La pêche pour la survie est progressivement remplacée par la fierté. Le combat reste loyal entre deux adversaires se respectant. L’homme gagnera le combat, mais l’épuisement l’empêchera de hisser le poison à bord. Il rentrera avec celui-ci accroché contre sa barque.
Sur le retour, il sera attaqué par des requins qui le dépouilleront. Mais sa fierté sera de ramener la tête et l’arête.
Combien de Santiago, côtoyions-nous chaque jour ?
Ce vieux routier, ayant passé plus de temps sur les routes qu’en famille. Domptant son monstre abreuvé de gasoil, dont la valeur était supérieure à sa peau.
Ce vieil instituteur, usé d’avoir abreuvé des générations de jeunes cancres. Mais si fier et humble à la fois, le jour de la remise des prix.
Et ce râleur d’agriculteur, fâché à jamais avec la technique suisse. Pas d’horaires, pas de vacances ; juste le travail. Combat contre les éléments qui peuvent détruire une récolte comme lui assurer un hiver serein.
Tous ces Santiago, ont connu la lutte contre les requins. Aujourd’hui, on les nommes des banquiers, des assureurs ou des actionnaires. Ces prédateurs modernes sont avides de chairs fraîches et nous devons les remercier, de nous laisser notre carcasse.
Le vieil homme actuel est amer. Tordu, vouté mais fier. Dans ce vieux corps ridé observez ses yeux. Ils sont limpides comme l’océan, mais rieurs comme ceux d’un galopin. Il sait !
Le vieil homme est amer. Mais il garde une richesse dans son âme de travailleur. Tous les requins du monde, ne pourront le dépouiller de cette richesse. Sa fortune, le goût du travail, il va la léguer sans impôts à ses enfants.
Le monde continuera de tourner par la grâce des Santiago. Le monde continuera à être peuplé de requins sanguinaires. Mais le monde tournera toujours.
Suis-je assez vieux pour être amer ? Je ne sais pas. Ce que je sais :
« C’est qu’un homme, ça peut-être détruit, mais pas vaincu. »