Les banques ont acheté la présidentielle 2017

Le Parti socialiste, au fur et à mesure qu’il perd des électeurs, s’efforce de pratiquer un lock-out des présidentielles en excluant ce qu’il considère comme les petits partis. Ainsi Jean-Jacques Urvoas a déposé deux propositions de loi afin de changer la publicité des parrainages, d’étendre la notion d’équité au détriment de celle d’égalité et de réduire de un an à six mois la période de comptabilisation des dépenses électorales.
Bien qu’ayant « travaillé seul », le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale nous dit s’être efforcé de présenter des propositions « sur lesquelles tout le monde pourra se retrouver » .
Malheureusement pour la France, « tout le monde » signifie pour lui les trois chevaux de retour de 2012 – Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine Le Pen – et éventuellement deux placés, Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou. L’inceste politique, c’est maintenant !
Les électeurs, à qui on s’efforce de troubler l’esprit par des raisonnements tordus – comme « il faut mettre fin au harcèlement des maires » – ont du mal à comprendre ce qu’il se passe. C’est pourtant aussi simple que ce que fait un grand patron lorsqu’il parle de « réforme » et de « rationalisation du travail » pour préparer des licenciements.
Expliquons donc les conséquences de la médecine que voudrait nous prescrire le bon docteur ès élections breton.
Tout d’abord, il propose la « publicité intégrale » du nom des élus ayant parrainé, ce qui paraîtrait éventuellement normal. Mais il y a anguille sous roche : les parrains verraient leur nom publié non pas « huit jours au moins avant le premier tour du scrutin », mais aussitôt que le Conseil constitutionnel recevrait leur formulaire de parrainage. C’est-à-dire, pour une élection se déroulant, comme la dernière, le 22 avril 2012, entre environ deux jours après la publication du décret convoquant les électeurs, soit le 26 ou 27 février, et au plus tard le vendredi 16 mars à 18 heures, date limite de réception par le Conseil constitutionnel. Leur nom figurerait ainsi sur les listes rendues publiques au moins trente-sept jours avant l’élection. Vous avez dit harcèlement ?
M. Urvoas prévoit en fait de retourner les choses contre ceux qui ne font pas partie du club. Car un « petit » parti a aujourd’hui peu de moyens, mais un « gros » voulant discréditer les maires signataires, en s’appuyant sur des médias complaisants, en a bien davantage ! La tâche lui en sera ainsi facilitée, et les maires réfléchiront à deux fois avant de s’engager contre ceux dont souvent ils dépendent financièrement.
D’autant plus que descendant jusque dans les détails, M. Urvoas et ses amis prévoient que le parrainage devra être adressé par l’auteur de la présentation lui-même (et non par le candidat ou l’équipe de campagne), par voie postale. On peut s’étonner du monopole donné à La Poste, qui n’est plus depuis 1991 une entreprise publique autonome mais une société anonyme à capitaux, côtoyant une Banque postale tout à fait banque. Vous oseriez dire privatisation de la vie publique ? Non, tout juste une « retouche », vous répond M. Urvoas, pour assurer l’efficacité et l’équité des procédures. Sans ergoter, il est clair que passer par La Poste ajoute un gendarme couché de plus devant les petits partis proches du couperet des 500, ce qui paraît curieusement déraisonnable à l’âge du numérique...
Ajoutons que si harcèlement il y a, et il arrive fatalement qu’il y en ait, c’est plus le fait des grands partis que des petits, compte-tenu de leurs moyens respectifs, et celui-ci intervient bien en amont du sprint final, que les amis de M. Urvoas, assis dans leur fauteuil électoral, n’ont visiblement jamais disputé.
Cependant, il y a bien pire dans la proposition de Jean-Jacques Urvoas. Il entend substituer le principe d’équité à l’actuelle règle d’égalité des temps de parole des candidats pendant la période dite « intermédiaire » de l’élection présidentielle. Cela veut dire que les « petits candidats » seront à la merci des médias entre cinq et deux semaines avant l’élection. Car la campagne proprement dite ne commence que deux semaines avant la date de l’élection ! Les « petits » candidats ne pourront ainsi jouir d’une stricte égalité du temps de parole que pendant les deux semaines de la campagne dite « officielle », alors que la plupart des électeurs ont déjà fait leur choix. Cela revient à remplacer « liberté, égalité, fraternité » par « contrôle, équité, coterie ».
D’autant plus que, contrairement aux États-Unis ou à la Grande-Bretagne, chez nous les « grands » candidats peuvent se permettre d’éviter tout débat avec les petits. La caste des incapables, qui a mis notre pays dans l’état où il se trouve, entend ainsi garder les commandes.
Mieux encore, la période de comptabilisation des dépenses électorales pour l’élection présidentielle sera réduite de un an à six mois, ce qui ne gêne en rien les « grands » partis, mais rendront non remboursables pour les « petits » les dépenses encourues entre le mois moins douze et le mois moins six, celui de leurs efforts pour se faire mieux connaître... et rencontrer les maires.
Disons-le crûment : verrouiller l’élection présidentielle est le but de cette stratégie, comme un patron pratique le lock-out de son entreprise. Pourquoi pas ? Puisque le privé est devenu le modèle de la politique, bien entendu pas le privé des PME ni même des ETI, mais celui des multinationales hors sol sponsorisées par les mégabanques.
Disons-le encore plus crûment : le traitement réservé à Jacques Cheminade, ayant vu son compte de campagne rejeté en 1995 dans des conditions unanimement reconnues comme scandaleuses, puis son avance forfaitaire de 153 000 euros de 1995 saisie en 2013, montre qu’il se trouve au centre de cette stratégie de mise à l’écart.
Ajoutons un élément sur cette avance forfaitaire versée par l’État aux candidats ayant réussi à obtenir leurs 500 signatures, pour lancer leur campagne : Elle est précieuse pour les besoins des « petits », négligeable pour l’opulence des « grands ». Elle s’élevait au départ, en 1962, à un million de francs, alors que jusqu’à la loi organique du 18 juin 1976, il suffisait d’obtenir 100 parrainages. Depuis que 500 parrainages sont exigés, le million de francs a été transformé en 153 000 euros, ce qui en pouvoir d’achat représente au moins trois fois moins. C’est pourquoi la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 1990 avait approuvé sa « mise à jour » à 3 millions de francs. Le projet de loi correspondant fut enterré, sous prétexte que l’on permettrait ainsi une possibilité d’enrichissement des candidats ! Ce qui est évidemment impossible, compte-tenu du contrôle des recettes et des dépenses. La raison du blocage à 153 000 euros est donc évidente : une aumône pour les « petits », c’est déjà bien, mais davantage, ça pourrait être bonjour les dégâts pour l’oligarchie.
Alors on « retrouve toujours les mêmes », on se dit que ça ne peut pas continuer comme ça, mais ça continue. Sauf que 2017 sera une échéance décisive pour la France, l’Europe et le monde, et que nous allons bousculer avec nos idées les misérables barrières dressées pour les contenir. Car nos idées sont comme les migrants : elles ne peuvent être arrêtées par des barbelés politiques. Le choix est entre les intégrer et retrouver la mémoire de notre pays ou bien dériver vers l’État policier d’un « nouveau capitalisme criminel », celui de l’Empire de l’argent qui étouffe la France.
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