Le trafic d’armes en Irak et la responsabilité américaine
L’annonce le second week-end de novembre a fait l’effet d’une bombe. Normal, il s’agit d’armes. 190 000 « armes de poing » destinées à la police irakienne auraient disparu dans la nature. L’annonce sonne bizarrement : ce n’est pas la première fois que ça se produit, ou qu’on l’annonce. C’est donc plutôt une bombe à retardement. Oui, mais cette fois on a un coupable tout trouvé : un Irakien, bien entendu, chargé de les stocker et de les distribuer, paraît-il.

Et ç’est là ou ça coince. Car l’affaire ne date pas vraiment d’hier. En août dernier, déjà, le Washington Post affirmait que 110 000 mitraillettes AK-47 et 80 000 pistolets Glocks avaient été volés . C’était bel et bien la même info. La AK-47, c’est la célèbre Kalachnikov, le Glock un redoutable pistolet mitrailleur tirant du 9 mm Parabellum. Si vis Pacem, Para bellum, c’est bien connu. À part que là-bas, en Irak, la paix, on la cherche toujours.
Selon la BBC, les mitraillettes évaporées sur 3 ans représentent le 1/3 de ce qui aurait été distribué. 19 millards de dollars ont pourtant été accordés depuis 2003 à la sécurité de l’Irak par le Congrès américain. Sur ces 19 miliards, les armes en représentent 2,8. Une belle somme. Sur ce qui reste encore, le général Petraeus a dû reconnaître qu’il n’en avait livré que les 2/3. Aujourd’hui, il manque donc plus de 9 milliards de dollars, envolés ou plutôt dérobés sur place. Pendant ce temps, bien sûr les attentats redoublaient dans l’ensemble du pays.
Pourquoi donc la presse américaine revient ce week-end sur cette affaire ? Parce qu’un coupable, cette fois, a été localisé... après six mois d’enquête. Six mois pour découvrir que c’était l’armurier sélectionné par l’armée américaine, Kassim Al-Saffar, lui-même ancien de la guerre Iran-Irak. Au demeurant une belle boucherie, que le monde entier a largement ignorée. Selon les journalistes du New York Times, Al-Saffar s’était transformé en simple magasinier, offrant contre espèces sonnantes (en l’occurence des billets verts) ses armes en dépôt à, je cite, « des militaires irakiens, des gardes de sécurité d’Afrique du Sud » (tiens, les afrikaners et leurs troupes de la mort ont repris le travail ?) ou des « contractants américains ». Et ce jusqu août 2005, date à laquelle Saffar a quitté le pays (fortune faite ?). La révélation est de taille : l’armée américaine a fait avec Al-Saffar ce qu’elle a fait dans d’autres domaines, à savoir le recours à une entreprise privée... sans exiger en retour de contrôles sur les livraisons. Aucun contrôle : on tombe de haut ! Les Américains, inventeurs du code barres pendant la guerre 39-45 chez Boeing (pour le B-17, le premier avion à dépasser le million de pièces !), n’ont pas été fichus de les apposer sur les armes distribuées dans le pays qu’il disent vouloir contrôler ! On croit rêver ! On rêve effectivement, tant la suite est encore plus alarmante.
Laisser filer dans la nature plus de 100 000 kalachnikovs dans une région où c’est l’arme traditionnelle, qu’on manipule dès qu’on a passé l’âge de ne pas reculer en la tirant, c’est-à-dire assez tôt (moins de 14 ans !) est tout simplement... irresponsable. La notion de sécurité du pays, le credo bushiste, on s’assoit littéralement dessus en laissant profiférer pareille panoplie ! Quelle peut en être la raison ? C’est simple, il n’y que deux cas possibles :
- 1) les gens qui le font en tirent un profit financier directement.
- 2) le meilleur moyen de saboter un pays pour y prendre le pouvoir définitivement est d’y entretenir sciemment le chaos.
