Les arts divinatoires, un don ou une arnaque ?
« Vous allez mourir d’une crise cardiaque en février-mars 2018. » Cette prédiction d'une voyante de Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) consultée par téléphone faite à une mère de famille après s'être acquittée d'une somme de 35 euros, a été à l'origine d'un changement d'humeur et de comportements (crises de larmes, angoisse). Les médecins et spécialistes qu'elle consulte se montrent rassurants. Rien n'y fais. Elle recontacte la voyante qui lui affirme : « Votre malaise cardiaque, vous l’avez bien fait et bien eu… Après, il faut savoir que tous les cardiologues ne sont pas réellement compétents. » La consultante est psychologiquement détruite et elle somatise. Elle doit être hospitalisée pour des troubles digestifs, passer trois semaines en maison de repos. La psychologue qui l'accompagne va lui faire comprendre qu'elle a été manipulé et en prendre conscience. « Elle a profité d’une faille chez moi et s’y est engouffrée. Elle s’est appuyée sur les informations que je lui donnais et m’a piégé » .
Les arts divinatoires sont probablement aussi vieux que l'humanité. On estime à près de quinze millions, soit plus d'un Français sur quatre, qui consulte une voyante, une astrologue, une numérologue, une cartomancienne, une chiromancienne, etc., en grande majorité des femmes, et pour un prix moyen de la consultation de soixante-dix euros. Comme chez le « psy », le prix demandé fait partie de l'horizon d'espérance en impliquant le consultant dans le processus divinatoire.
Le nombre de voyant(e)s en exercice avoisine les cent mille dont à peine la moitié serait déclarée auprès de l'administration fiscale pour un chiffre d'affaire évalué à près d'un milliard d'euros. Les thèmes récurrents des consultations sont : l'amour - l'argent - le bonheur - la chance - la famille - la réussite - la santé - le travail. Les arts divinatoires reposent-ils sur un don, véritable « machine » à explorer le futur, ou s'agit-il d'un placebo destiné à soulager les bobos du quotidien, apporter un réconfort, ou pire ! source d'anxiété en délivrant de faux espoirs qui se laissent désirer ? La voyance va à l'encontre du destin, ce qui est « écrit » se réalisera quoi que l'on fasse, cela pose la question du libre arbitre face à sa destinée. Et si les consultant(e)s venaient plus prosaïquement pour obtenir confirmation de leurs désirs et que la voyante en prenne conscience au cours de l'entretien, ne leur en donnait la confirmation en abondant dans leur sens ?
L'image des voyantes et autres diseuses de bonne aventure dans la société est plutôt négative, force est de reconnaître qu'il n'y a pas obligation de résultat de leur part. Si des consultant(e)s vantent les exploits de certain(e)s voyant(e)s, d'autres les vouent aux gémonies et parlent à leur encontre de charlatans. Le métier reste un art et non une profession réglementée. Il n'existe aucun cursus de formation reconnu et n'importe qui peut s'autoproclamer voyant(e). La femme, plus rarement l'homme, de l'art n'est pas tenue à une obligation de résultat, car il est impossible de situer un événement dans le temps (chronos), les visions mêlant le passé, le présent et le futur. Si la prestation repose sur des faits passés, elle ne peut qu'intéresser les archéologues, les historiens, les policiers, voire les chercheurs de trésors.
Les client(e)s veulent connaitre leur futur. La voyante peut toujours aussi annoncer à la consultante qu'elle ne peut lui donner une date de la réalisation de la vision, l'invitant à revenir régulièrement, s'attachant ainsi sa fidélité. Si une voyante annonce à sa consultante que son mari va mourir, elle ne risque guère de faire erreur tant qu'elle ne donne ni date ni lieu ou circonstances. « Tous les hommes sont mortels » Des consultant(e)s sont « accrocs » au point de ne rien entreprendre sans consulter leur « mage »...
Le déclencheur pour attirer le consultant et lui faire franchir le pas est le résultat d'un travail préparatoire. L'accueil fait partie de la prestation, et avant même que le travail ne commence, le consultant se retrouve plongé dans un « rituel » propre au lieu et à l'ambiance régnante. La voyante annonce des « visions » graduées s'adaptant aux réactions extériorisées du consultant selon son sexe, sa condition sociale, son âge, sa réceptivité etc., qui s'adaptent à presque tous les consultants appartenant à cette catégorie socio-professionnelle. La réceptivité de chacun(e) est fonction de ses attentes et de ses espoirs. Qu'est ce qui est perçu, imaginé, rêvé, interprété, retenu lors de la voyance ? Ce secret reste difficile a lever et appartient au mystère des arts divinatoires.
Si des consultantes confient à la pythie ce qu'elles n'oseraient pas confier à leur « psy » ni à un confesseur, d'autres attendent simplement des indications sur leur situation à venir. La première démarche de la voyante est d'« accrocher » le client en misant sur sa suggestibilité ou sur les « pouvoirs » du magnétisme. La voyance fut longtemps condamnée par les religions monothéistes et resta cantonnée aux Bohémiennes. Les choses changèrent au XVIII° siècle sous l'impulsion du médecin allemand Franz Mesmer pour qui : « tout corps est soumis à l'attraction universelle et que l'homme est relié à l'univers par des " champs fluidiques " garants de notre bonne santé physique et mentale. » Le médecin allait se faire magnétiseur et l'émergence de la psychiatrie dériver sur la parapsychologie. Franz Mesmer réalisa qu'il était possible d'influencer des malades grâce aux « transes mesmériques » et au « sommeil magnétique », phénomènes classés dans l'hypnose. Les expérimentateurs remarquèrent rapidement que que les sujets faciles à hypnotiser se révélaient aussi être disposés dans la pratique de la voyance. La voyance pouvait quitter le giron de la sorcellerie et s'inscrire dans un aspect « scientifique » et ainsi être tolérée par l'Église avec un glissement vers la démonologie, l'exorcisme, et la magie noire.
