Les Bleus, une défaite pas si étrange, mais un pays dans le marasme !
C’est donc un authentique mélodrame qui s’est joué au Mondial avec cette équipe de France ayant joué très peu sur le terrain de foot mais beaucoup sur le théâtre médiatique en dehors des stades. La plupart des commentateurs se disent horrifiés par le spectacle donné par les Bleus. Mais à moins d’être doué d’un QI déficient, personne n’est vraiment étonné par les événements. Et si Aristote analysait cette pièce en suivant les règles établies dans la Poétique, il verrait une mise en intrigue contenant déjà l’issue, avec une fédération autocrate et autiste au point de reconduire avec obstination un entraîneur très contesté, jugé avec excès comme paranoïaque par les uns, arrogant et autiste par les autres. La suite, une série d’événements s’enchaînant logiquement. Une qualification difficile, acquise à la faveur d’un geste de Thierry Henry aux antipodes de l’esprit sportif. Bien mal acquis ne profite jamais. Ce dicton prend tout son sens. La qualification de la France s’est jouée sur une arnaque aux dépends des Irlandais. Mais cette équipe avec son sélectionneur n’était-elle pas en substance une arnaque, une comédie jouée devant des Français à qui l’on a fait croire que les Bleus étaient motivés, soudés, conquérants. Eh bien le résultat est là. Tout s’est accéléré. Match nul contre l’Uruguay. Six jours après, défaite contre le Mexique après une prestation médiocre. Deux jours plus tard, l’Equipe publie un propos de Nicolas Anelka en ce samedi 19 juin. Exclusion du joueur dans la foulée. Le lendemain, les joueurs refusent de s’entraîner. Domenech se fait le valet des princes dorés du football, lisant un communiqué écrit par leurs soins. Puis la ministre Bachelot convoque tout le monde ce lundi pour un improbable briefing avant la dernière prestation des Bleus pas encore éliminés mais en grande difficulté. Cela finit conformément à l’analyse menée par Aristote dans la Poétique, par une catharsis, autrement dit, les tensions ont explosé et le vrai visage de cette équipe est apparu au grand jour médiatique sur fond de fausse tragédie. Mais n’est-ce pas aussi le visage d’un système, celui du foot bizness, qu’on a vu, et par ricochet, une allégorie de la France et encore plus, de la civilisation ? Une chose est sure, le mythe des Bleus de 1998 s’est brisé.
Alain Finkielkraut, le philosophe officiel du marasme social, invité régulier des studios, s’est fendu d’une invective à l’encontre d’une soi-disant génération caillera chez les Bleus. L’usage poli de ce mot en verlan permet à notre intellectuel de masquer un tribut payé à Sarkozy. Dire des Bleus qu’ils sont des voyous de banlieue, des caïds de la zone, c’est non seulement à côté de la plaque, c’est non seulement imprégné d’un racisme en filigrane, c’est carrément insultant et stupide lorsqu’on sait qu’associer un mal généralisé à une origine des protagonistes, c’est participer à ce mouvement de délitement dont parfois, les conséquences se chiffrent en centaines de morts, comme au Kirghizistan. Et donc, si les Bleus ont été indignes par leur comportement lors du Mondial, Finkielkraut est tout aussi indigne dans ses attaques de bas étage révélant non seulement la défaite de sa pensée mais carrément un naufrage. Il y avait d’autres voies pour tenter de comprendre les faits sans passer par la sourde haine projetant du fiel en guise de parole.
Et si c’était moins clair qu’il n’y paraît. Ce qui voudrait dire carrément obscur car ce qui a été montré n’est déjà pas évident. La faute à qui ? A ceux qui, Raymond la science du journalisme le premier, ont pris le parti d’isoler les Bleus pour soi-disant les protéger d’une meute de journalistes censé les agacer, les écorner, les titiller avec des questions qui fâchent. Ce n’est pas un secret de Polichinelle, Domenech n’aime pas les journalistes sportifs. Et ceux-ci le lui rendent bien, tout en ruminant leur frustration car le métier de journaliste repose sur une coopération sans faille avec le secteur du monde dont il doit rendre compte dans ses journaux. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les journalistes sont obligés d’aller interroger des membres de la famille de certains joueurs.
Si l’on devait pratiquer l’autopsie d’un naufrage, on pointerait les lacunes de la Fédération, avec un président qui, âgé de 75 ans, aurait pu laisser la place. Il semble que cette structure joue de prébendes et copinage et ne sert pas forcément les intérêts du foot. Comme du reste dans d’autres lieux où il est devenu monnaie courante de prendre un poste pour se servir. Bref, une comparaison historique vient à l’esprit. On pense inévitablement à l’étrange défaite de l’armée française, due notamment à un état-major déficient, si bien analysé par Marc Bloch. La grande énigme restera la reconduction de Domenech après le fiasco en 2006. Il faudrait connaître les rouages psychologiques de tout cet ensemble, dirigeants, staff, joueur, pour éclaircir cette étrange affaire ayant conduit la France vers la pas si étrange défaire de 2010.