La première hypothèse, tout le monde s’en doute. Ceux qui pourraient croire encore que l’intervention américaine n’est qu’une belle opération visant à rétablir le progrès et la démocratie dans le pays n’ont qu’à regarder les comptes en banque florissants des principaux dirigeants américains qui l’ont décidé, cette guerre. Jamais un Rumsfeld ou un Cheney n’ont réalisé autant de profits personnels. Halliburton, Carlyle, le précurseur, Exxon (l’ancienne maison-mère de Condolezza Rice) sont les principaux bénéficiaires de contrats de fourniture à l’armée américaine, avant même la date d’invasion de l’Irak. Ces dirigeants sont assez cyniques en effet, pour avoir déclenché une guerre d’où ils pourraient tirer davantage de profits que si leur pays était resté en paix. C’est monstrueux, mais c’est comme ça : ce gouvernement (ou ses anciens membres) ne contient que des milliardaires. Même Colin Powell l’est. Et si le trafic d’armes ne suffit pas, autant se rendre à la banque directement. Le 23 septembre 2005, 1 milliard de dollars en petites coupures à ainsi disparu ... du minstère des Finances irakiens. À l’époque, on affirmait que cet argent devait servir à acheter des armes à la Pologne... des AK-47. Ce qui fut le cas quand même, avec on ne sait aujourd’hui quel argent... à part celui de l’armée américaine (et de ses contribuables) !
La seconde hypothèse est celle de l’entretien, jusqu’à ce que mort s’ensuive, de l’extermination des populations locales, aidées à s’entre-déchirer ethniquement, de manière à ne plus pouvoir représenter de poids dans les décisions gouvernementales. Ça paraît farfelu, mais au rythme des explosions à Baghdad et ailleurs, la population du pays baisse sérieusement, en dehors de tout exode à la périphérie. Attiser les haines intercommunautaires, c’est aussi ne présenter comme seule porte de sortie possible un gouvernement fort... en forme de dictature, avec restriction des droits fondamentaux, caméras partout, arrestations arbitraires, etc. Les 20 000 prisonniers irakiens détenus sur place sans jugement, à la manière de Guantanamo, en sont la preuve. Le palais de la dictature est en cours de finition, c’est l’ambassade américaine, autre gabegie et folie bétonnière dans un pays juste capable de s’alimenter en courant une heure par jour. À quoi bon croire que la paix va revenir en édifiant pareille forteresse ? On paye des gardes pour surveiller les poteaux électriques, mais on est incapable de fournir l’électricité, ce n’est pas le moindre des paradoxes irakiens. Les Américains, venus pour apporter l’ordre, ont apporté le chaos. Pire, ils l’entretiennent... scientifiquement !
Les deux théories se tiennent, sinon se complètent. Selon Ted Nordgaarden, un soldat alaskan sur place, au dépôt principal de munition, et adjoint du responsable des policiers irakiens, pour lui, tout était nickel « la plupart des camions quittaient l’armurerie sous escorte de l’armée ». La « plupart ». Sachant qu’un apprenti-policier à Baghdad (qui risque sa vie comme traître pour certains) gagne 200 dollars, par mois et qu’un seul Glock se négocie 800 au marché noir... calculez... etc. Certains militaires américains, qui trouvaient que ça n’allait pas assez vite, pour se servir eux-mêmes et détourner les arrivées de matériel..., ont même foncé directement à l’aéroport, et pris les armes sans disposer des papiers officiels nécessaires : le soldat américain a semble-t-il lui aussi des fins de mois difficiles... (ses supérieurs aussi, voir plus loin). Des soldats vendants des armes à leurs propres ennemis ? Ce ne serait pas la première fois comme fait de guerre surprenant. La guerre entraîne le marché noir, invariablement. À part qu’à Baghdad ce sport a pris des dimensions inconmensurables. Pour l’instant, l’honneur est sauf, car dans tous les communiqués officiels américains on remarque cette phrase insistante « à cette date, aucun soldat américain n’a été tué avec ces armes ». Le communiqué de l’armée l’établissant est grotesque : une balle de 39 mm de calibre 7,62 mm n’a pas à ce qu’il semble de numéro de série, à ce que je sache. Oser fournir ce communiqué, c’est déclarer que ce n’est donc pas si grave que ça. Les tirs ne doivent concerner que les Irakiens entre eux, sans doute. Et en même temps admettre qu’il y a du coulage de matériel de guerre sur une grande ampleur, qu’on le sait, et qu’on ferme les yeux.
