Les 52 couvertures de Paris-Match en 2007, ou l’information édifiante
Rien n’est plus cruel pour la presse écrite que de la relire quelques semaines plus tard. Forcément, « verba volant, scripta manent », disaient les Romains, « les paroles s’envolent et les écrits restent ». Les choix des titres et des photos deviennent souvent moins pertinents qu’ils ne le paraissaient à leur publication, si tant est qu’ils le fussent alors. Cette relecture est particulièrement ravageuse pour un magazine comme Paris-Match qui s’est arrogé un magistère moral en hissant chaque semaine sur ses autels les héros et les martyrs offerts à la dévotion de ses lecteurs.

Un coup d’œil sur les 52 couvertures de l’année 2007 est un amusement salutaire. Il suffit à approcher les procédures profanes de béatification et de canonisation « paris-matchiennes » qui ouvrent droit à figurer sur sa couverture pour l’édification des naïfs.
Les saints canonisés
Sur les 52 possibilités offertes dans l’année, on constate d’abord qu’il n’y a guère qu’une quarantaine de personnalités à avoir bénéficié de cet honneur, du moins si l’on ne compte que pour une seule des personnes portant le même patronyme, comme M. et Mme Chirac ou M. et Mme Sarkozy. Ceci signifie que certaines d’entre elles ont connu le privilège de « faire la couverture » plus d’une fois : ce sont les « saints » du Panthéon « paris-matchien ».
- La palme du martyre revient au président Sarkozy, avec son épouse Cécilia, sa famille recomposée et sa nouvelle compagne : on relève dix couvertures « Sarkozy », soit une sur cinq ! L’élection présidentielle n’en est le prétexte que pour quatre d’entre elles, dont deux sont partagées avec d’autres personnalités ; les six autres relatent surtout la saga d’une vie privée agitée et mise en scène pour régaler un public frustré, avide de vivre par procuration la vie des grands.
- Mme Royal bénéficie elle aussi d’un traitement de faveur avec quatre couvertures, dont deux pour sa candidature à l’élection présidentielle jusqu’au second tour, partagées avec M. Sarkozy, et deux autres pour une vie privée presque aussi agitée.
- Enfin, Paris-Match a réservé à six autres personnalités le privilège de faire sa couverture à deux reprises :
* Un homme politique s’imposait d’abord : c’était le président Chirac. Son long règne de douze ans valait bien que l’on saluât son départ par deux fois.
* Parmi les cinq autres, certaines surprennent. Il ne s’agit pas bien entendu des « poids lourds » de l’hommage médiatique à répétition. Ils ont en commun une particularité patriotique : ils vivent en Suisse pour y planquer leur fortune à l’abri du fisc. L’étonnant, c’est que ça ne les disqualifie pas pour venir à l’occasion donner des leçons à leurs pauvres admirateurs obligés, eux, pour leur ruine patrimoniale, de demeurer de l’autre côté de la frontière. L’un est Johnny Halliday qui, parti en Suisse pour « de bonnes raisons » à la fin de 2006, revient signaler qu’ « (il) reste français » : la nation française mesure-t-elle sa chance, si on songe qu’au surplus, il a une fille, Mlle Laura Smet, dont Paris-Match sonde « le mystère » ? L’autre est un réfugié de longue date, Alain Delon, qui entretient de toute urgence le lecteur de ses amours : une ancienne, Mireille Darc, et une nouvelle, sa famille.
La promotion de deux speakerines de télévision, en revanche, est inattendue, sauf à oublier la place de ce média dans la vie quotidienne. Il s’agit de Flavie Flament qui conte ses amours et de Claire Chazal qui nage dans le bonheur sous le soleil ou entend faire connaître à sons de trompe ses bonnes œuvres. Enfin une sportive, Laure Manaudou, rejoint ce « gotha » pour les aléas d’une vie sentimentale bien tourmentée elle aussi.
Tels sont « les saints » que Paris-Match a canonisés en 2007 en les bombardant à au moins deux reprises sur sa première de couverture. À chacun d’y glaner les hautes vertus offertes à sa méditation et à son imitation, s’il le peut !
Les bienheureux béatifiés
Quant à ceux qui ont accédé au statut de « bienheureux » pour une seule figuration, la distribution se fait cette fois au profit exclusif du personnel du « show-biz », de la télévision et du sport.
Les places des politiques ont été toutes prises : il n’y a guère que Mme Rachida Dati, Garde des sceaux, qui tienne à révéler sa seconde activité d’ambassadrice de la maison Dior pour une saine administration de la Justice sans doute. Quant à M. François Hollande et Mme Mazarine Mitterrand, ce n’est qu’en tant que doublure, l’un d’une ex-épouse, l’autre d’un père célèbre, qu’ils font une apparition. L’industrie du spectacle se taille, en revanche, la part du lion : dix-huit couvertures sont réservées à des personnes du « show-biz » quand quatre et trois le sont respectivement à celles de la télévision et du sport. Hors de cette micro-faune d’amuseurs publics, la France est un désert.
