Lu Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick, avec beaucoup d’intérêt. Je commence à connaître cet auteur, et deux constats peuvent être faits :
1. Philip K. Dick décrit un monde très urbanisé, où la technologie occupe une place prépondérante.
2. Les personnages de Philip K. Dick et l’auteur lui-même, d’après différents éléments biographiques, sont très sensibles à la beauté féminine, aux charmes féminins en général.
On pourrait croire qu’il s’agit là de deux faits indépendants. L’objet de cet article est de soutenir qu’il s’agit au contraire de faits étroitement corrélés.
En un mot : plus la femme est située dans un univers urbanisé, plus elle est attirante pour l’homme. La femme, comme tout le reste, change de statut selon le milieu où elle se situe. J’ai longtemps habité à la campagne, poursuivit-il. Le rapport à la jeune fille, et l’image que la jeune fille a d’elle-même, n’est pas du tout le même qu’en ville. La jeune fille est intégrée à la nature, elle est dépassée par quelque chose de plus grand qu’elle : la mer, les roches immémoriales. Son comportement est naturel, humble, spontané, elle est incluse dans le flux universel et ne se détache pas vraiment pour l’observateur.
En ville, tout change. C’est un univers d’objets, régi par une seule loi : la fonctionnalité. Quel que soit l’objet sur lequel le regard se pose, il a une fonction, il est censé remplir un désir ou un besoin de l’homme. La femme, plongée dans ce milieu, en acquiert fatalement les caractéristiques : elle devient objet, susceptible d’une utilisation, en l’occurrence l’acte sexuel. Elle se détache fortement par rapport à un univers métallique et froid. Tout concourt à accroître prodigieusement son potentiel d’attraction. Elle le sent, et son comportement se modifie en conséquence.
Il faut donc bien comprendre que le désir moderne n’est plus du tout l’expression d’un instinct naturel. Il est la conséquence de la nature technicienne de l’univers que l’homme s’est bâti.
Tout concourt à illustrer cette thèse. Plus l’environnement urbain est dense, plus le taux de divorce est élevé. C’est un fait, tu peux vérifier. Et le genre cyberpunk lui-même, pour en revenir à Philip K. Dick, est systématiquement peuplé de créatures féminines hypersexualisées : il suffit de penser à Total Recall, Ghost in the Shell, tout l’univers manga en général, le cinéma de David Cronenberg, etc.
Ainsi, contrairement à une idée répandue, le désir sexuel est la chose la moins naturelle qui soit. C’est un phénomène socialement déterminé, comme tous les autres. Maintenant, réfléchis à la place phénoménale que la technologie a prise dans nos vies depuis vingt ans. Et poursuis le corollaire quant au statut de la femme. Je me suis promené dans les rues de nos villes dans les années quatre-vingt-dix. Je me souviens. Cela n’avait rien à voir. Les jeunes filles étaient silencieuses, intégrées au reste de la population, la société était plus uniforme, et de fait plus unifiée. Aujourd’hui, les jeunes filles sont bruyamment démonstratives lorsqu’elles sont en groupe et en public, elles sont le centre du monde et elles le savent, en revanche elles sont presque apeurées lorsqu’elles se trouvent en situation d’isolement ou de proximité avec un homme, elles se vivent comme des proies potentielles. Ce n’était pas comme cela avant.
Tout ceci explique la résurgence actuelle du féminisme, qui au-delà du désordre idéologique qui le décrédibilise, possède en réalité des sources profondément légitimes. Les jeunes femmes sont dans une position intenable dans notre société, soumises à des injonctions contradictoires, et elles ne sont jamais appelées à se considérer en tant que sujets, avec la dignité et la liberté qui en découlent.
Mais, comme toujours, nous subissons une dérive sans nous interroger sur ses causes. Tout cela est vraiment navrant, et il fallait que je le dise, pour essayer, qui sait, de changer un peu les choses.