Irakien, donc, le responsable présumé des détournements ? Ça tombe bien, ça évite de parler, par exemple, de American Logistics Services, devenu depuis Lee Dynamics International, qui a touché un contrat de 11 millions de dollars pour construire 5 entrepôts d’armement en Irak, en béton, et les gérer. Depuis, l’armée américaine a suspendu leur contrat. À l’arrière même des entrepôts, on trouvait de simples containers de bateaux appartenant à Al-Assan, qui y faisait là son commerce à ciel ouvert d’armes détournées. « Plein de camions sortaient sans aucune autorisation », note un responsable local de l’approvisionnement de la police irakienne. On y rencontrait dès 8 heures chaque matin le colonel Levonda Joey Selph, de l’armée américaine. Venu pour prendre le thé, sans doute, les Irakiens étant les maîtres en la matière. L’individu est aujourd’hui ciblé par une enquête de l’armée sur ces activités délictueuses. Le hic, c’est que c’est un adjoint direct du général Petraeus, le grand responsable des armées en Irak, chargé de veiller au bon fonctionnement de la nouvelle armée irakienne. Cette armée nouvelle d’Irak s’entraîne à Kirkuk, grâce à un contrat de 48 millions de dollars du Pentagone emporté par Grumman, l’avionneur (?) dont le dirigeant est.. Donald Rumsfeld lui-même. « L’homme qui a privatisé la guerre ». Parmi les « entraîneurs », on retrouve en 2005 une figure bien connue des médias américains : Bernard Kerik, reconverti dans le métier après être resté quelques mois responsable du Homeland Security de W. Bush. L’homme est aujourd’hui... en prison aux États-Unis, il s’est rendu au autorités... plombant ainsi sérieusement la candidature de Rudolf Guliani, qui en avait fait le responsable de sa police new-yorkaise. (Oui, pendant le 11-Septembre également). Kerik est... un ancien repris de justice devenu chef de la police de New York. Ne souriez pas, nous, nous avons eu comme ministre de l’Intérieur... Charles Pasqua, ancien fondateur du SAC.
Disséminer les meutes en armes et crier ensuite au loup, il semble que la technique soit au point : le 29 août 2007 à 11 h 49 exactement, un mois à peine avoir perdu 200 000 armes, les Américains les retrouvent... Enfin, presque : dans un communiqué laconique ,« Washington somme Téhéran d’arrêter d’armer les insurgés irakiens. Depuis plusieurs mois, l’administration américaine multiplie les avertissements à l’encontre du régime iranien, qu’elle accuse de soutenir militairement les insurgés irakiens... ». Des AK-47 « iraniens », on parie. On trouverait dessus des inscriptions l’indiquant que ce serait parfait... Un code barre iranien, le must ! On peut aussi songer à cette étrange info survenu en 2004 : à Tikrit, des marines découvrent un stock de 100 000 kalachnikovs neuves, dont 80 000 cachées, selon eux, dans un hôpital. Les soldats qui assistent au transfert ont « les mains rouges de graisse », observent les militaires sur place, tant le matériel est intact. Le lendemain, on les retrouve soit chez Saffar, soit dans la rue, aux mains des « insurgés ». Pleines de graisse rouge. Un très bon article web (cf. ref. en bas de l’article) explique en détail les relations louches entre l’armée américaine et des franges armées manipulées. « A cursory look into some of the covert activities of the SAS, along with the equivalent Delta forces in the US, involving terrorist groups again reveals the fact that the British and US establishments are not engaged in fighting a war on terror, they are perpetuating the terror as part of their overall agenda ». L’idée développée dans le texte est la manipulation de l’opinion pour aboutir à un conflit avec... l’Iran , accusée d’amener des armes aux insurgés. L’auteur invoque le rôle trouble des SAS anglais en Irlande, et les méthodes qui sont les mêmes.