- Un décès ou son anniversaire favorise cette élévation. La mort, c’est bien connu, fait taire les querelles, « On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés, chante Brassens. / Les morts sont tous de braves types ». Paris-Match salue ainsi les disparitions de Michel Serrault, Jacques Martin, Jean-Pierre Cassel, Jean-Claude Brialy, et à nouveau celle de Dalida dont on fête le 20e anniversaire de la mort.
Deux religieux doivent à leur mort de partager, eux aussi, la même gloire. L’un est un monument du monde médiatique à lui tout seul ; sa pèlerine et son béret sont vivement disputés pour se faire valoir par ceux mêmes dont la vie est en contradiction avec la sienne : c’est l’Abbé Pierre. L’autre est un prince de l’Église, ancien archevêque de Paris, membre de l’Académie française, le cardinal Lustiger.
- Quant aux vivants, leurs titres pour figurer en couverture sont changeants : ils sont à la discrétion d’un magazine à l’écoute de son lectorat dont on ne sait lequel entretient l’ébriété de l’autre.
* Offrir un leurre d’appel sexuel en s’exhibant nu est, par exemple, un argument apprécié : Polnareff en a déjà éprouvé l’efficacité en 1972 pour promouvoir son spectacle en montrant ses fesses. Il remet ça cette fois, mais dans les préliminaires d’un coït avec une compagne. Arielle Dombasle lui emboîte le pas, mais en présentant l’autre versant avenant de sa virginité. Dans le même ordre d’idées, le fait d’avoir par sa poitrine avantageuse promu autrefois une variété de soutien-gorge, accorde à Eva Herzegova une priorité bien compréhensible.
* Se distinguer en agressant sexuellement des hôtesses de l’air lors d’un voyage en avion n’est pas mésestimé non plus, pourvu qu’on soit un pilier de la télévision qui « ne se discute » pas : l’homme Delarue peut ainsi être retenu pour parler de « ses démons ».
* Être l’épouse d’un ministre en exercice est un atout appréciable qui donne du piment à une speakerine de télévision désireuse de révéler qu’ « il y a une vie après le 20 heures ». Qui en aurait douté ?
* Avoir une tronche chevelue d’homme des bois comme Chabal vous désigne tout naturellement pour représenter l’équipe de France de rugby à laquelle Paris-Match adresse sa bénédiction dans une parodie sûrement involontaire de la salutation liturgique catholique : « Que la force soit avec eux ! »
* À l’exception du duo Noah-Zidane, sacré personnalités préférées des Français depuis que l’Abbé Pierre s’en est allé, les autres ont à vendre qui un nouvel album, qui un nouveau film, qui un nouvel enfant, qui un nouvel amour toujours plus fort que le précédent jusqu’à ce que le suivant le détrône en puissance. Et Paris-Match s’empresse de recueillir de leur auguste bouche leur « confession » pour satisfaire le voyeurisme de ses lecteurs.
- C’est à cette même fin de voyeurisme que seuls quatre faits divers ou politiques sont retenus : un suicide qui endeuille la princesse d’Espagne, une otage retenue dans la jungle colombienne que ses enfants attendent depuis cinq ans, la disparition d’une fillette dont les parents sont accusés de son enlèvement ou de sa mort, une tentative d’enlèvement d’enfants en Afrique.
Tels sont les ingrédients de la pâtée « paris-matchienne » qui a été offerte à plus de 600 000 acheteurs en 2007 et donc à plus de 2 millions de lecteurs si l’on admet qu’un exemplaire est lu par au moins 4 lecteurs sinon plus, en famille ou dans les salles d’attente. Par sa pauvreté nutritive et ses éléments toxiques, cette pâtée fait penser à de la « fast-food » qui enlise et paralyse le corps dans l’obésité. Mais le « prêt-à-penser paris-matchien » vise la paralysie de la réflexion dans la gelée des idées convenues dominantes dûment calibrées.
Il y est fait à cette fin un usage répétitif de trois procédés principaux :
1- Tout d’abord, par l’apologie outrancière et incessante des princes, le premier est le leurre de l’argument d’autorité qui doit déclencher un réflexe de soumission aveugle à leur égard.
2- Ensuite, par l’entremise d’une feinte proximité propice à la confidence, le second procédé favorise la stimulation du réflexe d’identification à une star, qui joue en retour le rôle d’un prescripteur de conduite auprès de ses fans : Johnny Halliday en est l’exemple emblématique.
3- Enfin, le troisième procédé tend à susciter le réflexe du voyeurisme qui, par la sidération que provoque l’exhibition du plaisir ou du malheur d’autrui - ou leur simulation -, laisse le lecteur hagard et sans défense face aux idées qui lui sont inoculées à son insu.
Et c’est ainsi que les profanes canonisations et béatifications de Paris-Match n’ouvrent sur rien d’autre que sur « la bêtification » réfléchie du citoyen.
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