Les charognards
Les charognards, on les voit surgir dès qu’il y a une défaite, un échec, un scandale réel ou prétendu. Une personne à terre ou un être en difficulté. Ils s’en donnent alors à coeur joie, se vautrent dans le pire, parasitent les catastrophes, se nourrissent des malheurs. Ils donnent des leçons mais toujours après - c’est plus facile - et se piquent d’une lucidité que la réalité connue par tous a facilitée. Je ne les aime pas, ces cruels sans courage et ces analystes rétrospectifs. Combien de fois me suis-je interdit, en dépit de mon envie, de m’en prendre à des puissants d’hier mais aujourd’hui défaits et abandonnés ! Si ce blog essaie d’avoir une ligne de conduite, elle tient à sa volonté de ne jamais accabler les faibles mais de mordre modestement les basques des importants surestimés ou usurpateurs.
Ce qui m’a inspiré ce thème, qui depuis longtemps me trotte dans l’esprit - l’affaire Kerviel avec le lynchage de Daniel Bouton était déjà riche d’enseignement en montrant qu’on était d’autant plus odieux qu’on avait été servile -, c’est le sort réservé à Raymond Domenech depuis la déroute de l’équipe de France, contestée par personne. Immédiatement, les charognards vulgaires ou distingués se sont mis à l’oeuvre.
Avant, je tiens à saluer Denis Balbir qui a mis en cause, dans l’émission "Langue de sport" sur Europe 1 Sport, selon le Parisien, la tonalité raciste du commentaire de Frank Leboeuf et de Thierry Roland lors du match France-Italie. Si je n’ai pas entendu ce qui a scandalisé Balbir, je peux témoigner que les propos de Leboeuf, tout au long de la rencontre, étaient vulgaires, peu pertinents, racoleurs, chauvins et pour tout dire indignes de M 6 qui avait eu l’idée saugrenue de choisir ce commentateur.
Revenant à Domenech, je ne prétends pas qu’on a tort d’appeler à son remplacement et, pour certains anciens joueurs, de se mettre sur les rangs ou de suggérer des noms. Je ne suis pas non plus inquiet sur la situation financière de notre entraîneur. Je suis même surpris par l’importance de ses revenus mensuels. Sans minimiser l’impact sur une équipe d’un "coach", pour parler comme les joueurs, je n’imaginais pas que cette tâche passionnante puisse et doive être autant rémunérée mais sans doute cette surenchère est-elle la conséquence de l’argent qui coule à foison dans le monde du football et en pervertit l’esprit.
On verra ce qu’il adviendra de Domenech le 10 juillet mais rien ne m’irrite plus, dans ce domaine qui demeure, en principe, du divertissement, que l’air sérieux et pontifiant des experts en communication auxquels on fait généralement appel pour qu’ils nous expliquent ce que nous savons déjà. Ainsi, le Monde a donné la parole, sous la signature de l’excellent Gérard Davet, à Jean-Luc Mano et surtout à l’inénarrable Séguéla qui survit à toutes ses erreurs et n’en finit pas d’exploiter "La force tranquille" transcendée par François Mitterrand. Séguéla est consulté comme s’il avait quelque chose à dire après son rôle conjoncturel d’entremetteur. J’ai toujours été surpris par la banalité de ses points de vue enrobés de snobisme et d’une modernité compulsive. Fidèle à lui-même, il accable Domenech, en lui reprochant d’avoir essayé le décalage sans le talent de Gainsbourg, et la provocation sans le brio de Coluche. Comme il est facile, le constat d’après coup, comme elle est aisée, l’analyse, quand elle nous est dictée par l’événement !
Quel contraste avec la pertinente et délicate approche - peut-être un peu optimiste ? - d’Yves Thréard dans le Figaro, qui ne cherche pas à "se payer" Domenech mais découvre des raisons d’espérer après lui ! Bel exemple d’un journalisme qui même en matière de sport sait ne pas se repaître des dépouilles, comme les détrousseurs qui font de l’esprit, de l’étude, de la critique sur la bête étendue !
Il existe une infinité de charognards. Dérisoires ou grandioses, bouffeurs de petits échecs quotidiens ou accompagnateurs d’immenses désastres politiques ou économiques, ils s’empressent de donner le coup de grâce.
Mais, qu’ils prennent garde à eux, il arrive que les moribonds se relèvent pour ne plus jamais les oublier. Le triomphe est parfois l’avenir de la catastrophe.
Crédit image : Julien Vergne
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