Le syndrome de Penelope
Résiste
(prouve que tu existes)
La politique française est malade.
Ivre de sexisme, gâtée par la corruption, folle de sa propre déconnexion du peuple qu’elle gouverne censément.
Combien d’hommes politiques expulsent des mots maladroits dès lors que l’un d’eux est pris la main dans le string d’une députée, combiens d’élus condamnés à de multiples reprises évoquent la nécessaire sévérité du jugement dès lors qu’il ne s’applique pas à leur pomme moisie, combien de candidats n’évoquent même pas le réchauffement climatique dans leur programme, alors que tous les signaux sont au rouge et que la communauté scientifique s’alarme des premières décisions désastreuses prises par l’agent Orange de la Maison blanche ? (et on fera comment quand y’aura plus de planète, champion ?)
La politique française est malade de n’avoir aucun projet cohérent : capable de se battre pour des routes recouvertes de panneaux solaires et de reculer devant les bonnets rouges, capables de promouvoir dans le même élan la protection de l’environnement et le CETA, capable de se faire prendre en photo avec du rouge à lèvres le lundi pour défendre les droits des femmes et de harceler son attachée parlementaire le mardi.
Moi-même, j’en suis malade. Tout désormais me paraît entaché d’un doute dès lors qu’il s’agit de politique. Si en plus, cher lecteur et à l’instar de ton serviteur, tu as le malheur de lire le Canard Enchaîné toutes les semaines, il est difficile de ne pas considérer que notre monde politique est en roue libre.
Comment en est-on arrivé là, me direz-vous ? Comment « homme politique » est-elle devenue la « profession » (parce que l’on peut désormais et malheureusement la désigner ainsi) la plus détestée, sans doute coincée entre trieur de M&M’s et proctologue pour éléphant ?
Le désenchantement
Après, deux quinquennats à s’ingénier à ne pas mettre en œuvre le programme qui les a fait élire, voire en s’asseyant allègrement sur le vote populaire – comme lors du fameux TCE –, nos deux derniers dirigeants ont réussi l’exploit de ne rien faire (ni dans un sens, ni dans un autre) alors qu’ils n’avaient même pas l’excuse de la cohabitation. Car finalement, s’agissant d’économie, qu’y a-t-il de plus similaire que la soupe pseudo-libérale d’un nain surexcité et étouffé par son propre égo, si ce n’est celle de Flanby ? N’ont-ils pas tous deux tenté de relancer l’économie mollement en accordant de plus en plus de baisses de charges aux entreprises avec les résultats que tout le monde a pu constater ? Blanc bonnet et bonnet d’âne.
Depuis tant d’années maintenant, le chômage augmente, le pouvoir d’achat est en berne et le nombre de français vivant sous le seuil de pauvreté explose, tandis que les dividendes versés par les multinationales augmentent régulièrement et que les rémunérations des conseils d’administration explosent.
Aucune modèle alternatif n’émerge et, pire, on continue à rabâcher à longueur d’ondes à quel point les entreprises « souffrent », le reste n’étant que conséquence de ce mal originel. La lutte des classes serait donc un combat d’arrière-garde alors même que les inégalités n’ont jamais été aussi prégnantes.
Pourtant, aujourd’hui, la fracture entre nos « représentants » et le peuple n’a jamais été aussi grande. 45% de la population ne sait pas pour qui voter à deux mois de l’élection, il ne se passe pas un jour sans que la presse ne révèle une affaire et la moitié de la population est persuadée que des hommes complotent dans l’ombre pour faire élire un candidat sans programme, ex-banquier de chez Rotschild – le plus anti-système qui soit, donc (d’ailleurs, il a fait une alliance avec Bayrou, si c’est pas une preuve, ça). Enfin, lorsque l’on interroge un de nos chers représentants sur le coût de la vie, ils montrent leur totale ignorance du prix de la baguette ou du fonctionnement d’un bureau de Poste.
Mais le pire dans tout ce marasme dépressif et ce gouffre qui sépare la politique du peuple, la cerise sur le gâteau de cerises si je puis dire, c’est que plus les hommes politiques s’enfoncent, plus ils semblent vouloir s’accrocher.
La soupe doit vraiment être bonne.