Mais les armes neuves (ou usagées !) viennent aussi d’ailleurs. D’un pays inattendu, coalisé de l’occupation de l’Irak, et responsable d’un scandale comme on a en rarement vu en matière de livraison d’armes. L’historique du contrat d’armement signé entre ce pays et le pouvoir irakien en place est à se rouler par terre. Même un film de Lautner fait sérieux, en comparaison. C’est tout simplement... hallucinant !
En réalité, les AK-47 de la nouvelle police irakienne viennent de Pologne, pays choisi par W.Bush pour installer ses missiles, en échange de donner du travail à l’industrie militaire polonaise. Et ce, « à la polonaise », ces vieux habitués des trafics de vodka et de matériel soviétique en tout genre : la commande de 36 hélicoptères et 600 véhicules passée, les contractants polonais fournissent des hélcicoptères d’origine russe vieux de 25 ans minimum (des Mil Mi-24 « Hind » dans un état de délabrement incroyable) et des voitures (neuves) pour la police made in Pologne, à savoir munies d’un blindage prétendu meilleur que celui des Humvees... L’engin s’appelle le DZIK (« sanglier »), c’est une simple camionnette Iveco entourée de tôles plus épaisses, dérivée d’une voiture de maintien de l’ordre. Ça se distingue davantage encore dans la version « pick-up », nommée « cargo ». Une fabrication made in Poland : 4 tonnes 1/2, monté autour d’un moteur de 150 ch, celui d’une voiture de tourisme ordinaire, le tout vendu 167 000 dollars (seulement) à la police irakienne. Juteux contrat, des autos mitrailleuses bricolées au prix des Ferrari. Aux premiers essais les journalistes américains ont été incapables de franchir une pente, l’engin se retournant comme un crêpe, et le moteur calait au moindre effort. Explication du constructeur : « The engine size was their decision, » raconte-t-il. « We adjust to the client’s requirements - and cost was a factor for them. » 150 ch pour 4,5 tonnes, l’engin a du nerf, c’est sûr, et en Irak les routes sont toutes en bon état, c’est bien connu également. Le journaliste essayeur relate que le moteur est l’équivalent d’une Mazda Miata (pour faire avancer un sorte de RangeRover blindée !). Beaucoup moins puissant que le véhicule dans lequel Rumsfeld traversait Baghdad en 2004 : lui prenait un autre IVECO, le Rhino Runner 2 de Labock technologies construit aux États-Unis. « 23 Passenger Armored Bus 2006 model available in black or sand-colored CARC paint ». « Valable en deux couleurs, noir ou »sable« » et résistant à tout impact, dit le dépliant. La firme fait aussi dans le bus scolaire blindé, un must à l’américaine. Détail à savoir : l’engin américain, qui a aussi servi à amener Saddam Hussein à son tribunal, est doté d’un moteur de 240 ch, le double ou presque du « sanglier ». Dernier détail, quand les militaires et les policiers irakiens ont déballé leur DZIK flambant neufs, ils ont eu l’idée de tirer dessus à la Kalachnikov, comme ça, pour voir. La balle à traversé l’engin, comme elle traverse un Humvee. La vie d’un policier irakien ne vaut pas plus cher que celle d’un militaire américain. Et l’acier polonais... pas plus performant que les gilets pare-balles américains, dénoncés avec brio par un sénateur américain, partisan du plus performant (mais non testé par l’armée !) Dragon Skin. Pour mémoire, parmi les objets « égarés » par les militaires américain figurent 115 000 casques et autant de gilets pare-balles...« normaux ».
