux spécialistes qui ne servent plus qu’à porter les mensonges du système

              honte sur eux


              • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 15:21

                Nous voilà baignant dans une fiction bien réelle étant donné qu’elle fait partie de vos rêves. Les glorieux spécialistes que vous citez ne savent plus rêver, ils sont tout bonnement morts... 


              • gaijin gaijin 12 novembre 2012 14:23

                joli texte, un peu de musique pour aller avec ?
                https://www.youtube.com/watch?v=Vt2r2rUHc7Q

                « pure fiction » ??
                je ne crois pas....... j’ai vu la même !

                « rêver aussi a réellement lieu »
                don juan matus


                • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 15:15

                  Du rêve à la réalité il n’y a qu’une irréelle frontière que l’on nomme imagination, à moins que nos rêves soient l’inconcevable vérité d’un ailleurs...


                • Lisa SION 2 Lisa SION 2 12 novembre 2012 17:22

                  Bonjour Gabriel,

                  Vous n’allez pas me croire, je l’ai aussi rencontrée... mais, comme un con avec mon sac plastique comme une grosse couille à moitié vide à la main. Je ramassais des champignons, regardais parterre et ne l’’ai même pas vue passer à mes cotés. C’est seulement quand elle a éclaté de rire dans mon dos que je me suis alors retourné et là...rien ! Rien qu’un superbe champignon que je n’aurais pas du manger puisqu’il m’a suggéré cette stupide fable.

                  une petite idée de paradis terrestre plane sur votre texte joliment illustré. Merci. L.S. 


                  • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 17:37

                    Le bonjour à vous Lisa SION 2. Le paradis est une magnifique utopie ou girofles et morilles sont servies au banquet des affamés et où la nuit porte jarretelles… Merci de votre passage.


                  • Vipère Vipère 12 novembre 2012 17:34

                    Bonjour à tous

                    Par une belle après-midi d’été, je décide d’enterrer mon compagnon, de préférence dans un endroit tranquille, éloigné de tout village.

                    La pente est caillouteuse, la voiture grimpe, grimpe dans un bruit infernal. Je n’arrive pas vraiment à me décider pour un endroit précis. La personne qui m’accompagne, non plus.
                    Finalement, on décide de s’arrêter pour voir si l’endroit est propice.

                    Je m’enfonce dans le bois, sombre et frais ; Et tout d’un coup, j’aperçois à peu de distance, sur un promontoire, un cerf avec de longs bois qui semble nous observer, dans le silence de la forêt.

                    Je fais part de ma découverte à la personne qui m’accompagne et qui n’avait rien vu et qui me traite de folle. J’insiste et là elle voit, elle aussi le cerf qui nous observe dans le silence.
                    C’est là qu’est enterré mon chien.


                    • Gabriel Gabriel 12 novembre 2012 17:53

                      Excellent choix vipère. Paix à vous et votre compagnon qui, j’en suis certain, d’où il est, apprécie la vue…


                    • Richard Schneider Richard Schneider 12 novembre 2012 19:26

                      Joli texte. Un côté « nervalien » peut-être ?


                      • Laminak 13 novembre 2012 01:11

                        Merci et bravo.

                        Je pensais etre le seul a utiliser l’expression ’la nuit porte jarretelle’
                        Et a


                        • Laminak 13 novembre 2012 01:13

                          cueillir des ’girofles’ :). A moins qu’ils ne s’agissent de jaunottes.
                          Lami.


                          • Gabriel Gabriel 13 novembre 2012 07:25

                            @Richard & Laminak, merci de votre lecture et de votre commentaire.


                          • magma magma 13 novembre 2012 08:05

                            moi j’ai sourtout vu blow up


                            • Gabriel Gabriel 13 novembre 2012 09:25
                              Chacun ses délires, cependant Blow up de Michelangelo Antonioni sortie en 1966 prend prétexte de la photo afin d’interpréter différents regards sur le monde. L’intrigue policière n’est que le support et le fil conducteur à ces différents angles de vues et l’idée n’est pas l’absence d’une pseudo réalité mais un transfert de réalité. Enfin, c’est comme cela que je l’analyse. Merci de votre remarque.

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