Le vote RN en question
On se désole à gauche des succès électoraux du Rassemblement national. Ne vaudrait-il pas mieux s'interroger sur les raisons de ces succès et des insuccès des diverses gauches ?

Le succès du Rassemblement national dans des territoires jusqu’alors ancrés à gauche ne doit pas seulement nous atterrer mais devrait aussi et surtout nous conduire à un examen de conscience. Nous, ou plutôt les leaders d’opinion, les chefs de partis et même les responsables syndicaux. On s’est contenté jusqu’à présent d’ostraciser le Front national devenu Rassemblement national sans prendre en compte ce qui fait son succès. Certes, le RN s’est développé à partir de racines qu’on peut qualifier de « fachos » et il reste encore dans ses rangs des individus peu recommandables. Certes Marine LP est une démago aux compétences gestionnaires limitées... Mais le langage du parti a changé et même son idéologie. Ce qui révulse les bonnes âmes de la gauche intellectuelle branchée du type Glucksmann est approuvé par le petit peuple qui trouvait autrefois ses porte parole au PCF. Les observateurs de l’opinion se rendent compte que du vote sanction on est passé de plus en plus souvent au vote d’adhésion. Le RN n’est plus antisémite ou révisionniste mais il se veut radicalement nationaliste. Plutôt que de se contenter de le dénoncer pour ce qu’il serait et qu’il se défend d’être (un parti d’extrême-droite), il conviendrait de prendre en compte sérieusement ses problématiques.
Le RN se veut patriote. Ce n’est pas une tare. J’entendais récemment des vétérans américains rescapés du débarquement en Normandie dire qu’il avaient accepté de risquer leur vie « pour le pays » (« for the Country »). La force des Américains d’hier et d’aujourd’hui, c’est leur attachement au Pays. Les volontaires de 1790 s’engageaient « pour la Nation ». La gauche socialiste, se voulant internationaliste, a placé la classe sociale avant la nation. C’était louable mais artificiel. Et aujourd’hui, confrontés à la concurrence des communautarismes issus des diverses immigrations, on ne peut pas reprocher à bien des Français de redonner une place importante au sentiment d’appartenance à une nation française dont les contours sont de plus en plus flous. Les bonnes âmes ont trouvé déplacé l’amorce d’un débat sur l’identité nationale. Il est plus que jamais indispensable et l’on a tort d’en laisser le monopole au RN. De même que le drapeau – cette « petite guenille » « de la race vile des torche-culs » que vilipendait le jeune Jean Zay au lendemain de la boucherie de 14-18 – n’aurait pas dû être laissé aux seuls nationalistes de l’univers du FN ou du PCF d’autrefois. Il faut avoir passé longtemps hors de nos frontières pour se rendre compte qu’il représente autre chose qu’un leurre pour appâter les combattants de guerres criminelles.
Quant à la « préférence nationale », si elle est moralement injuste, c’est une réponse – peut-être inadaptée – au sentiment d’abandon de trop de nos concitoyens pauvres qui constatent – ou croient constater, car il circule beaucoup de « fake news » à ce sujet – que les immigrés anciens ou récents sont mieux traités qu’eux. Ce n’est pas en les montrant du doigt qu’on les détournera du RN mais en leur démontrant qu’ils se trompent et en militant pour l’amélioration de leurs conditions d’existence. Pour ce qui est de la tonalité xénophobe des discours du RN, elle est indéniable. Mais elle est alimentée par le discours idéaliste de ceux qui voient dans l’immigration, quelle qu’elle soit, une occasion d’enrichissement de la Nation. Et par les appels à la repentance permanente des porte-parole des "indigènes de la République" qui se fabriquent trop facilement une bonne conscience et une innocence démocratique. La France s’est certes constituée par l’apport de nombreux allogènes se mêlant aux autochtones mais il n’est pas évident qu’une immigration massive de populations complètement étrangères à nos habitudes et à notre mode de vie puisse être spontanément acceptée comme un enrichissement dont bénéficieraient indistinctement la France et les Français.
À vouloir fermer les yeux sur les raisons des succès électoraux du RN et de se contenter de l’ostraciser, on risque de le conduire au pouvoir et de s’en mordre les doigts – si l’on en juge par son attitude dans les quelques municipalités qu’il contrôle. Ou alors de continuer à voter pour Macron, comme on a voté naguère pour Chirac...
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON