Le virus de l’inquiétude
En quoi le philosophe peut-il apporter des réponses dans la crise du coronavirus ? Et bien, seule la lecture de cet exposé permettra de répondre à cette question. L'objet de cet article est de préciser les notions de peur, de crainte, d'inquiétude et d'angoisse mais aussi celle de société et de civilisation car l'inquiétude fait son nid et grandit au sein d'une certaine société et d'une civilsation donnée. Une peur en fait naître dix autres. C'est pourquoi, il est important de ménager ses émotions, non pas en rationnalisant à tout crin, mais en s'appuyant sur la Raison et sur l'intelligence de nos émotions (qui nous parlent et nous renseignent).
D'abord, il faut dissocier les émotions et les reconnaître.
La peur, la crainte, l'inquiétude : émotions de natures différentes
Le premier critère pour les différencier est la notion du Temps.
La peur est de l'ordre du temps présent, il s'agit d'une émotion pure et simple qui est causée par un danger percçu comme immédiat et réel.
La crainte repose fondamentalement sur notre passé : elle relève du savoir et de notre expérience ; elle comporte une composante importante de passé. Un exemple : quand on dit "chat échaudé craint l'eau froide". Le chat est animé d'une crainte légitime du fait de son expérience douloureuse passée. Une part de sa crainte est objective, l'autre ne l'est pas (il n'a pas de raison de craindre l'eau froide au motif qu'il doit fuir l'eau bouillante).
Enfin, qu'est-ce que l'inquiétude ? L'inquiétude est la gestion des incertitudes. Alors que la crainte repose d'abord sur ce que l'on sait, l'inquiétude fait face plutôt à ce que l'on ignore et que l'on ne maîtrise pas.
Dans la vie, on ne peut jamais être sûr de rien, l'inquiétude est le corolaire inévitable de cette loi universelle. L'inquiétude possède un éventail de degrés assez étendu, contrairement à la peur qui est "une" ; c'est une émotion "pure et simple". On a peur, point !
En revanche, on peut être plus ou moins inquiet. Un exemple : il est dans la nature de l'oiseau d'être sur ses gardes à tous moments pour éviter les prédateurs. Sa tête bouge incessamment en tous sens du fait que sa vision est latérale. Cette inquiétude est de bas niveau mais peut monter en puissance à l'approche d'un danger et, finalement, se transformer en peur. L'inquiétude n'est pas une émotion pure et simple, contrairement à la peur. L'inquiétude se teinte d'autres émotions ou sentiments.
Le coronavirus nous inquiète légitimement.
Nous pouvons ressentir de la crainte, à savoir, comme nous l'avons dit, ressentir une appréhension liée à notre expérience et à notre savoir lacunaire. La crainte repose sur ce que l'on sait et sur la conscience que notre savoir est défaillant ou lacunaire. Cette expérience est personnelle ou collective. Il peut y avoir crainte fondée sur la gestion des crises virales précédentes dans notre pays. Il peut y avoir crainte provoquée par la mauvaise gestion des crises sanitaires dans des pays qui sont en contact avec nous. Ces exemples montrent que les craintes reposent bien sur un savoir que nous avons ou croyons avoir. La crainte s'appuie sur le savoir et l'expérience. En bonne logique et suivant cette analyse, tout le monde doit craindre le virus.
Maintenant, la peur, c'est autre chose, c'est l'exposition réelle - ou ressentie comme telle - par la conscience, à un danger immédiat ou, en tous cas, réel et imminent. Vous êtes dans un ascenceur et, en face de vous, un homme tousse comme un tuberculeux. De plus, il postillonne et vous ne pouvez pas sortir. L'émotion que vous ressentirez d'abord ne sera pas la crainte mais la peur. L'alarme est déclenchée en somme. La peur peut même se transformer en panique et en angoisse (perte totale de maîtrise des choses). Ce sont des émotions différentes de la peur qui est une émotion naturelle, saine et utile.
Quand la peur vous envahit et vous fait perdre vos moyens, le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'est plus utile, elle est même contreproductive. On voit bien donc que la panique et la peur sont deux choses différentes. Pour citer un second dicton : la peur donne des ailes. La peur a pour fonction de vous éloigner du danger. La panique, c'est beaucoup moins sûr parce qu'elle peut vous paralyser ou encore obscurcir votre jugement de toutes sortes de pensées puissantes et négatives qui ne vous aideront pas de façon efficiente.
Nous vivons dans une certaine société qui génère de nouvelles peurs
Il est bon de se rappeler que le but de la société est d’abord de nous garantir un bon niveau de sécurité et un sentiment de sécurité, voire de bien-être (souvent hélas en option !). Mais on sait qu’aucune société n’est parfaite et qu’elle ne résout pas tous nos maux. Elle lutte efficacement contre les maladies par son système de soins mais elle ne peut pas nous prémunir de tous les risques et surtout pas (pas encore ?) de la mort.
