Les « communes nouvelles », ou le renouveau territorial
Avec un total de 34 968 communes au 1er mars 2019 – un tiers du total de l’Union européenne ! –, la France compte, à l’évidence, beaucoup trop de petites municipalités. On dénombre également, au 1er janvier 2019, 2 518 intercommunalités et communautés d’agglomération ou de communes. Au fil du temps, celles-ci sont venues ajouter partout sur le territoire une couche supplémentaire à ce que l’on nomme, de manière imagée mais pertinente, le « millefeuille territorial ». Un gâteau beaucoup trop roboratif et indigeste qu’il est devenu nécessaire d’alléger…
Lorsqu’elles ont été créées, les intercommunalités sont apparues comme une nécessité en termes de gestion territoriale, notamment dans les terroirs ruraux éclatés en de multiples communes souvent mal administrées par des maires dépassés ou peu impliqués, nombre d’entre eux ayant été élus par défaut en l’absence de candidat véritablement motivé. Et de fait, ces intercommunalités ont permis d’éviter le naufrage administratif de très nombreuses communes de France dont les édiles n’avaient ni les compétences ni les disponibilités pour gérer au mieux la collectivité locale dont ils avaient la charge. Ce constat valait, et vaut toujours, tout particulièrement pour une partie des maires à la tête des communes de France les plus petites, pour ne pas dire microscopiques en termes de population.
À cet égard, les données chiffrées sont éloquentes : 75 % des communes françaises comptent moins de 1 000 habitants. Encore plus étonnant : plus de la moitié des municipalités de notre pays, soit 18 383 communes, totalise moins de 500 habitants. Et parmi elles 8 767 affichent moins de 200 habitants, 3 306 – soit l’équivalent de… 10 départements ! – comptant moins de 100 habitants. Une aberration ! Et un véritable casse-tête au moment de constituer une liste de personnes désireuses de s’investir dans un rôle municipal. Lorsqu’il y a moins de 100 personnes dans une commune, ce sont en effet 7 personnes qu’il faut élire. Pas évident dans ces communes rurales de quelques dizaines d’habitants où l’on trouve plus de personnes âgées et de résidents intermittents que de citoyens suffisamment disponibles et motivés pour s’investir dans la gestion communale. Et il ne faut pas croire que ce problème disparaît dans les communes un peu plus peuplées où 11 candidats doivent être élus au conseil municipal : le plus souvent, il s’estompe seulement.
C’est dans ce contexte – aggravé par la désertification des territoires ruraux et l’accumulation de textes législatifs et réglementaires de plus en plus complexes – que se sont progressivement multipliées les intercommunalités. Et de fait, elles sont apparues durant plusieurs décennies comme le moyen d’assurer une meilleure gestion des collectivités territoriales dans un pays resté très attaché au maillage communal hérité de la Révolution. Justifiées par une mutualisation de certains besoins, les intercommunalités ont entraîné le transfert de nombreuses compétences et, corrélativement, de financements significatifs détenus antérieurement par les municipalités. C’est ainsi qu’au fil du temps les petites communes ont perdu une grande part de leur légitimité et de leur pertinence en tant qu’échelon administratif.
Le Maine-et-Loire, champion de la modernité territoriale
La conséquence de l’émergence, partout sur le territoire national, de ces intercommunalités a été la prise de conscience de l’absurdité consistant à ajouter une couche supplémentaire au fameux « millefeuille ». Ici et là, des communes ont engagé un processus de fusion avec une ou plusieurs de leurs voisines. Mais cette démarche est restée marginale malgré l’évidente nécessité de réduire le nombre des petites communes et de mutualiser les ressources dans une optique de rationalisation des coûts au plan local. C’est alors qu’est intervenue la réforme de décembre 2010 instaurant le statut de commune nouvelle. Un statut qui permet de faciliter les fusions de communes, notamment en apportant des aides d’état et en maintenant durant une mandature des mairies déléguées afin de faciliter la transition. Le cas échéant, les communes nouvelles peuvent même se substituer à des intercommunalités préexistantes, ce qui est évidemment l’idéal en termes de simplification administrative. Un élément a favorisé la mise en place d’un tel processus de fusion : le coup de rabot gouvernemental sur la « Dotation globale de fonctionnement » (DGF), intervenu quelques semaines seulement après le scrutin municipal de 2014.
Depuis cette date, le mouvement de fusion s’est accéléré et l’on compte à ce jour 737 communes nouvelles regroupant 2 442 communes anciennes, soit 1 705 municipalités en moins. C’est bien, mais cela ne va évidemment pas assez loin. À cet égard, l’on souhaiterait que puisse essaimer l’exemple du Grand Ouest, déjà pionnier naguère dans l’émergence des intercommunalités, et de nouveau en pointe – notamment en Normandie et en Anjou – dans la création de communes nouvelles. Sur ce plan, la palme de l’audace et de la modernité est détenue par le département du Maine-et-Loire où, en quelques années, le nombre des municipalités a été divisé par deux : 177 communes nouvelles ont en effet remplacé les… 357 communes antérieures !
Si la même détermination était mise en œuvre dans tout le pays, c’est une France d’environ 17 500 communes qui se dessinerait. Mais, en l’absence de mesures de fusion contraignantes des pouvoirs publics*, ne rêvons pas : les habitudes sont bien ancrées, de même que les rivalités picrocholines ; qui plus est, un trop grand nombre de petits maires s’accrochent à leur écharpe et au prestige que leur confère le titre. Ce type de démarche de progrès – via la mutualisation des ressources et des compétences au sein des communes nouvelles – n’en est pas moins devenu, répétons-le inlassablement, une nécessité, et toutes les initiatives qui contribuent à faire émerger des communes nouvelles en lieu et place des territoires éclatés en confettis administratifs doivent être encouragées. Les habitants des petites communes doivent à ce sujet cesser d’avoir peur et de brandir des épouvantails : en Italie, pays où les habitants sont tout aussi farouchement attachés à leur passé et à leur identité locale, on compte seulement 7 954 communes pour une population globale de 60 millions d’habitants ! C’est dire s’il y a de la marge dans notre pays…
* Cela pourrait prendre la forme d’une obligation de fusion, dans un délai imposé, des petites communes dans le cadre de communes nouvelles en vue d’atteindre a minima un seuil de 1 000 habitants.
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