Les Alpes-Maritimes, territoire perdu par la République ?
On a beaucoup glosé sur les zones de non droit et les prétendus territoires perdus de la République en stigmatisant volontairement les quartiers défavorisés et les populations y résidant.
Pour autant il est une véritable zone de non droit dont on ne parle pas en tant que telle, territoire esseulé et livré aux populismes locaux, où même les représentants de l'Etat semblent avoir perdu toute commune mesure : les Alpes-Maritimes.
En effet Nice et, plus globalement, les Alpes-Maritimes constituent une zone dont le non-respect du droit est organisé de façon structurelle par les autorités nationales et locales elles-mêmes.
Sans faire un inventaire à la Prévert, arrêtons-nous sur trois exemples des plus significatifs : l'entrave à la liberté de culte, les arrêtés municipaux illégaux et discriminants et la non prise en charge des mineurs isolés et la violation du droit d'asile à la frontière italienne.
1. L'entrave à la liberté de culte
Les textes sont limpides : la France est une République laïque et respecte toute les croyances (article 1er de la Constitution). La laïcité garantit à chacun la liberté de conscience, c'est à dire la liberté de croire ou de ne pas croire, et le libre exercice du culte dans le respect de l'ordre public (article 1er de la loi de 1905).
Pour autant, à Nice, envers les citoyens de confession musulmane, rien de tel. La mairie entrave délibérément différents projets de salles de prières depuis de longues années et s'acharne en procédures fallacieuses contre la mosquée En-nour (lire ici)
L'arrêt du conseil d'Etat du 30 juin 2016 (lire ici) concernant précisément l'Institut Niçois En-nour stipule que la Ville de Nice s'est livrée à "une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale" qu'est la liberté de culte.
Il n'est point de désaveu public possible plus cinglant de la politique menée par la Ville de Nice envers ses administrés de confession musulmane. Et que fait la Mairie ? Elle annonce en janvier 2017 qu'elle va contester la décision préfectorale d'ouverture de ce lieu de culte. Elle effectue ensuite un signalement au Procureur de la République qui instruit cette fois-ci sur... le financement des travaux de réaménagement du local ! Et en mai 2017, elle demande au nouveau Président de la République la fermeture de la salle de pière...
Ainsi, une liberté fondamentale est publiquement bafouée, de façon répétée, et la Ville de Nice poursuit son acharnement juridique et procédurier en toute impunité.
2. Les arrêtés municipaux illégaux
C'est devenu une spécialité politique, presque un sport local, une pratique courante, banalisée : l'arrêté municipal à l'évidence illégal, qui sera bien sûr cassé, mais qui permet de faire le buzz médiatico-électoral. Liste non exhaustive :
Mai 1997 : le Tribunal Administratif (T.A.) annule deux arrêtés anti-mendicité de la Ville de Nice
Juillet 2010 : le T.A. annule l'arrêté municipal niçois et l'arrêté préfectoral imposant aux épiceries de nuit de fermer à 23 heures en raison de vente d'alcool la nuit.
Mars 2014 : le T.A. déclare l'arrêté municipal de la Ville de Nice interdisant les drapeaux étrangers illégal et condamne la Ville de Nice à 1000 € de dommages et intérêts.
Mars 2015 : le T.A. confirme l'illégalité de l'arrêté niçois "anti-bivouac" et condamne la Ville à verser 1000 € à la Ligue des droits de l'Homme.
Août 2016 : les arrêtés municipaux "anti-burkini" des villes de Cannes, Cagnes-sur-Mer, Fréjus et Nice sont tour à tour invalidés. L'arrêt du Conseil d'Etat du 26 août 2016 précise que l'arrêté municipal de Villeneuve-Loubet porte "une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle" (lire ici).
Ces arrêtés municipaux visent systématiquement les populations jugées "indésirables" : Roms, SDF, étrangers, musulmans. Nous sommes donc confrontés à une stratégie de stigmatisation méthodique et systématique de minorités ciblées.