L'engouement pour cette discipline nouvelle et sa mise en scène donna naissance au spiritisme, dont un de ses plus fervent défenseur fut Sir Arthur Conan Doyle, le créateur du célèbre détective Sherlock Holmes. Hippolyte Léon Rivail, plus connu sous le nom d'Allan Kardec, théorisa le spiritisme en 1857 dans le Livre des Esprits, une pratique apparue aux États-Unis une dizaine d'années plus tôt. Pour Kardec, les tables « tournantes » qui délivrent des messages par des coups frappés sont mues par l'énergie d'esprits ou entités reçue par le médium et canalisée au travers de la chaîne formée par les mains des assistants. Une variante n'allait pas tarder à apparaître, l'écriture automatique, à laquelle Victor Hugo s'initiera lors de son exil à Jersey. Les scientifiques de l'époque, Arago, Faraday, etc., allaient tenter de reproduire ces expériences avec toujours le même insuccès et pour cause, ce phénomène spontané est impossible à démontrer.
On entend par télépathie une sensation ressentie à un événement survenant à distance et/ou même moment. Pour les voyants, le don n'aurait rien d'exceptionnel, il serait même assez répandu à des degrés divers chez chacun de nous, il suffit qu'une certaine fusion s'opère entre le consultant et la voyante. Une voyante qui délivre ses prévisions par courrier, écrit à ses clients : « J'ai besoin de votre aide car il va falloir que je communique avec vous pour réaliser mes Actions Télépathiques. Il faut que vous soyez dans une situation physique et morale libérée et pleine de confiance. (...) Au cours de mes Actions Télépathiques, je vais émettre des ondes bénéfiques dans votre direction et il est nécessaire que vous puissiez les recevoir. D'où l'importance que j'accorde à la confiance réciproque qui doit s'établir entre nous. (...) Ne vous découragez surtout pas car, de mon côté, vous le savez, je vous aide de toutes mes forces et je suis tout à fait sûre, qu'en conjuguant nos efforts nous y parviendrons. Sommes-nous en présence d'une autosuggestion ou de la recherche d'une coopération active « éclairée » ? Il a été constaté qu'un(e) client(e) peut rejeter tout ce qui n'abonde pas dans son sens et agir de manière inconsciente afin que la voyance se réalise... La voyance peut donc influencer, mais en aucun cas déterminer le dessein d'un individu qui ne présente pas une faille psychologique spécifique. Si l'on accepte la possibilité de l'existence d'un sixième sens, ou intuition, celui-ci doit rester sous le contrôle de la raison et du sens critique afin de conserver son libre arbitre.
Chez les voyant(e)s qui reçoivent (la clair-voyance se fait aussi par : téléphone, Internet, courrier...), le cadre et l'ambiance sont là pour accréditer leur don avancé, et l'occultum en adéquation parfaite avec leur clientèle. Il ne saurait être question de recevoir un homme politique dans la baraque de Madame Irma située à côté de la baraque à frites lors d'une fête foraine. Comment prouver le don de voyance qui est immatériel ? La voyance repose-t-elle sur des flashs incontrôlés ou sur des visions spontanées qui s'imposent ? Des sons, des images, des odeurs, ou des sensations kinesthésiques ? Comment contrôler l'irrationnel et s'assurer que l'on est en présence d'une véritable voyance et non d'une projection fantasmée ? En lui demandant d'entrer en communication avec une personne plongée dans le coma ? Comme les prédictions sont censées ne rien pouvoir changer le cours des événements, des consultantes n'osent même plus sortir de chez elles de crainte que la vision mortifère prophétisée se réalise !
Autre point rarement abordé, la fatigue psychique de la voyante. Comment soutenir une concentration en enchaînant une douzaine de consultations quotidiennes de personnes venues vous confier leur peine et déboire sans prendre une part de leur fardeau psychologique, et ensuite passer une soirée sereine en famille ? Pour être direct, plus les temps sont durs, plus la clientèle afflue et abandonne sa lucidité. La crise et le malheur ont du bon pour qui veut en tirer profit et exploiter la crédulité d'une personne fragilisée. La voyance serait-elle le signe avant-coureur de la nécessité d'une psychothérapie ?
Si la prévision ne se réalise toujours pas, la voyante peut dire que ses visions ont été « parasitées » par des ondes négatives, des forces occultes, invoquer une erreur d'interprétation, un parasitage, une superposition de scène, autant d'euphémismes pour valoir écrans de fumée. Une voyante ne se trompe jamais, si l'erreur existe, pas question de rembourser la prestation, la cliente peut seulement espérer une nouvelle consultation gratuite... et encore. La gratuité n'est-ce pas une forme de mépris en regard de son talent ? Si la cliente trouve la somme trop élevée, la voyante peut lui rétorquer qu'elle est parfaitement justifiée au regard des réussites obtenues... Peut-on reprocher à un artiste peintre de vendre ses toiles trop chères ?
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