Les autistes sont-ils de [gros] fainéants ?
Comme nombre de mes amis qui n'ont pas eu leur diagnostic d'autisme avant l'âge adulte, j'aurais pu commencer un bingo à partir des phrases types tu es fainéante, tu le fais exprès, et je n'ai pas à t'apprendre. Non, les autistes ne sont pas de foutus gros fainéants. La mémoire de travail, la sensibilité sensorielle et la motricité fine fonctionnent différemment : ce qui est simple pour vous est très difficile pour nous !
L'un de mes cauchemars réside dans la vision d'une table très encombrée. Par où faut-il commencer ? Les assiettes, les verres, les couverts ? Si je suis avec du monde, j'attends le plus souvent qu'une autre personne prenne une initiative, et je l'imite. Si personne n'est là pour me voir, la tâche prendra un temps conséquent. Elle sera réalisée, me dirait t'on, en dépit du bon sens.
B*rdel, par où je commence ? (ph. Gordon Joly Londres, UK)
Au sommet de mon échelle de l'horreur viennent les grandes surfaces. Entre la soupe musicale à subir et ces rayons beaucoup trop colorés dans lesquels je ne repère jamais rien, faire mes courses a de fortes chances de me mettre d’une « humeur de chien ». Dans ce contexte, une particularité des autistes, leur capacité à repérer plus vite une rupture de motif1, devient un fichu handicap. On ne voit qu'un mélange de couleurs vives et mal coordonnées, qui semble nous agresser à chaque tête de gondole. Je hais tout particulièrement les étiquelles de promotions rouges et jaunes fluo. Ajoutons que les grands magasins sont presque toujours éclairés par des néons. Certains autistes ont une hypersensibilité visuelle qui leur permet de voir le cliquotement des lampes au néon (imperceptible pour la plupart des gens). Ajouté à la soupe musicale, celà apparente la visite d'un magasin à celle d'une discothèque. Sans oublier que... oui, c'est épuisant
Amis parents, nombre d'enfants autistes qui font des « crises » dans ces magasins ne font sans doute pas de caprices, ceux qui refusent d'y aller n'ont pas de poil dans la main, je pense qu'ils expriment plutôt une souffrance sensorielle.
Un paquet de couches en promo avec du bleu, du jaune, du rouge et du vert sur l'emballage plastoque ? Vous êtes sérieux ? (Ph. de Pascal3012, à Paris)
Il est plus simple de rester chez moi. Encore que même là, rien n'est indolore. Vous ai-je parlé du ménage et de l'aspirateur ? Je détiens sans doute le triste record du nombre de coups porté avec ces outils dans les meubles, couplé à celui des accusations-type « tu le le fais exprès ! ». Comme tous les autistes, je vois les détails de mon environnement avant l'ensemble (on appelle ça une faible cohérence centrale). Les déplacements les plus simples demandent des aménagements, au risque d'attraper des tibias de Schtroumpf. L'un de mes plus grands ennemis, c'est le coin de meuble. Pour aménager ce territoire hostile, mes amis utilisent diverses techniques, dont celle de la mousse à poser sur ces foutus coins.
Imaginez vous déplacer en maniant un aspirateur ou un balai, en plus ? C'est la foire aux bleus et aux meubles écorchés ! Malgré ces problèmes, fort heureusement, je parviens à écrire des bouquins de zootechnie et des articles dans la presse web.
Seule explication logique quant à l'existence de cette saleté, en lieu et place de coins de meuble arrondis. (Photomontage perso)
Amis parents, ne vous inquiétez pas si votre rejeton autiste semble « fainéant » se bouche les oreilles ou ne passe pas l'aspirateur correctement : ce n'est en rien une fatalité qui l'empêchera de réussir sa vie.
Fainéant(e) | Tu le fais exprès | Poil dans la main | Chochotte |
Je n'ai pas à t'apprendre ça | Tout le monde sait ça | Ruse pour que je travaille à ta place | Tu ne fais aucun effort |
Pas possible d'être aussi nul(le) | Prends sur toi ! / Moi aussi je suis fatigué(e) | T'as des bras et des jambes, sers t'en ! | T'essaie pas d'apprendre |
Tu te sers de ton handicap comme excuse pour ne rien foutre | Communautarisme autiste / Tous unis, tous fainéants ! | Vêtement social | Tu t'inventes des difficultés |
Oui, un autiste peut apprendre les taches ménagères qui paraissent si basiques à la plupart des gens. Mais que l'on ne s'y trompe pas : celà a un coup, en particulier en fatigabilité. Un autiste s'épuisera toujours beaucoup plus vite que quiconque, à cause de la concentration requise.
La conclusion la plus rigolote à cette affaire, c'est que si l'on en croit une bande d'irréductibles psychanalystes français assis sur leurs convictions, l'autisme n'est qu'une psychose infantile qui s'arrête aux frontières de la France et à l'âge de 18 ans. Les adultes autistes, finch'tu de grädznök, ça n'existe pas.
Tout ce que je viens de vous conter là n'est donc qu'un foutu fruit de mon imagination !
1 (en) Laurent Mottron, « Changing perceptions : The power of autism », Nature, vol. 479, , p. 33–35 (ISSN 0028-0836, DOI 10.1038/479033a, lire en ligne [archive]).
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