Le vocabulaire des orifices
Le vocabulaire des orifices
Sous ce titre étrange, voici un petit essai sur les mots vulgaires, obscènes, scabreux ou grossiers du vocabulaire français, mots qui servent souvent d'insultes, et qui sont liés aux orifices du corps humain, de la tête au bas-ventre, et même aux pieds. L'auteur tient à avertir ses aimables lecteurs que ce petit article regorge de mots non censurés, ce qui pourrait choquer certaines personnes. Mais qu'on se rassure : les enfants de 7 - 8 ans connaissent déjà tous ces mots — et les emploient ! L'auteur, d'autre part, n'est pas atteint du syndrome de La Tourette (dont un des symptômes est un tic vocal consistant à proférer des insultes ou des obscénités), mais essaie de faire un simple état linguistique des lieux.
Con, cul, merde, chier, enculer, dégueuler... font partie de ce qu'on pourrait appeler le "vocabulaire des orifices". En effet, si l'on considère la plupart des mots grossiers et orduriers dans le vocabulaire des insultes, on s'aperçoit qu'ils tournent presque tous, sinon tous, autour de la zone génito-anale et des orifices du corps humain.
Mais commençons par la tête. Les orifices naturels sont les yeux, les oreilles, les trous de nez (narines dans le langage commun) et, évidemment, la bouche.
Peu de choses à dire sur les yeux, Les larmes et l'adjectif larmoyant ne sont pas particulièrement choquants — sauf quand on parle de "larmes de crocodile", et il s'agit plus d'hypocrisie que de propos vulgaires. A peine notera-t-on la chassie (anagramme de chiasse, voir plus bas) et les yeux chassieux, à la vue répugnante.
Les oreilles, et leurs écoulements de cérumen (d'un mot latin signifiant cire). Ces "cages à miel" dont parle Frédéric Dard, peuvent aussi avoir un aspect et une odeur désagréables. Mais là, rien de très vulgaire.
Passons au nez plus riche, lui, avec sa morve (étymologie incertaine), avec ses reniflements et ronflements énervants, ses éternuements sismiques. Insulte rabaissante : petit morveux ! refoulant l'individu vers l'enfance. Par le nez entrent l'air, qui permet la vie, et les odeurs, c'est-à-dire la perception du réel et la connaissance des choses, avec les sentiments associés (subodorer quelque chose de louche, ne pas sentir quelqu'un, avoir quelqu'un dans le pif). C'est aussi l'entrée des odeurs, qui peuvent être agréables (parfums) ou désagréables, puantes (odeurs de pourriture, d'excréments, etc.) Voir plus bas putain.
Mais l'organe le plus riche de la tête est sans nul doute la bouche, par laquelle entrent la nourriture et la boisson, qui maintiennent la vie, et sortent différentes matières : bave, bile, régurgitations, vomi. Cela donne lieu a un vocabulaire spécial, tournant autour de la gueule (du latin gula : gorge, gosier) : on dégueule (vomit), mais aussi on engueule, on invective grossièrement, littéralement : on met dans la gueule, on dévore. Sans oublier l'adjectif dégueulasse, littéralement ce qui fait vomir, pour qualifier une action, une apparence, des propos répugnants. On parle de la gueule pour les animaux, mais pour l'homme c'est un terme grossier et dépréciatif : c'est assimiler l'homme à un animal. Mais gueule peut avoir un sens positif : ça a de la gueule, il a une belle gueule. Notons cependant le caractère animal de ces énoncés.
On vomit sur quelqu'un, on dégueule de dégoût ; mais aussi on crache : cracher de dégoût, et cracher sur quelqu'un veut dire au figuré : le déprécier, le critiquer méchamment. Cracher a des équivalents grossiers : glavioter, mollarder. Mollard vient de l'adjectif mou ; quant à glaviot, c'est peut-être une altération de glaire (glaire, du latin clarus : clair). Cracher est un geste de défense et d'agressivité, même chez les animaux : chats ; lamas, cobras cracheurs, etc.
