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Les affabulsificateurs

L’Histoire est écrite par les vainqueurs alors que ce sont les vaincus qui la font.

Dans la lumière, exactementLe relativisme historique est une petite chose qui trotte avec une belle constance dans un recoin de mes pensées. Je me suis souvent posé la question éminemment épineuse de savoir qui des deux fait l’autre, entre l’Histoire et le personnage historique. Questionnement récurent et important parce que l’Histoire éclaire notre présent, construit la grille à travers laquelle nous allons tenter de canaliser le flux des événements contemporains. Et c’est à travers cette connaissance que nous pouvons étayer de nouvelles utopies, construire des lendemains plus rieurs, inventer d’autres mondes, d’autres sociétés, d’autres manières de vivre ensemble, dans le sens le plus strictement arendtien qui soit.

Faut-il concentrer nos efforts sur le personnage tristement historique et le bouter hors de nos vies à coups de pieds dans le fondement ? Ou Sarko n’est-il que la sécrétion inévitable et interchangeable d’un monde qui pourrit de l’intérieur ? Auquel cas, il ne sert à rien de s’acharner sur la muleta humaine complaisamment mise à notre disposition, puisqu’il suffirait de couper cette tête-là pour qu’une autre, tout aussi déliquescente, repousse aussitôt.

Ce qui frappe le plus l’observateur éclairé d’un monde frénétique qui sombre de plus en plus profondément dans une anomie incommensurable, c’est l’absence criante et indépassable de toute proposition alternative, de tout projet de société nouveau, de toute mécanique sociale sur laquelle pourraient embrayer l’espoir et l’enthousiasme des foules. Cette pauvreté utopique dans un monde totalement soumis à un déversement continu et gigantesque d’informations diverses et variées devrait être le plus grand sujet d’étonnement de notre temps.
Comment se fait-il que de tous ces chocs de la pensée, de tous ces flux de communication ne surgissent pas la moindre petite étincelle de lumière ? Comme expliquer que la masse énorme de tous ceux qui subissent et rejettent intrinsèquement l’ordre établi actuel, que ce métapeuple dont la croissance n’a d’égale que l’intense frustration, que de tout cela ne naissent que quelques voix contestataires, quelques critiques éparses, des cris de poussins dans un chaos de souffrances et de colères ?
Où sont les rêveurs de monde, les accoucheurs de lendemains, les bâtisseurs de civilisations ?

Noyés dans le flux ? Ou étouffés dans l’œuf par une pensée totalitaire à l’échelle de notre planète ?

L’Histoire est effectivement l’héritage des vainqueurs, les autres sont oubliés, niés, dissous. Mais aujourd’hui, la chronique du temps de l’humanité est rédigée en temps réel. Et aujourd’hui, comme hier, à l’intérieur même des peuples, ce sont les gagnants qui tiennent le stylo, les accapareurs qui disposent des porte-voix suffisant pour pondre leur version des faits avant même que l’historien ne s’empare des sources, ils sont les sources, ils révisent les faits à leur convenance et en temps réel.

L’Histoire n’est même plus le fait des vainqueurs, elle est devenue elle-même l’arme de domination des masses, l’ultime propagande déshumanisante, sans recul, sans preuve, sans doute ni critique, c’est son instantanéité et son ubiquité qui nous interdisent tout questionnement nouveau, toute contestation, toute projection hors de ses cadres aliénants.

Dans le monde de l’information permanente et omniprésente, être un libre penseur, c’est s’extraire du flux, c’est interroger le silence. Et c’est seulement à cette condition, c’est-à-dire en nous réappropriant l’information, de sa production jusqu’à son interprétation, en nous soumettant à la nécessaire temporisation de l’exercice de la pensée critique, que nous parviendrons enfin à réinventer le futur.
 

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14 réactions à cet article    


  • morice morice 17 mai 2010 09:41

    Vous avez écrit quelque part que « trop d’informations tue l’information » : il faudrait je pense nuancer l’opinion : dans le cas des massacres de Fallujah, c’est l’ABSENCE d’infos qui est à blâmer. Jamais des guerres n’ont été l’objet d’une telle propagande comme celles de l’Irak ou l’Afghanistan : à Marjah, ces dernières semaines, « haut lieu de la reconquête en Afghanistan » il n’y a eu AUCUN combat. La PROPAGANDE, voilà bien le fléau ! Et pour cela, il faut au contraire informer, ce que ne fait plus le JT du 20h. La dernière en date c’est Kouchner qui pousse Clothilde Reiss des micros au moment où on pose la question de l’échange, qui ne peut pas être nié. La parole trompe, mais là pas les gestes !