En fait, l’intégralité du contrat d’armes passé aux Polonais repose sur une escroquerie gigantesque. Au départ, en 2004, ce devait être Bumar comme firme, puis ce fut... Nour, une société installée... en Virginie ! Pour quoi elle ? Parce que la société, au dernier moment, annonçait un tarif imbattable (350 millions de dollars au lieu de 500 pour tous les autres !). Elle avait surtout été fondée par Huda Farouki, grand ami de... Ahmed Chalabi, l’actuel président du congrès irakien. Ce n’était pas son premier coup d’essai : lors des contrats Task Force Shield, destinés à protéger les champs de pétrole irakien, sa société avait eu, en août 2003, une large part du gâteau total, estimé à 147 millions de dollars. On lui en avait octroyé 42,8 millions pour entraîner 6 000 gardes pour protéger cette fois l’inftrastructure électrique du pays. Déjà, à cette époque, des AK-47 avaient disparu, comme les ordinateurs servant à la formation. Les dirigeants irakiens en place sont corrompus, on le savait, mais à ce point ! Ils ne font en fait que répéter leur modèle américain, qui profite financièrement de la guerre ! Finalement, des sénateurs américains vont faire dénoncer le contrat en 2005, qui va revenir... à la case départ, et donc à Bumar, en Pologne (qui renâcle alors à accueillir les missiles américains sans compensations). Six ministres irakiens font alors défection et quittent le gouvernement avec grand fracas : ils prennent aussitôt l’avion pour l’étranger, à se demander pourquoi... cette fuite aussi rapide. Les frères terribles polonais annoncent eux qu’ils vont accueillir les missiles américains, au grand dam de Vladimir Poutine : ils ont obtenu les compensations en ventes d’armes à l’Irak qu’ils souhaitaient.
Fournir, c’est bien, mais il faut aussi livrer sur place : c’est l’ancien ministre de la Defense irakien Hazem Shaalan qui dirige Bumar à Baghdad, et qui se choisit son propre adjoint comme responsable des contrats. Avant de fournir pour tout ce matériel militaire, notre homme, Ziad Cattan, n’était qu’un « simple vendeur de voitures d’occasion polonais, installé à... Baghdad ». « Avant encore, il n’avait vendu que des chaussures et des fleurs » comme il l’avoue lui-même en interview. Sidérant. Le voilà bombardé responsable d’un budget de 400 millions de dollars. « Ziad Cattan was a Polish Iraqi used-car dealer with no weapons-dealing experience until U.S. authorities turned him into one of the most powerful men in Iraq last year - the chief of procurement for the Defense Ministry, responsible for equipping the fledgling Iraqi army ». Le voilà en effet devenu par la grâce américaine une sorte de vice-ministre de la Défense.
Cattan avait passé 27 ans en Europe avant de rejoindre l’Irak... 2 jours seulement avant l’invasion américaine. Tous ses contrats, signés avec l’accord de Paul Bremer, le « proconsul de l’Irak » l’ont été avec une clause particulière d’exemption d’en référer au ministère de la Défense américain. Les« appels d’offres » américains atterrissent invariablement sur de bien étranges cibles, des sociétés sans aucune expérience préalable surtout. Toujours est-il que Bumar hérite à nouveau du contrat, fourgue les DZIKs calamiteux déjà décrits (600 véhicules !) et les hélicoptères promis, tous d’origine russe. Pour ce qui est des hélicos, une délégation de pilotes irakiens venus tester les Hind polonais reconfigurés à St-Petersboug, via Bumar... les a déclarés inaptes au vol. Tout juste bons à servir de curiosité aux Américains en goguette, qui adorent les piloter en cachette. Un peu vexé, le président de Bumar, Roman Baczynski a bien proposé en échange des Mil-17 de transport à la place, dont 8 exemplaires ont été construits de 1978 à 1986. On voudrait se moquer du monde qu’on ne ferait pas mieux. On équipe royalement la police ou l’armée irakienne de pièces d’archéologie aériennes et des véhicules blindés façon camionnettes de livraison, en se faisant un argent monstre au passage. Mil recommande de « scraper » ses hélicoptères au bout de 25 ans. Le plus récent proposé en avait 28 (NB : en france, nos derniers vaillants Super-Frelons de 1979 vont partir à la retraite... mais ce n’étaient pas des hélicoptères d’attaque... et leur entretien était fait avec grand soin).