Notons enfin que des dents mal entretenues sont le siège d'odeurs nauséabondes : puer du bec. Encore la puanteur, dont nous aurons encore l'occasion de reparler.
Si la bouche sert d'entrée-sortie à toute une série de mots grossiers, il en est de même du bas-ventre — sexe et zone anale —, qui sert lui aussi d'entrée-sortie d'un vocabulaire choquant ou licencieux.
Descendons donc plus bas, et l'on, a affaire à la zone génito-anale, sans doute la plus riche en matière de grossièretés. D'abord la sexe : la vulve (du latin vulva : vulve, matrice) est désignée vulgairement par le mot con. Ce mot dériverait du vieux français conil, lapin (grec ancien κόνικλος [koniklos] : lapin et vulve), en raison de la toison qui orne la vulve. Une autre étymologie le ferait dériver du grec kônos : creux, concave. De nos jours, on dit la chatte (le minet, le minou), toujours en raison de la toison. Avec le lapin (conil) et la chatte, on rejoint l'animalité. Quoiqu'il en soit, con est devenu synonyme de stupide. Peut-être aussi en raison du fait que le con se laisse pénétrer ?
Prenons le con, et ses dérivés (conaud, connard). Con a un féminin : conne avec un dérivé : connasse. Qu'est-ce qu'un con, une conne ? Le con, c'est celui qui ne pense pas comme nous, qui n'agit pas comme nous, qui n'a pas les mêmes "valeurs" que nous : « Ils sont complètement cons », dixit un jeune président français à propos des Haïtiens. Le con désigne donc toute personne qui n'est pas de l'avis du locuteur, qui ne partage pas ses idées ou qui n'est pas comme lui, – c'est-à-dire presque tout le monde. Le con, c'est celui qui n'est pas nous. L'enfer, c'est les autres, a dit Jean-Saul Partre (Boris Vian scripsit). Le con, c'est les autres, prétend l'auteur. Les cons forment donc la population la plus nombreuse du monde. Pour les hommes politiques les cons, ce sont les électeurs : « Donc je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse » (Georges Frêche).
Ce que disent ou font les cons habituellement, ce sont des conneries, c'est-à-dire des choses vraiment très bêtes ou nuisibles : « Quelle connerie la guerre ! » pouvait s'exclamer Prévert. Con, conne et leurs dérivés conaud, connard, connasse désignent donc quelqu'un de bête ou de très bête : Ah, qu'il est con ce type !. Dire ou faire des conneries, c'est déconner. — diminutif dec' (sans dec' = sans déconner). On trouve aussi chez Sade le verbe "enconner", qui signifie… ce que vous pouvez imaginer.
« Source vénérienne où vont boire les mâles
Fissure de porphyre (★) où frise un brun gazon,
Qui, fin comme duvet, chaud comme une toison,
Moutonne dans un bain de senteurs animales. »
Chambley (Edmond Haraucourt)
(★) pierre de couleur pourpre. Aucune allusion au philosophe néo-platonicien.
Les senteurs animale, issues des sécrétions vaginales, dont parle Chambley peuvent aussi être désagréables pour certains, à l'odorat délicat. Mais, rassurez-vous, mesdames, les hommes ne sont pas en reste avec leur sexe !
Le mot "con" est réservé pour Windaube
Le mot "con" est interdit pour les noms de fichier par Windaube, car "réservé". Windaube se réserve donc la connerie – ce qu'on (con) savait déjà. "Con" est en fait le diminutif de console (combinaison clavier + écran) chez les informaticiens.
Il existe d'ailleurs un employé de Micromou, Vincent Connare [sic], qui a créé une police spéciale : la police Comic, très utilisée. Et en anglais, le mot con signifie escroc. Cela semble évident quand on connaît les produits de Micromou.
Augmentatif : gros con, comme dans cet exemple proféré par Sofia Halal : « Les électeurs du FN sont des gros cons ! » (soit environ plus du tiers de la population française). Comme l'auteur le faisait remarquer un peu plus haut : est qualifié de con quiconque n'est pas de l'avis du locuteur, quiconque est différent du locuteur. Ça laisse peu de place à l'objectivité et à l'esprit critique.