La société peut aussi créer de l’anxiété, de l’insécurité. Evidemment, cela ne fait pas partie de son pacte fondateur. C’est plutôt à ranger dans la part des impondérable et des inconvénients secondaires. Les émotions qui nous mettent mal à l'aise (peur, crainte, inquiétude) changent de nature et nous échappent quand nous vivons en société.
Et d'abord, pourquoi vivons-nous en société ?
Nous vivons en société, à l'origine, parce que nous voulons nous soustraire autant que possible de la loi naturelle qu'est la loi du fort et du faible. Les hommes font société parce que l'union fait la force face à tous ces dangers cruels qui nous menacent. L'union fait la force en somme.
C'est pourquoi, en face de la loi naturelle du fort et du faible, nous opposons la loi du bien et du mal. Derrière ces grandes notions, cette barrière, nous espérons nous protéger du chaos et de la cruauté naturelle. Cela ne veut pas dire que les premières civilisations protégeaient les faibles au nom du Bien. Pas du tout. En Egypte, par exemple, le Bien était la loi du pharaon et des prêtres. Le bien était d'obéir aux lois des castes dirigeantes, le mal était de s'en écarter. Mais, reconnaissons qu'aujourd'hui, les choses se sont quand même améliorées.
Le problème des émotions se complexifie dans la vie en société. Des réseaux propagent ou relaient, voire amplifient les craintes et les peurs. La société de l'information en temps réel et à échelle (quasi) planétaire. "Quasi" puisque certains pays sont un assez opaques et fermés (Chine, Corée du Nord...).
La question alors se pose de savoir comment rattraper une crainte infondée qui s'est répandue avant qu'elle ne provoque une peur puis une peur panique ? Mieux encore : comment prévenir à la source la génération des peurs. Les peurs, en effet font feu de tous bois et s'alimentent de tout ce qui va dans leur sens ? La réponse en tous cas n'est pas par un discours disant "la vérité (qui est une forme du bien), c'est nous !" : faites-nous confiance sans poser de questions.
L'intelligence de nos émotions
L'émotion est l'intelligence du corps. C'est par le biais des émotions que le corps nous renseigne utilement sur la conduite que nous devons envisager. L'esprit peut ensuite faire le tri dans ces émotions et voir ce qu'il en est dans les faits. Pourquoi faut-il sans cesse opposer la raison à l'émotion et inversement ? L'émotion est l'intelligence du corps et, par voie de conséquence, nous devons faire travailler ensemble ces deux formes d'intelligence. La raison et les émotions doivent toujours collaborer.
Si vous comprenez ce que vous disent vos émotions et si vous pouvez faire le tri pour ne retenir que celles qui conviennent le mieux à la situation du moment, vous ne serez pas débordé par vos affects et vous serez toujours en capacité de penser.
Conclusion
Rappelez-vous ! (petit résumé) :
La peur est liée au présent et au danger perçu comme réel. On ne doit pas laisser la peur prendre le dessus si ces conditions n'existent pas ni laisser la peur nous envahir au point de se transformer en phobie ou en panique.
La crainte repose sur ce que l'on sait par expérience (chat échaudé). Il revient donc en ce cas de faire le point objectif sur notre savoir : que savons-nous exactement (et comment le savons-nous : vérifier les sources) ? Qu'ignorons-nous (et comment pouvons-nous obtenir de l'information fiable ?)
L'inquiétude vient du fait que, même si vous gérez votre peur, même si vous raisonnez votre crainte comme on vient de l'indiquer, il subsistera toujours de l'incertitude (elle est irréductible). L'inquiétude est la gestion des incertitudes : faites comme l'oiseau - exemple donné dans cet article - qui gère son inquiétude en fonction du degré de l'incertitude et dont l'inquiétude ne se change en peur que lorsque danger est en approche. Nous pouvons réduire notre inquiétude en nous en remettant aux autorités et aux sachants et en appliquant les consignes. En plus de réduire notre inquiétude, nous rendrons service à nos semblables...
C'est un peu court ? Je n'ai pas traité profondément toutes les questions ? Certes, mais voilà pour l'essentiel. C'est un article de philosophie "express", "de crise" ! J'espère qu'il ara permis au lecteur de voir plus clair, notamment par les distnctions à opérer au sein de ses émotions. Ce n'est pas une "leçon", c'est un point de vue (étayé). Je suis prêt à en débattre avec vous philosophiquement.
Ne laissons pas le virus de l'inquiétude saper notre société ! Maîtrisons nos peurs, nos craintes et nos inquiétudes.
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