Le nerf qui a flanché, le ressort qui s’est cassé, c’est sans doute la passion de jouer sous le maillot français et le plaisir de jouer un Mondial face à de belles équipes. Pourquoi ce ressort s’est-il cassé ? Pression des médias, incompétence du coach, argent trop facile, narcissisme des joueurs ? Une piste à suivre, celle d’un double jeu des Bleus. A la fois sur le terrain vert, en tant que techniciens du football, et sur le terrain médiatique, en tant que stars choyées et un peu trop admirés. Quand on voit les joueurs interviewés, avec des questions toujours les mêmes, une banalité, et une incapacité à converser avec des journalistes pas tous inspirés face à des joueurs au langage assez réduit, on se dit que le métier de footballeur est passionnant, sauf face aux caméras et micros mais pourtant, l’éthique voudrait que les joueurs puissent être plus affables et joviaux face aux journalistes vu que c’est grâce au médias qu’ils peuvent empocher des sommes considérables. Bref, l’équipe de France a dû affronter non seulement trois équipes mais aussi le team médiatique et qui sait, à force de batailler contre les médias, on perd son énergie. Pire, en se coupant des supporters, on quitte le statut du joueur national en esprit et on perd de vue la finalité du job pour lequel on a été sélectionné.
La philosophie de cette histoire est assez simple. Un cercle vertueux entre acteurs n’a pas fonctionné. Des joueurs et un entraîneur avec trop d’ego, un combat inutile contre les médias, un staff dépassé et une Fédération mal dirigée. Terriblement simple, comme un orchestre dont les instrumentistes ne savent pas écrire et jouer ensemble une même partition. La leçon est à retenir, elle vaut dans d’autres secteurs de la société. A part ces remarques si criantes d’évidence, on pourra élargir un trait assez récurrent, celui d’une coupure entre un monde d’élites et de célébrités et les populations formant la société ordinaire qui bosse et vit de ses joies en subissant ses peines. La société est fragmentée sous la coupe d’un apartheid économique autant que médiatique. On ne peut reprocher aux Bleus d’être coupés des réalités quand on voit ces lieux où l’argent coule, où les dirigeants, les traders, les gouvernants, perdent complètement le sens de l’éthique républicaine. Bref, c’est un peu comme la France de l’Ancien Régime, fragmentées en cercles et corporations. Des ministres cumulards, des haut fonctionnaires férus de cigares payés par le contribuables, des riches planquant l’argent.
Pour être complet, il faudrait revenir aussi sur le sale coup porté par le journal l’Equipe mais qui a quelques excuses, comme si ce journal avait comme vocation à se rendre justice pour tous les affronts subis par une presse dénigrée par Domenech. Du coup, les instances dirigeantes ont exclu sans procès Nicolas Anelka. A la demande de qui ? On se demande en effet mais peu importe qui il y a dans les dessous de cette décision, le verdict est évident, le style du karcher et de Sarkozy a signé cette décision, le style d’un régime qui veut dans l’instant tout régler, tout raser, pour faire disparaître le problème, comme ces maisons même pas inondée et promises à une destruction après la tempête Xynthia.
Cette triste épopée des Bleus aura eu au moins le mérite d’alerter nos compatriotes, pour peu qu’ils n’aient pas de la merde sur les yeux, d’un mal contemporain minant la société, avec la conjonction de multiples facteurs, les acteurs, les stars, les célébrités, les managers, les incompétences, le manque de passion et détermination, la vénalité, la cupidité. Alors que dire à un Français ? Eh bien va te faire enculer si tu aimes ça et vote Sarkozy en 2012 ! Mais non, je ne dirai pas cela à un ami français.
Mot de la fin accordé à Marx et son bon mot sur la tragédie qui revient sous forme de comédie. 70 ans après la débâcle de l’armée française, les Bleus ont été noyés dans le Mondial, alors que le jour de la fin, juste avant qu’Anelka ne soit viré, un appel à la résistance a été lancé par Dominique de Villepin et son mouvement de la république solidaire.
Autre conclusion sur la France et ses passions. Au bout du compte, la défaite des Bleus dévoile le pays des passions françaises, ce pays qui s’est targué d’avoir inventé l’homme. On a vu des hommes, des vrais, disloqués, fissurés, une équipe explosée, et cela rassure un peu de voir des stars redevenues des humains comme vous et moi. Mieux vaut ce psychodrame révélateur plutôt qu’une fin aux angles arrondis avec une qualification sans gloire et une probable élimination en quarts. Les Bleus en car, direction l’aérogare et fin du spectacle. La suite sera sans intérêt car personne ne voudra endosser sa part de merde dans ce fiasco dont je ne vais pas me plaindre puisque je l’avais souhaité.
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