La parabole du dopé
Je me souviens d’un reportage il y a quelques années sur le Tour de France où les gens sur le bord de la route étaient interrogés concernant les soupçons de dopage et les « affaires ». Je ne sais pas s’il y eut un tri quelconque effectué parmi ces quidams, cependant on ne pouvait ignorer que la totalité des témoins trouvaient que, tout de même, « on en faisait trop ». La beauté du sport et de l’effort était plus importante que la réalité de cet effort et que ce qui se passait backstage. Car, en effet, comment imaginer que les coureurs auraient pu continuer à parader ainsi s’ils n’étaient chargés comme des mules ?
Eh bien maintenant, lorsque j’entends un électeur de Levallois-Perret, je me rappelle de ce bon vieux gars sur la route du col du Galibier qui disait « oh mais lâchez-nous la grappe, on s’en fout des affaires ! ». C’est pas Balkany qui vous dira le contraire, mon p’tit gars.
Au XXIème siècle, dans la plupart des pays – ainsi que dans la plupart des partis à gauche d’Alain Juppé –, une mise en examen signe l’exil ou la fin d’une carrière politique, alors que pour un candidat LR – ou FN –, il s’agit juste d’une ligne sur un CV.
Alors oui, la gauche a eu Cahuzac, Thévenoud, et j’en passe, mais au moins, eux, ont été foutus au placard.
Que voulez-vous. Il faut croire qu’on en fait trop et que le peuple aime bien voir des candidats corrompus, du moment qu’ils grimpent bien les cols.
Il faut croire surtout que nous méritons nos candidats hors-sol qui ont tellement profité du système que cela leur semble naturel et ne comprennent même plus ce qui leur est reproché quand on les prend la main dans le pot à confiture (François, si tu m’écoutes, je crois que t’as du sourcil à te faire).
Si l’on savait déjà que le moteur de l’électorat frontiste était la colère – et donc, peu enclin à se dérouter de sa candidate, même engluée dans les affaires –, nous avons découvert récemment que la majorité de l’électorat de droite n’avait pas peur de se renier quand la victoire était en jeu. Peu importe finalement la probité du candidat, tant qu’il permet de faire barrage à la « gôche » et autres assimilés.
Mais quelle « gôche » ? Là est la question.
Le syndrome de Penelope
Ce syndrome est une pathologie bien connue des pédopsychiatres car elle touche les enfants qui, à l’instar de la compagne d’Ulysse qui défaisait la nuit ce qu’elle faisait le jour, effacent durant la nuit ce qu’ils ont appris à l’école le jour.
C’est cependant, on le sait désormais, un mal partagé avec la grande majorité de nos hommes politiques qui font beaucoup d’efforts pour ne pas mettre en œuvre le programme qui les a fait élire – Pédalo, ennemi de la finance, si tu nous écoutes – ou s’évertuent à détruire l’image qu’ils avaient patiemment construite. Ainsi donc, Fillon se voulait le monsieur propre de la politique, le père-la-rigueur qui allait nous faire serrer la ceinture, boucher le trou de la sécu, augmenter la TVA, et que la justice allait blanchir. Las, il a aujourd’hui une image plus corrompue que celle d’un élu des Hauts-de-Seine et il a reculé sur à peu près tous les dossiers où il se déclarait intransigeant (manquerait plus que sa femme s’appelle Penelope…). Dans une campagne en perdition, Fillon se met même à faire du FN en désignant comme responsables les journalistes et les juges, insinuant qu’il serait victime d’un complot et que la justice serait aux ordres du pouvoir en place – on connaît la rengaine. Comme si cela pouvait masquer la réalité des faits… Comme si, à l’instar de l’élection américaine, il ne suffisait plus que de récupérer la colère du peuple pour pouvoir être élu. Comme si, finalement, seule la forme était importante – quelqu’un qui crie doit forcément avoir quelque chose à dire, non ? –, peu importe que cette colère soit juste ou pas.
Tout ceci sent la fin de règne, le sauve-qui-peut. Le système serait-il donc à la limite du burn-out ?
Hors-système ?