Le Conseil d'Etat a une nouvelle fois constaté une atteinte aux libertés fondamentales manifeste à propos des arrêtés dits "anti-burkini", dont le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme de l'ONU estime qu'ils "stigmatisent les musulmans" et "alimentent l'intolérance religieuse".
Si un citoyen saisit la justice de façon répétée et infondée il peut être condamné pour saisine abusive. Mais une ville semble pouvoir prendre une série d'arrêtés plus illégaux les uns que les autres en toute impunité.
Combien de temps va-t-on laisser les municipalités azuréennes porter atteintes aux libertés fondamentales en se contentant de casser leurs arrêtés et de les condamner à verser des sommes symboliques ?
3. La non prise en charge des mineurs isolés et la violation du droit d'asile
Le Conseil Départemental des Alpes-Maritimes a beau s'en défendre dans la presse par la voix de son Président (lire ici) et de son Directeur Général des Services, le Préfet a beau nier et s'en prendre par voie de presse aux intellectuels et associatifs locaux (lire ici), le Procureur de la République a beau procéder à un acharnement juridique contre les citoyens solidaires de la Roya pour masquer l'évidence (lire ici), les mineurs étrangers isolés ne sont pas pris en charge alors qu'ils relèvent de la protection de l'enfance (lire ici) et le droit d'asile est bafoué.
Amnesty International France a remis les conclusions de sa mission d'observation à la frontière franco-italienne intitulée très justement "des contrôles aux confins du droit" (lire ici). Le constat est sans appel :
- "Les modalités du contrôle des frontières mises en place par les autorités françaises empêchent ou dissuadent des personnes d’entrer en France, sans qu’aucune considération ne soit réellement portée au respect de leurs droits et aux garanties légales encadrant ces procédures. Dans la plupart des cas, les personnes contrôlées à la frontière se retrouvent privées de toute possibilité de faire valoir leurs droits, notamment celui de solliciter l’asile."
- "Les enfants non accompagnés ne font pas l’objet de l’attention requise par leur situation de vulnérabilité et qu’exige pourtant la législation française de protection de l’enfance"
- "(...) ces violations des droits humains commises par les autorités françaises qui ont contraint des citoyens à se mobiliser pour venir en aide aux personnes réfugiées et migrantes ; des citoyens qui, de façon paradoxale, se retrouvent, pour certains, poursuivis par l’État français."
Outre le rapport d'Amnesty International, le juge des référés du Tribunal Administratif de Nice, saisi du cas d’une famille érythréenne empêchée de demander l’asile en France, a tranché dans son ordonnance du 31 mars, estimant que le Préfet des Alpes-Maritimes avait porté une « atteinte grave au droit d’asile » : « En refusant de délivrer aux intéressés un dossier permettant l’enregistrement de leur demande d’asile, alors qu’ils se trouvent sur le territoire français et qu’ils ont pris contact avec les services de police et de gendarmerie pour y procéder, le préfet des Alpes-Maritimes a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile » (lire ici).
Nous faisons face ici à une violation manifeste du droit d'asile et de la protection de l'enfance, masquée par une stigmatisation systématique et une tentative de criminalisation de la solidarité.
Mises bout à bout et en prenant un prisme de lecture large, nous constatons que l'ensemble de ces atteintes aux libertés fondamentales et au droit sont mises en œuvre, depuis plusieurs années et de façon méthodique, par les autorités elles-mêmes : mairies, Conseil Départemental, Préfecture, Parquet...
Les Alpes-Maritimes sont donc le lieu de discriminations, de stigmatisations et de négations du droit par les collectivités locales et par l'Etat, constatées par le Conseil d'Etat, les tribunaux administratifs ou les observateurs associatifs.
A l’origine des différentes condamnations des autotités par la justice, passées ou à venir, nous retrouvons des citoyens constitués en associations, qui ont dû engager des procédures contre les institutions et les collectivités territoriales pour faire respecter les libertés fondamentales et faire triompher le droit.
Dans les Alpes-Maritimes plus qu’ailleurs, l’action citoyenne se révèle être le dernier rempart face aux exactions malheureusement commises par les autorités elles-mêmes.
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