Le sport : reflet de la société ?
« Un esprit sain dans un corps sain », cette célèbre citation illustre toute l'importance d'un entretien du corps régulier et d'une activité sportive. Le sport est par ailleurs un puissant facteur de cohésion sociale, favorisant la solidarité entre les individus. Le capital réifie cependant toutes les sphères de la vie sociale et les activités associées : art, musique, cinéma, corps humain… Le sport n'échappe malheureusement pas à ce mouvement et en est même à certains égards son illustration parfaite.
Le sport fut un vecteur de lien social
Les anciennes municipalités communistes à l'instar de Vitry, Aubervilliers ou Montreuil ont développé un grand nombre d'activités sportives dans les quartiers, et toute une vision politique associée. Des syndicats sportifs naissent parallèlement, ainsi par exemple en 1934 est crée la fédération sportive et gymnique du travail. Suite à des dissensions à propos des relations avec le parti communiste Français, la fédération du sport travailliste est crée en 1950.
Les objectifs de ces syndicats sont alors multiples : développer la convivialité, le sport de qualité, le refus de la domination des plus forts sur les plus faibles, la critique du sport marchand, la dénonciation de son instrumentalisation par les fascismes...Il fut également longtemps considéré comme un moyen de lutte contre l'exclusion, la marginalisation et la délinquance dans les quartiers difficiles. On pourrait résumer en disant que s'oppose alors une vision du sport communautaire « spartakiste » ouvrière et populaire à une vision élitiste capitaliste orienté vers l'appât du gain et le record. La deuxième achèvera malheureusement la première à la fin des années 70 sous l'effet conjugué de la chute des régimes socialistes et de la financiarisation de l'économie.
Le sport au delà du bien être qu'il procure, remplit donc également des fonctions d'inclusion sociale qu'il serait tout à fait malhonnête de nier. Il contribue par ailleurs au façonnement des identités collectives, permettant également de renforcer la solidarité nationale.
Sport et biopouvoir
Le « biopouvoir » chez M Foucault est l'autorité normative qui s'exerce sur la vie. La fin du 19 ème siècle voit l'apparition d'un nouveau « discours » que le philosophe nomme « le dressage des corps ». La souveraineté fonctionnant autrefois selon le principe du laisser vivre/faire mourir, s'exerce aujourd'hui par le faire vivre/laisser mourir... Ainsi, si le Roi disposait du droit de vie et de mort sur ses sujets, de nos jours la souveraineté s'exerce par la réglementation de la vie et des corps. Les instituions à l'instar des casernes, écoles, prisons ou hôpitaux accompagneront ce mouvement de dressage.
Le sport devient alors une des composantes du biopouvoir, concrétisant selon Foucault le soucis de soi. Il s'inscrit dans la lignée de l'impératif moderne de se sentir bien dans son corps et donc in fine productif dans l'entreprise, étant utile dans la formation d'un esprit d'équipe au sein de grandes institutions informelles ("toyotisme" par exemple). Il est enfin un moyen de reconnaissance ou plus souvent d'identification à travers l'idolâtrie.
Dans l'Angleterre victorienne, les théories les plus nauséabondes ont le vent en poupe, c'est par exemple la naissance du darwinisme social. C'est à dire la transposition grossière et très approximative des théories évolutionnistes de Darwin aux individus avec entre autre Galton ou Spencer. Cette doctrine considère que la lutte pour la vie entre les êtres humains est l'état naturel des relations sociales. Le sport moderne où l'on érige la performance en valeur centrale et cardinale, s'inscrit parfaitement dans cette vision.
C'est donc paradoxalement en régime libéral que naît le culte du corps repris ensuite par les régimes autoritaires (à l'instar de la propagande moderne du consentement comme je le rappelais dans un autre article)
Le film « les dieux du stade » de Leni Rifensthal symbolise ce culte du corps :
Un rapport pourtant très ambigu entre pacification et violence
Selon le sociologue N.Elias, le développement du sport est un des vecteurs ayant permis la pacification des mœurs ainsi que la canalisation de la violence. C'est dans la société austère et rigoureuse Victorienne que le sport apparaît dans son sens moderne (football, cricket, aviron, rugby….). Il est à cette époque réservé à une élite aristocratique et en aucun cas destiné aux classes populaires. Il se diffusera ensuite par le commerce, le colonialisme et bien sur la guerre à l'ensemble de la planète et des classes sociales.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le sport né dans le pays des révolutions industrielles. Selon A Guttmann, l'affinité élective wéberienne entre puritanisme protestant et capitalisme s'étend également au domaine sportif.
Si les jeux de l'antiquité renvoyaient aux dimensions guerrières, religieuses et mythiques en l'honneur des Dieux, ce n'est qu'au 19 ème siècle que les notions de performance et de record apparaîtront réellement.
