Le travail est-il vraiment un droit ?
En France comme partout ailleurs, des entreprises ferment qui employaient beaucoup de main d’œuvre et de nouvelles industries naissent qui en emploient très peu. La travail s’automatise de plus en plus. Est-ce une société de chômage qui se met en place ? Ou une société qui libère du temps pour vivre ?

En gestation depuis la deuxième guerre mondiale, la troisième révolution industrielle est bien là. Elle promet - ou menace, selon le point de vue qu’on adopte, de révolutionner notre relation avec le travail. Elle rompt le lien entre croissance de la production et croissance de l’emploi. Elle met à mal la politique qui prétend que la relance de l’investissement réduira le chômage. Dans un monde où de plus en plus d’entreprises sont informatisées la politique du "plein emploi" est une utopie. La question qui se pose maintenant est : la troisième révolution industrielle va-t-elle conduire à la société du chômage ou à la société du temps libre ? Conduira-t-elle à un nouvel âge d’or où nous travaillerons de moins en moins tout en disposant d’une masse croissante de richesses ? Sera-t-il possible de travailler moins pour gagner plus ?
Pour l’instant c’est le contraire qui se pratique : on ne travail plus pour produire mais on produit pour travailler. Nous sommes en train de détruire des forêts et des ressources naturelles tout en polluant la planète de plus en plus avec comme but principale de créer du travail. Cette logique ne peut mener qu’à la catastrophe. Il devrait être possible de réaliser la promesse de la deuxième révolution industrielle, notamment de différencier le lien trop direct entre travail et revenu, et de réviser l’éthique selon laquelle le sens de la vie se trouve dans le travail. Au moment où l’automatisation permet de produire d’avantage en un moindre nombre d’heures, le besoin de productions croissantes s’épuise : l’utilité de la croissance devient douteuse, même, sur le plan écologique, néfaste, tant les niveaux de production actuellement atteints comportent déjà de gaspillages. La production a déjà dépassé le niveau où elle était socialement utile et économiquement efficace, et la plupart des industries produit plus tout en réduisant leur personnel. Ils visent même précisément ce but : économiser de la main d’œuvre.
Une majorité de jeunes attend à faire l’expérience du chômage. La moitié des diplômés supérieurs restent en chômage un an ou plus après la fin de leurs études. Par la désaffection qu’il provoque à l’égard d’une vie de travail de plus en plus précaire et vide de sens, le chômage, finalement, devient un danger pour l’ordre établi. On voit alors les partisans de cet ordre réclamer "la création d’emplois" comme une fin en elle-même, indépendamment des buts que ces emplois servent : qu’il s’agisse d’armes de guerre, d’équipements de grande luxe, ou de gadgets jetables, tout est bon pourvu que cela "crée du travail".
Et si chacun avait non pas plus d’argent mais plus de temps libre pour mieux prendre en charge sa propre vie ? Nous ferions moins de travail qui nous indiffère ou nous pèse et plus de travail qui nous mobilise, nous exprime, nous épanouit. Moins de travail anonyme qu’on exécute automatiquement pour gagner un salaire et plus de travail dans lequel on donne le meilleur de soi pour obtenir un résultat auquel on tient. Il ne s’agit pas de supprimer le premier au profit du second, mais seulement de le réduire à une fraction de notre temps. Il ne s’agit pas de "déshonorer " le travail mais de distinguer le travail obligatoire auquel nous condamne la lutte pour la vie, et le travail volontaire, qui consiste à travailler à ce qui plaît. Economiquement, cela serait possible, mais la question est de savoir comment le possible peut devenir réalité. C’est la transition, non pas le but en lui-même qui pose des problèmes.
Il faudrait introduire l’égalisation des revenus ; la garantie à tout citoyen d’un minimum vital indépendamment de tout emploi ; la refonte complète du système éducatif, dans le sens non pas de diplômés-chômeurs mais d’individus autonomes capables d’un large éventail d’activités, et le développement d’un secteur d’autoproduction dans des ateliers communaux, des coopératives de quartier, des réseaux d’entraide
Toutes ces questions, cependant, ne vont pas encore au cœur du problème : pourquoi travailler ? Travailler, est-ce un besoin ? Ou un moyen seulement de gagner sa vie ? Ou une manière de s’insérer dans la société, d’échapper l’isolement et au sentiment d’inutilité ? Mais supposons que nous puissions vivre sans travailler : que choisirions nous - de travailler tout de même ou de gérer tout autrement nos occupations et notre temps ? Travail-sacrifice ; travail-drogue ; travail-justification ; travail-souffrance ; travail-ennuie - Depuis des millénaires, il est écrit que "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front". Serait-il impie de remettre en question cette nécessité ?
Une grande majorité de jeunes abordent la vie active en aspirant à un travail "intéressant" dans lequel ils puissent investir le plus clair de leur énergie. L’argent n’est pas l’essentiel. Mais progressivement, à force d’être déçue, cet aspiration s’éteint. Le travail tend à devenir un gagne-pain. L’idée même que le travail pourrait être gratifiant s’estompe. Ils commencent à penser que devoir travailler empêche de vivre. Ils se demandent si il ne serait pas possible de réconcilier le travail et la vie. L’automatisation et la technologie n’en pourraient-elles être les moyens ? Au-delà de la société du chômage, ne permettent-elles pas d’imaginer une société différente, où, le travail étant mieux partagé, tous auraient plus de temps libre ?
Nous sommes des témoins d’un double phénomène, à première vue contradictoire : d’une part une inquiétude généralisée, chez les jeunes, de ne pas trouver d’emploi et de devenir des chômeurs, et, d’autre part, dans la même classe d’âge, une désaffection croissante envers le travail et les valeurs qu’il est censé véhiculer. Voilà un système, le système capitaliste, ébranlé par la crise qu’il connait, qui se révèle incapable d’alléger la charge, parfois insupportable, de ceux qui ont du travail, pour en donner un peu à ceux qui en manquent. Voilà une industrie qui, sous prétexte de transformer la nature, est en train de la détruire. Voilà même des syndicats, qui se sont donné pour tâche d’abolir la servitude du salariat, et qui se trouvent amenés à réclamer des emplois dont l’utilité sociale est pour le moins contestable.
Le partage du travail est devenu un problème si obsèdant qu’il empêche de s’attaquer à celui du partage du capital. En somme le travail est malade. Il traverse une crise dont les aspects sont multiples : économique (le chômage) ; écologique ( la destruction des ressources naturelles) ; et culturelle (la perte de sens). On ne trouvera plus le plein emploi par la fuite en avant dans le productivisme, mais par la redéfinition du travail, incluant d’autres critères que ceux qu’utilise le système capitaliste.
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