Toujours dans le même registre sexuel on n'oubliera pas, bien sûr, la putain et la pétasse. Le mot putain renvoie au vieux français punais : puant. La putain, c'est celle qui pue (cf. la punaise, et aussi le putois, l'animal puant). Le mot putain, outre son caractère insultant, est aussi une interjection signifiant la déconvenue, la surprise désagréable, etc. : Putain, que c'est cher ! Mais pas toujours : Putain, que c'est beau ! Putain sert d'augmentatif à une émotion. Le mot pétasse, lui, dérive de péter — toujours la puanteur ! Le mot bordel, lui, viendrait de borde, cabane qui était un lieu de prostitution.
Quant à pouffe et pouffiasse, elles dériveraient de pouffe : grosse femme (déjà de la grossophobie). Pouffe est en relation avec bouffer (gonfler), mot vulgaire voulant dire : manger goulûment (on se gonfle les joues de nourriture).
Passons au masculin. En face du con, on a le membre viril, la verge ou la bite : bite vient de la bitte d'amarrage pour maintenir les embarcations à quai. Dérivés : biter ; bitable : cette meuf, elle est pas bitable. Ou : elle est imbitable. On trouve aussi la pine, dont l'étymologie est obscure (variante de pénis ? sorte de pain ?). Il existe en fait des dizaines d'équivalents pour désigner le membre viril ; nous ne pouvons tous les passer en revue. On ne parlera donc pas du zob (de l'arabe maghrébin بْ zeb : membre viril).
De la bite sortent l'urine : la pisse avec le verbe pisser ; et le sperme : le foutre, avec le verbe foutre, utilisé comme insulte : va te faire foutre ! Foutre vient du latin futuere : copuler. Le verbe foutre a remplacé le verbe faire dans de nombreux cas : qu'est-ce tu fous ici ? qu'est-ce que ça peut te foutre ? Foutre peut aussi signifier mettre (ce qui rejoint un peu le sens initial) : Le livre, tu le fous sur la table. On trouve même : j'en sais foutre rien (je n'en sais vraiment rien), etc. Et quand quelque chose est foutu, c'est que c'est fini, plus aucun espoir.
Équivalent anglais : fuck, dont les anglo-américains usent et abusent. Le mot vient de l'ancien haut allemand fôkken : saillir, couvrir (une femelle). Là, on régresse au stade animal. Ce mot a été adopté par une distinguée élue municipale franco-espagnole bien parisienne : « Fuck aux réacs, Fuck à cette extrême droite, Fuck à tous ceux qui voudraient nous enfermer dans la guerre de tous contre tous ». Notez la construction intransitive : fuck aux, fuck à…
Au bout du pénis est le gland (latin glans, glandis : fruit du chêne), ainsi appelé à cause de sa ressemblance avec ce fruit, qui sert aussi d'insulte pour désigner un imbécile : pauvre gland !, vieux gland !, avec le verbe glander : ne rien foutre, littéralement : ramasser des glands. Le clitoris lui aussi est terminé par un gland, mais qui n'a pas les mêmes extensions de sens.
Quant aux couilles, elles dérivent du latin colea : petit sac, puis testicule. Un mot innocent qui a pris une valeur obscène. Le mot couillon, qui désigne au départ un animal non châtré, est devenu synonyme d'homme mou, stupide, et c'est une insulte : pauvre couillon ! Les couilles restent à l'extérieur, et le couillon, c'est celui qui ne peut pénétrer ; il reste donc couillon. Alors que le couillard est un homme qui a de gros testicules.
Comme évoqué plus haut, la bite et les couilles peuvent être le siège d'odeurs désagréables. Encore une fois le registre de la puanteur.
Les fèces et les fesses. Passons aux fesses, maintenant, et au cul, Les fesses peuvent être un objet d'admiration ou de plaisanteries salaces, selon qu'elles sont bien proportionnées ou non. Plaisanterie : elle a réussi grâce à ses fesses. On trouve aussi : se remuer les fesses : être actif. Quant au cul, on connaît l'insulte : trou du cul, pour désigner quelqu'un de particulièrement con, ou qu'on n'apprécie pas du tout – sans que ce soit une injure spécialement homophobe. Et péter plus haut que son cul, c'est ne pas se prendre pour de la merde. Mais le mot cul n'est pas toujours péjoratif : elle a un joli cul s'emploie pour désigner une femme désirable.
