Le troisième tour sera le bon !
La gauche peut encore gagner les élections... Mais lesquelles ?

A bien y regarder de près, Jacques Chirac, le conquérant, l’homme qui aura su ramener la droite au pouvoir en mai 1995, n’aura réussi à le faire que pour quelques mois. Il se sera ensuite cassé les dents, en tentant d’imposer à la hussarde une réforme de la Sécurité sociale, réforme qui aura provoqué la grève générale la plus importante de l’après-68 (plan Juppé - décembre 95), ce qui aura eu pour conséquence, la dissolution de l’Assemblée nationale (avril 97) et la cohabitation jusqu’en 2002. Puis la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002 aura fini de brouiller les cartes. Ce sont des voix de gauche qui auront permis à Chirac d’être réélu.
A bien y regarder de près, malgré la mise en scène du thème de la rupture, Nicolas Sarkozy est bien le fils spirituel de Chirac. Les deux hommes auront utilisé les mêmes armes pour arriver aux mêmes buts. Sarkozy est le continuateur de l’œuvre de reconquête du pouvoir entreprise par Chirac, après la mort de Georges Pompidou, " œuvre " qui est encore, à ce jour, inachevée.
Si Sarkozy était élu, ce serait donc la victoire d’un camp politique qui, depuis près de trente ans, est enfermé dans une surenchère permanente pour réussir à détrôner une gauche idéologiquement et politiquement dominante. Si Sarkozy était élu, ce serait l’arrivée au pouvoir de la droite la plus marquée idéologiquement et politiquement, que la France ait connu depuis soixante ans.
Par voie de conséquence, si Sarkozy était élu, ce serait pour la gauche une défaite majeure. Cela serait, en tout cas, perçu ainsi par tout un chacun et cela se traduirait très brutalement dans les urnes, lors des législatives, au mois de juin. La gauche retournerait probablement à ces scores de l’avant 68. Le " ni droite, ni gauche ", le " tous pourris ", la fascination pour les extrêmes, la quête de l’homme providentiel, la volatilité de l’opinion, toutes ces négations, tous ces enfantillages, tous ces faux-semblants qui dominent la scène politico-médiatique aujourd’hui nous disent la même chose. Ils sont, de manière paradoxale, des révélateurs de l’épuisement des combattants et de l’invisibilité des enjeux de ce combat. Il n’est qu’à regarder pour s’en convaincre, ce qui se passe du côté de la gauche de la gauche. Ces doux rêveurs se croyaient majoritaires au sortir du référendum sur la Constitution européenne, il y à peine deux ans, ils ne sont déjà plus rien, dès avant l’échéance électorale. Nous vivons le dernier acte d’un long cycle politique. Ceux qui perdront la bataille, ne se relèveront pas de leur chute.
Pourtant qu’on le veuille ou pas, le clivage droite/gauche exprime aujourd’hui comme hier, les vrais réalités du monde. Nous entrons dans une nouvelle ère économique qui est autant porteuse de transformations radicales, que celles initiées par la 1re Révolution industrielle. Les gens de gauche, dont je suis, considèrent qu’ils sont les héritiers d’une pensée politique et sociale qui aura joué un rôle central tout au long des deux derniers siècles, et qui aura conduit les hommes et les peuples à faire l’apprentissage du compromis. Cette culture du compromis est, aujourd’hui encore, la seule réponse possible aux défis de la révolution économique en cours. Ce discours très général devrait susciter, en théorie, l’assentiment de tous. Le seul sujet qui fait débat et ne cessera de le faire, c’est de savoir où se situe le curseur. Le curseur est aujourd’hui revenu du côté de la violence. La violence économique a pour corollaire la violence politique, lorsque l’on ne fait pas les bons choix. La gauche moderne, continue de se revendiquer de la social-démocratie et a raison de le faire. La droite moderne, par contre, se cache derrière le masque de l’antiterrorisme, et est revenue à ses pulsions premières. Nous la voyons à l’œuvre de l’autre côté de l’Atlantique, elle est l’affirmation de l’égoïsme des puissants, elle est la tentative de réappropriation des pouvoirs par une caste, elle est le retour de la violence sociale et de la guerre comme seul horizon politique, elle est l’aveuglement idéologique. En à peine dix ans, Georges Bush, aura réussi à détruire pratiquement tous les outils de coexistence que les peuples s’étaient donnés au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Nous en voyons les premiers résultats en Irak. Les terroristes de Bush sont la racaille de Sarkozy. La même idéologie nous mènera à la même impasse. Souhaitons que les Français sachent dire à Sarkozy ce que les Espagnols ont dit à José Maria Aznar après l’attentat de Madrid, en octobre 2004. Dehors, les pompiers pyromanes !
