Le très archaïque « Voyage dans la lune » de Georges Méliès
Ça crie au génie, on crie au génie, mais il y a quelques petits soucis quand même... « Le Voyage dans la Lune » de Georges Méliès est un chef d'oeuvre du cinéma. D'accord, le film de 15 minutes date de 1902, et constitue une prouesse technique pour l'époque. Mais au-delà de la forme, on peut être surpris par le thème...
Ce court-métrage nous donne en effet une bonne idée de l'esprit du début du siècle, entre sexisme, voire misogynie et colonialisme échevelé. La France domine alors l'Afrique d'ouest et l'Afrique centrale, ainsi que Madagascar, et s'est aussi arrogée l'Indochine, en plus de multiples colonies éparses plus modestes. C'est bel et bien le règne de l'Homme blanc chrétien.
Les femmes
Car il n'y a aucun doute sur le fait que les femmes soient au ban du pouvoir : le savant à l'origine de l'exploration de la Lune dans le film de Méliès, ainsi que tous ses disciples, sont exclusivement de sexe masculin, et ont tous un âge que l'on pourrait estimer supérieur à 65 ans. La connaissance, la science et ses instruments sont aux mains de ces Géronte tandis que les femmes tiennent d'autres rôles, bien délimités, ceux de servantes et de d'admiratrices. Elles apportent aux vieillards leurs instruments, leurs tenues de voyage, marchant en rang bien serré, célèbrent le départ des héros, le tout vêtues de ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui « mini-shorts ».
Même sur la Lune, censée porter une culture indigène exotique, le rôle des femmes est partagé entre service et charme : elles sont les étoiles la nuit, et entourent lascivement le roi de la Lune bien installé sur son trône lunaire.
L'étranger
Tandis que le paysage terrien est recouvert, modernité oblige, d'usines fumantes, la terre étrangère est appréhendée comme un lieu à conquérir, par des moyens qui trahissent la puissance destructrice sous-jacente, peut-être inconsciente alors. Les savants quittent la Terre par un long canon pointé vers la Lune, symbole à la fois classiquement phallique mais qui annonce aussi non-pas l'intention mais la conséquence de l'entreprise qui n'est autre que la mort.
Car d'emblée le territoire conquis est à la fois, paradoxalement, exotique, admiré, et défiguré par les Hommes. Il est d'ailleurs frappant que le premier contact des Hommes sur la Lune prenne la forme d'un vaisseau venant se planter dans la face de la Lune anthropomorphe, mutilant son œil (une coulure de sang venant souligner les dégâts).
La vaillance de l'Homme blanc face aux barbares ne tarde pas à entrer en action. Ils devront en effet se défendre, injustement agressés comme ils le seront nécessairement, par le sauvage du coin. Les habitants de la Lune prennent en effet la forme de sauvageons ne sachant pas marcher debout, des sortes de primates agités et hostiles, laids, se déplaçant accroupis. Il faudra aux Hommes blancs en tuer bon nombre. Plus d'une demi-douzaine en deux minutes, y compris le souverain de la Lune (un être de sexe masculin, bien évidemment).
Chassés par les sauvages d'une Lune où ils ont semé le chaos (notamment politique), nos savants sont accueillis en héros en France. Les dernières scènes sont saisissantes : l'un des habitants de la Lune, resté accroché au vaisseau dans son retour sur scène, est transformé en monstre de foire et en bouffon tandis qu'une statue est érigée en l'honneur de l'instigateur du voyage lunaire qui, avec un air triomphal, écrase du pied une représentation de la Lune, le visage blessé et grimaçant.
« Le Voyage dans la Lune » de Georges Méliès est visible ces temps-ci sur le site Arte +7 (http://videos.arte.tv/fr/videos/le-voyage-dans-la-lune—7537822.html)
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