En parlant du « système » – qu’il conviendrait probablement de définir correctement –, la quasi-intégralité des candidats se veulent hors-système. Mais ils ne sont pas hors-système car ils sont le système. Ils s’y nourrissent, le perpétuent et n’ont qu’une hantise : que celui-ci s’écroule. C’est pourquoi, une fois au pouvoir, ils font en sorte de ne rien changer – ou alors de manière cosmétique et visible, à l’instar de N. Sarkozy et des multiples couches de lois pénales qu’il a accumulées sous le coup de l’émotion populaire suite à un fait divers et sans aucun résultat. La vérité est qu’ils font probablement exactement ce pour quoi ils ont été élus, même s’ils tentent maladroitement de nous convaincre du contraire. Ainsi, les élites – banquiers, assureurs, grands patrons en général – qui les ont mis en place et ont financé leur campagne peuvent prolonger leur accumulation de blé peinard : rien ne sera fait pour les déranger. On continuera à faire croire qu’il suffit de donner un peu plus d’argent à cette caste pour que miraculeusement l’argent ruisselle vers le bas (cela a si bien fonctionné jusqu’à maintenant), on continuera à faire plaisir au bon peuple en lui donnant quelques scandales et en jetant en pâture qui a eu le malheur de ne pas être assez discret. Les banquiers, eux, continueront à dormir sur les deux oseilles.
C’est par où la sortie ?
Le problème pour nos élites est que cela commence à craquer d’un peu partout et que les vieilles recettes marchent de moins en moins bien.
Il est vrai que cela arrange beaucoup de monde de croire que l’on vote Trump parce que l’on est un peu mou du bulbe, sans voir qu’en face ce n’était pas très glorieux non plus, et que, plus qu’un vote d’adhésion, ce sont les élites et les politiques d’austérité réitérées sans cesse qui ont été massivement rejetées. Ces élites condescendantes qui n’acceptent la vox populi que lorsqu’elle va dans le bon sens.
Alors oui, en France aussi, la tentation est de plus en plus grande d’attendre que le nous percutions le mur qui se dresse. Laisser les populistes prendre le pouvoir, ce qui provoquerait sans doute une petite guerre civile, un krach boursier ou quelque chose d’approchant, lorsque ceux qui les ont mis au pouvoir se rendront compte qu’ils seront les premiers touchés. Attendre que les deux ou trois degrés supplémentaires que nous générons par nos politiques commerciales polluantes jettent des centaines de millions de populations dans l’exil obligatoire – vous croyez qu’ils iront où, tous ces gens, hein ?
Cette attitude est plus que tentante car finalement, seule la transition sera rude et peut-être pourrons-nous alors reconstruire quelque chose de différent sur les ruines du monde ancien. Pourquoi pas.
Il existe une autre tentation cependant.
Celle de déconstruire tout ce merdier petit à petit (il ne s’est pas construit tout seul, n’est-ce pas ? Suffirait peut-être de trouver la marche arrière). D’investir de nouveaux champs d’actions – au niveau local notamment –, de réinvestir notre vie de quartier, de parler à nos voisins – et même de les inviter à l’apéro quand on est timides (l’alcool abat des murs de silence) –, d’essayer à notre petite échelle d’accorder nos actions à nos convictions, de tenter d’imaginer tous ensemble un nouveau modèle de société pour qui voudra en faire partie.
Cette tentation existe. Ce n’est pas celle de l’espoir, mais celle de l’envie.
L’envie d’arrêter de donner nos voix à des élus corrompus ou qui ont profité d’une manière ou d’une autre du système. L’envie de dire à nos représentants, qu’ils soient de gauche, de droite, du haut ou du bas, que dès lors qu’ils sont condamnés, ce n’est plus la peine qu’ils se repointent devant nous (sauf s’ils aiment les coups de pied au cul). L’envie de contrôler nos élus et ce qu’ils font des enveloppes qui leur sont accordées.
Vous trouvez que je suis bien-pensant ? Que mon discours sonne bobo ? Que c’est du blabla ? Eh ben, je vous emmerde (et profondément en plus). Je préfère qu’on se dise qu’on se déteste, c’est plus sincère et on perd moins de temps. Parce que oui, je suis pour le règne de la transparence. Je suis pour la transparence, parce que malheureusement pour tous les planqués, on a essayé l’opacité et la confiance, et ça a pas fonctionné des masses.
Oublions les sondages, qui se sont de toute façon plantés dans les grandes largeurs dans toutes les dernières élections et votons pour ceux qui, au moins un minimum, nous donnent envie. Arrêtons de nous intéresser à l’image, lisons ces putains de programme – oui, oui, même celui de Cheminade (*).
Et décidons-nous sur des bases concrètes. Oublions le vote utile, votons avec le cœur.
Je vous disais tout à l’heure que la soupe était bonne pour nos politiques et qu’il n’y en avait pas beaucoup à refuser ce potage, je vous propose donc à tous d’en être la couille.
Quitte à aller dans le mur, autant le faire correctement.
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(*) preuve que la politique peut encore faire rire.
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