Mais pour l’heure, nous n’en sommes pas là, la droite est dominante. Elle est même en passe de gagner son pari. Elle surfe sur la peur et flatte les égoïsmes. Pour autant, cela ne suffit pas pour expliquer la stagnation de la gauche. Lors des dernières élections politiques nationales, les élections régionales de 2004, le total des Partis de gauche étaient de 45% au 1er tour. Pour l’heure, les intentions de vote de 1er tour se situent entre 30 et 35%. Qu’est-ce qui peut expliquer une inversion de tendance aussi lourde et rapide ? Pour ma part, je crois qu’il s’agit du référendum sur la Constitution européenne. Laurent Fabius porte une énorme responsabilité dans cette affaire. Au moment où il aurait fallu que la gauche se montre offensive, face à l’idéologie du repli sur soi, Fabius a choisi la démagogie, l’outrance et la surenchère... bref, il se sera fait l’allié objectif de... Le Pen ! C’est un non-sens complet. Faire de la politique, c’est savoir désigner ses ennemis. Il ne s’agit pas là de régler des comptes, il s’agit simplement de rappeler quelques vérités premières. A l’heure où la droite se radicalise, la place de la gauche est d’être au centre de l’échiquier politique.
Les sondages ne se trompent pas... ils nous trompent. Ce qui est en cause, ce ne sont pas les sondages en eux-mêmes, ce sont ceux qui les commandent et les financent. De 2002 à 2005, les colonnes de nos journaux étaient remplies de sondages mettant en scène l’opposition Chirac-Sarkozy, Sarkozy-Villepin, ce qui était une manière détournée d’exprimer l’idée que la gauche n’existait pas. Il aura fallu attendre le raz-de-marée à gauche des élections régionales de 2005 pour que les commentateurs de la vie politique changent leur fusil d’épaule et inventent de nouvelles... mises en scène ! Mais arrêtons-là. Il serait trop long de commenter le rôle ambigü de l’hyper puissance médiatique aujourd’hui. Lire en complément sur ce sujet : " Sondages non merci ! ", du même auteur. Quoi qu’il en soit, la volatilité actuelle de l’opinion traduit une réalité politique. Faire de la politique, ce n’est pas simplement avoir des opinions, c’est aussi les défendre. Face aux manipulations du camp d’en face, les électeurs de gauche se doivent de faire des choix tactiques. Ils doivent voter utile.
La gauche est inquiète. Certains éprouvent le besoin mortifère d’agiter en permanence l’épouvantail Jean-Marie Le Pen. C’est une erreur. Je crois, pour ma part, qu’il n’y aura pas de 21 avril bis. Plus Sarkozy sera triomphant, plus les électeurs du Le-Pen-2002, se sentiront flattés et associés à la victoire. Ils considéreront que ce sont leurs idées qui auront été gagnantes. Il n’y aura pas de nouvel élan irrépressible en faveur de Le Pen lors du 1er tour, je crois même, que son score sera moindre que ce que disent les sondages aujourd’hui (qui sont très nettement corrigés à la hausse). Beaucoup des électeurs du Le-Pen-2002, voteront Sarkozy dès le 1er tour en 2007.