Quand le pédagogue sportif Thomas Anold prend la direction de l'école de Rugby et réglemente les règles du « ballon ovale » au début du 19 ème siècle, son projet vise également à effacer la violence des compétitions ... Or force est de constater que cette impétuosité est loin d'avoir disparue : hooliganisme dans les stades, racisme sur fond d'alcoolisation massive, symbolique guerrière….D'où une étrange tension traversant le monde du sport : d'une part partie intégrante du processus de contrôle des corps et du biopouvoir, d'autre part paradoxalement porteur de pulsion de mort et de violence.
L'instrumentalisation : Sport et hégémonie
L'explication de cet étrange paradoxe est probablement à chercher dans l'instrumentalisation dont le sport fait l'objet ainsi que dans l'illusion qu'il procure aux déshérités. Selon le Baron de Coubertin « la première caractéristique de l'olympisme est d'être une religion. En ciselant son corps par l'exercice, l'athlète antique honorait les dieux. L'athlète moderne fait de même : il exalte sa race, sa patrie et son drapeau. ». La compétition internationale se conforme ainsi souvent aux hégémonies du moment, aux rapports de force ainsi qu'à la loi du plus fort.
En 1934, La dictature de Mussolini est à son apogée, le pays s'apprête à envahir l'Ethiopie en expérimentant de nouveaux gazs sur les populations. La deuxième coupe du monde de foot aura pourtant lieu dans le pays du Duce, les posters de propagande représentent Hercule arborant le salut fasciste et la violence est omniprésente sur le terrain. L'Italie gagnera le tournoi contre les Tchèques, épisode symbolisant l'enjeu dorénavant politique et idéologique du sport . Jules Rimet président de la fifa résume ainsi cette compétition internationale : « durant cette Coupe du Monde le vrai président de la Fédération Internationale de football était Mussolini ».
En 1976, Videla renverse la gouvernement progressiste de Péron et établit une dictature sanglante en Argentine... Les arrestations et exécutions sommaires se multiplient... Deux années plus tard a lieu la coupe du monde de football dans ce même pays et le dictateur l'instrumentalise habilement à son profit. Le pays remportera la finale face au Pays-Bas, revers difficile pour les intellectuels ayant appelé au boycott de lacompétition…
Par ailleurs, pour de nombreux jeunes des classes populaires à travers le monde, le sport est à leurs yeux un moyen d'aspirer à l'ascension sociale et potentiellement de s'extirper de leur condition précaire. Le salut ne s'opère alors plus par l'école ou le savoir mais par le sport. Ainsi, on peut établir un parallèle entre le sport et les jeux d'argent (souvent liés aux compétitions sportives) : en procurant un rêve illusoire aux classes dominées, ils permettent aux classes dominantes de pérenniser leur domination en annihilant toute contestation sociale. Il occulte également l'urgence des politiques publiques volontaristes dans les banlieues, reléguant ironie de l'histoire ces questions aux calendes grecques.
Sport et marchandisation
Le sport est donc fortement lié à la géopolitique internationale et à ses vicissitudes. La financiarisation de l'économie et le passage à une société où le désir est porté au pinacle, entraînent également une marchandisation croissante du sport.
Le sport est un formidable marché : 80 % de la population déclare pratiquer un sport, 15 millions de licenciés, l'équipe se vend chaque jour à 300 000 exemplaires, les grands matchs rassemblent des millions de téléspectateurs ... En 1997 par exemple, le marché public des équipements sportifs représentait 6 % du PIB français...
Si le lien entre club de sport et entreprise a toujours existé (par exemple entre le FC Sochaux et Peugeot au début du 20 ème siècle), il n'en demeure pas moins qu'une véritable révolution s'est produite à la fin des années 80 : avant les clubs tiraient l'essentiel de leurs revenus des billets.
La Juventus de Turin, le Lazio Rome, Manchester ou encore l'Ajax Amsterdam rentrent en bourse, ce qui permet de lever des fonds très importants et intègre par conséquent le sport dans le nouveau capitalisme actionnarial spéculatif. Des milliardaires vont également s'immiscer dans des clubs, le plus emblématique investissement sera celui de l'honnête et vertueux oligarque Russe Abrahamovitch (qui rappelons-le doit sa fortune au trading sur les matières premières)
Selon le soiologue Jean-Marie Brohm, le sport est devenu une force obscurantiste légitimant l'idéologie capitaliste par son injonction au dépassement de soi. Ainsi le sport moderne apparaît comme un cercle vicieux, il naît en effet du capitalisme et s'appuie ensuite sur les valeurs sportives dans son développement.
Ainsi le sport symbolise à la fois "l'eros" et le "thanatos", l'instinct de vie quand il se destine à un entretien physique ou est porteur de solidarités. En revanche l'instinct de mort quand il se confond avec le capitalisme, l'accompagne ou le renforce en jouant le rôle du divertissement "pascalien". Aujourd'hui il semblerait néanmoins que le « thanatos » l'emporte sur « l'eros »...
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