Cul a donné le verbe enculer : mettre dans le cul, et traiter quelqu'un d'enculé est l'injure suprême envers un homme — allusion à ses prétendues mœurs sexuelles.
Du cul sort la merde, du latin merda : fiente. Ce mot est devenu en français une interjection omniprésente, même pour marquer la surprise ou l'admiration : merde alors ! Signifie souvent le refus : « Un général anglais [...] leur cria : Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! » (Victore Hugo, Les Misérables). Avec le verbe merder : ne pas réussir, ne pas marcher, foirer : j'ai merdé à mon examen, avoue un étudiant. A la suite de quoi, il lui faudra se démerder (se débrouiller) pour obtenir un diplôme.
Le verbe déféquer a pour synonyme chier, il est lui aussi omniprésent en français pour indiquer l'ennui, l'agacement : ça me fait chier. Et quand on a affaire à quelque chose d'emmerdant, ce n'est pas être couvert de merde, mais c'est affronter quelque chose de chiant. Substantif chiasse : j'ai la chiasse, pour dire j'ai la courante. Et une chieuse, c'est une femme qui fait chier. Quant à la chierie, c'est quelque chose d'ennuyeux ou d'emmerdant. Et l'expression avoir la tête dans le cul signifie ne plus trop savoir ce qu'on fait.
Il y a une injure espagnole : comemierda (mange-merde), à peu près équivalente de connard.
Un des principes de l'insulte est d'accoler à un nom l'adjectif sale : sale con, sale étranger, etc. Cf. aussi les insultes salaud, salope, salopard, et le diminutif humoristique salopiaud. Les salauds font des choses sales, blâmables. Et ce qui est sale, c'est surtout ce qui sort du cul (la merde) et des orifices du corps humain.
Le pet aussi sort du cul, et il est puant. Avec le verbe péter : émettre un pet : quand il parle, on dirait qu'il pète, pour indiquer quelqu'un qui parle mal. Péter peut aussi avoir un sens plus neutre : ça a pété (ça s'est cassé), péter les plombs (ne plus se maîtriser). Avec le pet, nous sommes donc toujours dans le même registre : celui de la puanteur, de l'analité, des sécrétions et émanations du corps humain. Rappelons que de péter vient le mot pétasse.
Curiosité : en argot anglais to trump veut dire péter, littéralement : émettre un son de trompette. Bien trouvé pour un président qui veut faire tout péter, à grand renfort de tambour et de trompette.
Il existe enfin des ptits trous, des ptits trous, encore des ptits trous dans le corps humain, à savoir les pores de la peau, par lesquels passe la sueur, qui n'a pas donné lieu à de grandes grossièretés. Tu me fais suer est une variante édulcorée de : tu me fais chier. Encore que l'odeur ne soir pas agréable, elle peut même être franchement répugnante (entrez dans un wagon de métro un matin de semaine !) — et l'on ne parle pas de l'odeur des pieds ! L'on retombe encore dans le registre de la puanteur. Nous avons là aussi affaire à une excrétion du corps humain.
En résumé, les insultes et les mots orduriers concernent surtout ce qui entre dans le corps humain et surtout ce qui en sort, c'est donc le vocabulaire des orifices. Insulter quelqu'un, c'est projeter contre lui une partie de son propre corps (phénomène psychanalytique de la projection — ici de la déjection), soit la partie considérée comme la plus sale, la plus puante, la plus honteuse et la plus répugnante. On se défait de sa merde et de sa saleté, qu'on ne peut supporter, sur l'autre, qui sert d'exutoire, de défouloir. Et tous les mots grossiers sont associés aux registres de la saleté et de la puanteur du corps humain, saleté et de la puanteur elles-mêmes en relation avec les orifices du corps humain.
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