On peut encore ajouter des fusils-mitrailleurs, des MP5 anglais (d’Heckler et Koch, qui équipent le Raid français) cette fois, le nec plus ultra en matière de compacité et d’intensité de tir. Le contrat stipule une vente à 3 500 dollars l’unité. Quand les policiers irakiens les déballent, ils éclatent... de rire (jaune). Les engins fournis sont de pâles copies égyptiennes, vendues à peine 200 dollars l’unité au marché noir de la mort, à Baghdad même. On ne s’arrête pas là : les balles de kalachnikof, dûment comptablisées par des petites mains polonaises sont vendues 16 cents l’unité. La balle se négocie partout dans le monde entre 4 et 6 cents. Les soldats américains se font tuer, mais ils ont au moins la satisfaction de constater que ça a coûté plus cher à l’administration américaine. Les morts, aux États-Unis, ont la valeur du plomb qu’ils ont dans le corps, c’est bien connu. Au marché noir de Baghdad, un fusil d’assaut AK 47 est vendu 25 dollars, un fusil léger américain modèle M-16, 84 dollars, un lance-roquette RPG-7, 350 dollars, et une mitrailleuse lourde anglaise Tommy à cylindre 42 dollars. On est loin, très loin, des tarifs annoncés aux contribuables américains. En France, on trouve des RPG-7 et 54 Kalachnikovs quand les policiers dénichent une cache de grand banditisme dans le Var. L’engin idéal pour s’attaquer aux convoyeurs de fond. L’essaimage irakien a des retombées jusque chez nous, contrairement à certains lecteurs d’Agoravox qui voudraient circonscrire le conflit à ses simples frontières. Un article récent assez effrayant du Monde indique que l’armement des banlieues françaises est loin d’avoir cessé. À la base, on retrouve les fuites d’armes du Kosovo. À la tête du trafic, un Croate, Radomic Micic, 42 ans, surnommé « Mitza » et deux Bosniaques, toujours en fuite. Leur stock d’armes impressionnant était planqué à Buverchy, un petit village discret de la Somme. Des armes et des « complets croates », ce qui signifie des faux papiers. Extrêmement inquiétant pour la politique intérieure française.
Et ce n’est pas fini : pour livrer le tout, on fait appel aux « Antonov de la mort », le surnom d’une compagnie très spéciale, Aerocom, détenue par un personnage incroyable, Victor Bout, fiché à interpol. Dans le monde, quand un Antonov 8, 12, 24, 26, 30 où 32 s’écrase, c’est-à-dire relativement souvent, étant donné le peu de maintenance qui prévaut chez Aerocom, une chance sur deux pour qu’il lui appartienne à la... Moldavie, pays d’origine de la société. Non, nous ne sommes pas dans le Sceptre d’Ottokhar de Hergé. L’homme est de tous les trafics d’armes à travers le monde. Ce sont ces avions qui ont fourni les premiers lots de AK-47, prélevés sur le stock de prise d’armes de la guerre des Balkans. On dénombre 350 000 armes de ce type qui ont transité par cette voie aérienne. Des prises de guerre... revendues au tarif fort, avec l’assentiment de l’Otan, qui a laissé circuler librement les avions de Bout. Ces derniers, en 2002, avaient exporté des AK-47 de la Serbie vers le Nigeria de la même manière.
Tous les moyens sont bons pour détourner l’argent. Parfois, il ne s’agit même pas d’armes. En juin dernier, le magazine AviationWeek révèle un autre beau scandale. Une firme alaskane, Shee Atika Languages LLC, a obtenu le 5 juin 2007 un contrat de 250 millions de dollars pour fournir des traducteurs à l’armée américaine, qui paraît-il en a bien besoin à Baghdad. La société censée se trouver dans... le Maine, à Rumford, au 94 River Street, Suite 300. Un journaliste qui a essayé de la contacter a constaté qu’il n’y avait personne à cette adresse. Le Special Operations Command qui a accordé le contrat est incapable de la localiser depuis. À côté se trouve pourtant une autre firme de traduction, International Management Services, qui a reçu, elle, 704 millions de dollars pour faire la même chose en Afghanistan. Et juste à côté encore Worldwide Language Resources. Les trois sociétés, en fait, partagent la même adresse postale. La première a été créée par un ancien agent des forces spéciales (Delta, comme par hasard), Lawrence Costa, la seconde par son fils, Stéphane, et la dernière par la veuve de l’ami de Costa, John Shaw, lui aussi ancien des forces spéciales. À eux trois, ils se partagent presque 1 million de dollars. Si la dernière possède bien une centaine d’employés, IMS n’en a que... quatre.