    • Francis, agnotologue JL 17 mai 2010 10:55

      Naomi Klein a écrit : « Sans récit, nous sommes, comme au lendemain du 11 septembre pour nombre d’entre nous, profondément vulnérables face à ceux qui sont prêts à exploiter le chaos à leur avantage. Dès que nous disposons d’un récit capable d’expliquer ces événements choquants, nous retrouvons nos repères et le monde a de nouveau un sens ». (La stratégie du choc, p 556)

      Mais si nous ne disposons que du récit des vainqueurs, a fortiori celui des conspirateurs eux-mêmes ou seulement de ceux sont prêts à exploiter le chaos à leur avantage, alors nous demeurons profondément vulnérables.  Ceci explique entre autres, les violentes polémiques autour de la VO du 11/9.

       



      • morice morice 17 mai 2010 11:22

        Il nous suffit de dire NON, de relever la tête, de résister ENSEMBLE 


        exactement, et ça ça ne se fait pas avec des apéros géants !!! 

      • curieux curieux 17 mai 2010 13:42

        Oui, mais l’apéro peut-être un bon départ.


      • tinga 17 mai 2010 10:59

        « Où sont les rêveurs de monde, les accoucheurs de lendemains, les bâtisseurs de civilisations ? »

        Peut-être est-ce là que réside le problème, notre époque est justement la fin de cela, le sauveur, le génie, l’artiste, tous ces héros ne sont que le paravent d’une société hiérarchisé à outrance, Einstein n’est rien sans tous ses prédécesseurs, rendons ses capacités artistiques et créatrices à chaque être humain, finissons en avec cette société où la compétition mène à la destruction. 

        • alberto alberto 17 mai 2010 11:22

          Pour prolonger cet article (excellent comme dab) de Monolecte, je vous propose le petit jeu suivant : essayons d’imaginer ce que serait dans quelques décennies, l’article d’une encyclopédie historique consacré à l’épisode « présidence de Nicolas Sarkozy » !

          - Président fort décrié de son temps mais dont les réformes s’avérèrent très utiles par la suite.
          - Président en place à l’époque de la Grande Crise de la période 2008/2015 dont les intentions n’allaient pas au-delà de ses discours.
          - Ou encore : Ses mesures en trompe-l’œil ont achevé de précipiter le pays dans la pauvreté 
          - Etc...

          Amusons-nous, faute de mieux !

          Bien à vous.


          • sisyphe sisyphe 17 mai 2010 11:27

            Très bon texte, comme d’habitude.

            Cependant, je crois qu’il faut distinguer l’information, la vraie ; celle qui ferait état de l’état du monde réel, de celui des citoyens du monde, et de leur paupérisation et servilisation croissantes, et qui est singulièrement absente des canaux mainstream, et la COMMUNICATION, dont nous sommes abreuvés, envahis, gavés jusqu’à la garde...

            Ben oui, l’information a laissé place à la communication ; cette propagande sans feed-back, cette intox à sens unique, qui met sur le devant de la scène tous les leurres possibles, pour distraire de la réalité.

            Méthode qui, jointe à celle du conditionnement par la pub (soies-toi-même-do-it-carpe-diem), la « télé-réalité », les émissions « people », les concours par élimination pour devenir « une star », contribuent au morcellement du corps social en millions de consommateurs, d’individus isolés, captés (devant leur multitude d’écrans, de casques, de pseudo univers intérieurs), donc soumis et résignés à leur progressive oppression.
            L’histoire de la grenouille dont on chauffe progressivement l’eau du bain...

            Alors, c’est vrai ; la solidarité, la notion même d’intérêt collectif, nécessaire à toute mobilisation ; ne serait-ce que pour défendre les droits les plus élémentaires, a cédé la place à l’illusion de pouvoir parvenir, seul, à une hypothétique réussite, sans souci des autres...

            Le miroir aux alouettes des escaliers de la gloire a remplacé l’ascenseur social, et la société de consommation, des marques, des logos, des gadgets, et des instruments de l’isolement a transformé les peuples en masses d’individus contraints à la lutte pour la survie individuelle..

            Dans ces conditions, difficile d’envisager une mobilisation pour des solutions alternatives, des propositions pour un « autre monde » ; tant celles-ci sont immédiatement récupérées pour les transformer en slogans de pub, ou rendues, par la communication, dérisoires, utopiques..

            Le libéralisme est en train de réussir son enjeu, au delà de toute espérance, en transformant des citoyens, leur sens du bien commun, leur solidarité, leur notion du vivre ensemble, en un agrégat d’individus ne pensant qu’à sauver leur peau, dans un système devenu celui de la loi du plus fort, du plus riche, où les appâts de la « gloire » restent les seuls exutoires à un quotidien sinistré...

            Restent des propositions concrètes ; telles la vitale réforme monétaire (entre autres), qui seraient un premier pas vers un autre système, vers un monde plus juste ; mais tellement discréditées, effacées, déniées, tues par le système de communication au service des forces de l’oppression, qu’elles ne sont que des voix inaudibles dans un brouhaha de propagandes, d’intox, de voix de son maître, de leurres servant à désigner des boucs émissaires, si commodes à la division...

