Le sperme athénien

Il n’y a aucun doute : le meilleur élève de l’esprit démocratique d’Athènes reste depuis trois ans Reykjavík et le pire Athènes. Les cancres toutefois sont légion. Faut dire que Paris, Berlin, la Haie et tat d’autres ont intérêt à jouer aux autistes, à tourner le dos au B A BA de la démocratie qui, selon l’esprit grec du cinquième siècle consiste à percevoir le régime démocratique comme le seul prévoyant un dépassement. En effet, ce n’est pas tant les élections qui déterminent ce régime mais bien la possibilité, à travers des citoyens actifs, de concevoir changements mutations et contestations inattendues. Pour être clair, si le système politique régissant le miracle grec auquel tous les politiques européens se réfèrent comme matrice démocratique était aujourd’hui en fonction notre parlement serait constitué de députés tirés au sort (tous égaux et se valant), tandis que les technocrates qui décident de notre sort, les juges, les constitutionalistes, les généraux et autres économistes seraient élus, généralement pour régler un problème précis, leur action serait jugée au résultat, et ils seraient remerciés, exilés voire exécutés s’ils échouaient. En d’autres termes, la démocratie imagine son futur collectivement accepte qu’il existe une multitude d’options (le pire n’étant jamais exclu) et choisit ses « spécialistes ». Ces derniers, une fois élus, doivent impérativement rendre des comptes, ponctuellement ou sur un laps de temps déterminé, l’honneur de leur choix impliquant invariablement des risques. Si par ailleurs ils cherchent à abuser de leur fonction ou s’adonnent à des exagérations, des dépassements de budget, des combines (et il y en avait autant qu’aujourd’hui) des abus de pouvoir ou de fonction, ils sont immédiatement renvoyés, le but ne justifiant (presque) jamais les moyens. Avec ces règles draconiennes (qui ne sont pas étrangères au miracle grec), le premier ministre grec ou italien, le ministre de l’économie allemand, le président français, le directeur de la Banque centrale européenne, n’auraient jamais eu le poste qu’ils détiennent, et nombreux ministres nationaux, juges français outrepassant leur devoir, technocrates et dirigeants européens, économistes et analystes financiers seraient ostracisés dès lors qu’il auraient émis la simple opinion « qu’il n’y a pas d’autre solution » - ce qu’ils font aujourd’hui sans vergogne -.
Bien entendu, ni Athènes ni Rome ne peuvent être considérés comme modèle et c’est pour cette raison que nous parlons ici de l’esprit du modèle démocratique athénien. Très justement Claudia Moatti, spécialiste de Rome parle, en se référant à l’œuvre Cornélius Castoriadis, du sperme de l’idée démocratique qui contient à la fois l’apogée et la décadence de la Cité athénienne. Cette descendance du possible, pour employer le terme plus proche de Walter Benjamin, nous lègue une idée qui n’a rien d’institutionnel, qui ne se réfère pas à un système de représentation, ni de fonctionnement figé. Le legs est justement la certitude inébranlable que le risque du meilleur contient celui du pire, mais que figer un système, aussi idéal soit-il, comporte énormément plus de risques. Ce message, toujours actuel, porte un regard horrifié sur ce qui se passe aujourd’hui : La science et l’art politique contemporains se refusent toute pensée alternative, préfèrent se noyer et étouffer dans leurs propres impasses, refusent catégoriquement et de manière autiste toute proposition alternative, se considèrent comme un système fermé régi par des mécanismes qui n’ont rien de politique, ostracisent non pas les mauvais spécialistes mais l’imagination, la réactivité, l’anticipation, engendrés par le réel. Mais surtout elles condamnent à la peine d’une mort lente et sans panache l’ensemble des citoyens qui, eux, conçoivent d’autres solutions.
Certains diront que cet autisme au réel n’est qu’un plan machiavélique, une volonté de cacher sous des apparences institutionnelles et technocratiques nécrosées - et utilisant la peur du Tout à destination des citoyens -, pour revenir en douce à des régimes autocratiques. Peut-être. Cependant le sperme athénien, résistant, ne s’attarde pas sur des modèles, des mythologies traitant de démocratie, des idéalisations factices et des comptines institutionnelles. Il procure la force d’imaginer, et, comme en Irlande, il finit par trouver une issue d’expression. Celle-ci, par le fait même de concevoir le réel, permet l’autonomie, l’action, la critique et le goût du risque, se pose en anti - discours, en processus pensant la démocratie en marche.
Les dites majorités (et le dites oppositions) qui se complaisent dans des systèmes fermés régis par la peur, quoi qu’elles pensent, ne font pas le poids. Car elles régissent déjà le pire, et qu’en face celui-ci n’est qu’une option, comme celle du meilleur. Comme dit très justement Hannah Arendt : On ne comprend le prestige d’Achille qu’en le regardant comme faiseur de grandes actions et de grandes paroles. En ce sens très différent de l’acceptation moderne… Seule la violence brutale est muette.
Papadimos, Merkel, Sarkozy et tant d’autres peuvent toujours parler : ils se voulaient sourds, les voilà désormais muets. Ne parlent que leurs résultats, bâtards honteux de cette violence muette. Comme en Islande, par les voies inattendues de la méthis, ils seront sanctionnés. Ce en cela que le sperme athénien reste toujours actif.
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