La guerre américaine a donc un coût pour le contribuable américain. Un groupe indépendant vient juste de l’évaluer. On en est à 611,5 milliards de dollars. Pour mémoire, il faut savoir que ça correspond à 530 jours d’essence gratuite pour tous les automobilistes américains (qui en consomment 1 453 598 125 litres par jour), ou à 17 fois le montant de l’assurance santé accordée cette année par l’administration Bush, ou à nourrir et éduquer la part la plus pauvre du monde pendant 7 années.
Des mitraillettes usagées vendues comme neuves, des prises de guerre revendues sous le manteau, des soldats qui revendent à l’ennemi leur propre matériel, des copies vendues à la place des neuves, des véhicules blindés en carton ou presque, des hélicoptères brinquebalants pour défendre le pays, des gilets pare-balles passoires, des traducteurs invisibles, l’Irak fait connaissance avec les tehniques de vente et la gestion de stocks américaines, à savoir le chaos et le pillage organisé, au seul profit de l’occupant, ou plutôt de quelques mafieux qui tirent seuls les bénéfices de l’opération.
La légèreté est de mise : on fournit des milliers d’armes, mais on ne possède aucun registre l’attestant. Des millions de dollars s’évaporent sans qu’une quelconque enquête ne démarre ou n’aboutisse. Sans que les représentants élus américains ne demandent de comptes à ceux à qui ils ne font que signer des chèques en blanc, en définitive. L’armée régulière a fait place à une myriade de compagnies de mercenaires, sans que l’Etat fédéral qui les envoie ne trouve à redire. Ces mêmes mercenaires qui mitraillent les populations en maîtres absolus du territoire qu’ils sont censés protéger. En fait, c’est donc aujourd’hui bien clair : les Américains en guerre rejouent Mash constamment, avec cynisme et dédain pour les populations locales. Bientôt des clubs de golf en plein Bagdhad, au milieu des corps ensanglantés des tueries kamikazes ? Ne souriez pas... au beau milieu de l’ambassade américaine, trôneront bientôt piscine, supermarchés... mais, non, pas de parcours de golf, ils n’ont pas osé cette fois !
Précisions : la référence de l’article sur la collusion entre services spéciaux et insurgés :
http://www.prisonplanet.com/articles/february2007/040207cell.htm
Les prisonniers irakiens sont 25 800 encore "ni inculpés ni jugés" :
http://www.saphirnews.com/500-prisonniers-irakiens-relaches_a7883.html
L’article, ayant été rédigé vers le 12 novembre, n’inclut pas les références aux événements récents, qui lui donnent raison sur la circulation intensive d’armes lourdes en banlieue française. L’article du Monde déjà cité est une bonne base, à laquelle on peut ajouter Libération et cet extrait "On sait que des millions d’armes circulent en France sous le manteau, au black. Des armes de chasse et de poing qui proviennent de cambriolages ou de trafics. On sait que les trafiquants et les délinquants des cités s’en servent entre eux : il y a de plus en plus de règlements de comptes". Pour Scheidermann, ce ne sont pas des armes nouvelles, elles datent de 15 ans. A Roubaix, récemment, un jeune, Donovan, a été tué en plein jour en pleine rue. Le reportage de LibéLille est assez édifiant. "Plus facile de trouver une arme qu’un stage", dit l’un des interviewés. En essayant sur le net, on trouve vite. En suisse, tout d’abord. Un petit tour sur un forum édifiant, et on y est vite, et en France. Et on trouve. Cher, mais on trouve. Le Saiga, la AK-47 russe, au même tarif. C’est moins cher qu’un Quad ! Sidérant !
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