            Continuerons nous à nous laisser ainsi isoler, conditionner, opprimer, bafouer, exploiter, diviser, ou retrouverons nous la dignité et la force d’être ensemble pour défendre nos simples droits à une VIE décente, solidaire, fraternelle ?
            De la réponse à cette question dépend l’avenir ; non seulement de notre dignité, de la justice, mais bien, surtout, de notre survie.


            • sisyphe sisyphe 17 mai 2010 14:15

              Ben oui ; justement !

              Tout ce que vous citez n’est que compensations à un univers frustré des relations humaines, du plaisir d’être et de vivre ensemble, de la notion de solidarité, de fraternité, du sens du bien commun...

              Utopie ???

              L’utopie est de croire que ce monde LA est vivable ; enfermé derrière ses écrans, ses sms, sa faim de se gaver ; en un mot, son INDIVIDUALISME !
              Un individualisme dont on finit par crever, parce qu’on ne se donne plus les moyens, la force, l’énergie, d’agir ensemble..et que l’homme, on nous le fait volontiers oublier, est un ÊTRE SOCIAL !!

              Ben oui, le bonheur, ou la simple joie de vivre, ce n’est pas un objet de consommation, ce n’est pas une marchandise ; c’est la joie de partager, d’échanger, d’avoir des projets communs, de faire des choses ENSEMBLE !

              Mais allez-y ; continuez : consommez, gavez-vous des gadgets de la modernité, et taxez « d’utopie » ceux qui militent pour un monde simplement humain ; ceux qui vous oppressent n’en demandent pas plus ; merci pour eux.


            • sisyphe sisyphe 17 mai 2010 14:36

              Par alchimie (xxx.xxx.xxx.77) 17 mai 14:28

              Alors allez expliquer au « peuple » que seule la joie de vivre lui suffit, parce qu’il n’a pas l’air d’être au courant. Il demande plus de moyens, plus de retraite, une nouvelle réforme monétaire... toutes choses bien éloignées de votre projet.

              Eh bien, non ; justement ; c’est exactement ce que vous appelez mon « projet » !

              Que tout le monde ait les moyens de vivre décemment, que les fruits de la richesse produite soient plus équitablement répartis, l’indispensable réforme monétaire, pour changer le système, justement de répartition, et éviter le pouvoir des puissances d’oppression ; pas de bol ; c’est précisément ce que je demande, en évoquant un monde plus solidaire.

              Manifestement, vous lisez selon vos schémas préconçus, ce qui vous empêche de comprendre ce que les autres écrivent.

              Try again ...


            • sisyphe sisyphe 17 mai 2010 15:07

              Et un superbe point Pavlov, un !!

              Décidément, quand vous êtes à court d’argument, vous révélez votre vraie nature de binaire borné ; c’est con pour vous...

               smiley


            • voxagora voxagora 17 mai 2010 15:05

              Auteur,
              « .. de tous ces flux de communication.. »
              surgissent quand même de petites étincelles, la preuve : votre article.

               


              • Le péripate Le péripate 17 mai 2010 20:54

                Oui, il est urgent de s’arrêter pour réfléchir.

                Ne vous pressez pas de nous livrer le résultat de vos brillantes cogitations.

                Mais c’est bien de réfléchir. Peut-être que vous finirez par comprendre quelque chose, allez savoir.

                Je suis parti.


                • Francis, agnotologue JL 18 mai 2010 08:32

                  Quelqu’un qui réfléchit : Naomi Klein :

                  « Un système économique qui exige une croissance constante tout en refusant presque toutes les tentatives de règlementation environnementale génère de lui-même un flot ininterrompu de désastres militaires, écologiques ou financiers. La soif de profits faciles et rapides que procurent les placements purement spéculatifs a transformé les marchés boursiers, financiers et immobiliers en machines à fabriquer des crises. Notre dépendance commune à l’égard des ressources d’énergies polluantes et non renouvelables engendre d’autres crises : les catastrophes naturelles (en hausse de 430% depuis 1975) et les guerres (Irak, Afghanistan, Nigéria, Colombie, Soudan), lesquelles entrainent à leur tour des ripostes terroristes (depuis la guerre en Irak, le nombre d’attentats terroristes a été multiplié par sept). Comme la planète se réchauffe, sur le double plan climatique et politique, il n’est plus nécessaire de provoquer les désastres au moyen de sombres complots. Tout indique au contraire qu’il suffit de maintenir le cap pour qu’ils continuent de se produire avec une intensité de plus en plus grande. On peut donc laisser la fabrication des cataclysmes à la main invisible du marché. C’est l’un des rares domaines où il tient ses promesses »

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