Si Sarkozy est élu président de la République, la gauche est totalement défaite, nous l’avons suffisamment dit. Mais l’inverse est tout aussi vrai. Si Sarkozy n’est pas élu, la droite dans son ensemble en paiera le prix, car la droite aura fait corps avec son chef... extrême. Il est donc essentiel de voter utile dès le 1er tour, pour que le candidat de 2e tour, soit celui qui sera en capacité de faire perdre Sarkozy.
En l’état, Ségolène Royal n’est pas en situation d’être ce candidat utile de 2e tour. Les sondages qui étaient à peu près équilibrés, il y a trois mois, la donnent perdante quasi systématiquement aujourd’hui. Ce que les organismes de sondage appellent son " équation personnelle " n’était rien d’autre que l’effet de la bulle médiatique qui l’aura faite reine... d’un jour. Elle a construit son image en opposition à celle de son parti et plus l’élection se rapproche, plus sa " surface politique " se limite à la " surface politique " du Parti socialiste. Il y a donc peu de chances qu’au milieu de toutes ces contradictions elle puisse inverser le cours des choses. Elle n’est pas en situation d’attirer de nouveaux électeurs sur sa droite, ce qu’il faut pourtant faire.
Reste l’hypothèse François Bayrou. Qui est Bayrou ? Dans quel camp est-il ? Jetons un voile pudique sur le sujet et laissons-le réfléchir à la question... il a sans doute beaucoup, beaucoup de chemin à faire... avant de trouver la réponse ! Qu’il se dépêche ! Pour l’heure il nous promet d’être un monarque éclairé, et d’être un arbitre entre deux pôles cohabitants, celui de la droite et celui de la gauche. En un mot, il serait un Chirac, version 2002-2007. C’est pauvre, les Français ont déjà donné, c’est d’ailleurs pour ça qu’ils sont si fatigués de tout. Cela explique d’ailleurs probablement pourquoi, après avoir suscité un moment l’espoir, sa montée en puissance accélérée dans les sondages stagne.
Il y a une autre manière de voir les choses. Si Bayrou était élu, la droite aurait perdu. Par voie de conséquence, la gauche aurait gagné. Bayrou ne pourrait pas s’associer aux perdants. Les centristes appartiendraient, de fait, à une majorité dont ils ne seraient pas la force dominante. Le pouvoir ne serait plus à l’Elysée, il serait à l’Assemblée nationale. Les électeurs de gauche doivent aider François Bayrou à devenir président de la République. C’est aux électeurs de gauche de faire le chemin que les appareils politiques du centre et de la gauche ne sont pas en capacité de faire : inventer en un jour, la social-démocratie de demain.
Si Bayrou était élu, il serait le syndic de liquidation d’une phase politique qui s’achève. Les frontières politiques que nous connaissons ne seraient plus tout à fait les mêmes. Frontières ? C’est le thème récurent de la campagne actuelle. C’est en effet le nœud du problème. Notre système politique, tourne à vide. A l’heure de la globalisation, les pouvoirs économiques, sont de plus en plus anonymes, inaccessibles, incontrôlables. Quant à nos organisations politiques, qui s’inscrivent dans des territoires, elles ne pèsent sur rien, car la plupart des enjeux se situent justement, hors de ces territoires. Les frontières c’est le conservatisme. Diviser pour régner, cultiver le chacun pour soi, attiser la haine, c’est cela qu’ont en commun Le Pen, Sarkozy et Bush. Ils entraînent le monde dans la guerre. Ils sont un camp. Il faut mettre ce camp hors d’état de nuire. L’autre camp, il existe déjà. Ce sont ceux qui ont en commun la construction européenne. Il y a deux ans, la construction européenne a subi un sérieux revers. François Bayrou et Ségolène Royal peuvent ensemble réussir à la remettre sur pied. Ce ne serait pas une... rupture, ce serait un renouveau !
Pour ma part, je voterai Bayrou au 1er et 2e tour des élections présidentielles. Je voterai pour le candidat de gauche au moment des élections législatives qui suivront l’élection présidentielle.
Documents joints à cet article

32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON