Les conquistadores de l’Académie de médecine
Si Pierre Joly était président de l’Académie de médecine en 2011, il a été naguère président de la Fédération internationale des industries du médicament, après avoir été longtemps directeur général de Roussel-Uclaf. C’est dire que son regard est ouvert sur le monde.

Pour lui faire donner le meilleur de lui-même, notre guide sera une nouvelle fois François Autain, président de la mission d’information du Sénat sur l’affaire du Médiator :
« Je lisais dans le livre que vous avez peut-être lu de madame Irène Frachon, ce livre dont on a beaucoup parlé, ceci… Elle parlait de la "Lettre de l’Académie nationale de médecine" que les médecins reçoivent : papier recyclé, impeccable, l’éditorial qui était intéressant justement, où vous indiquiez "réaffirmer l’indépendance de l’Académie sera une troisième préoccupation. Nos membres disposent d’une complète liberté de pensée et d’expression, etc., etc.", et puis, on s’aperçoit que sur une feuille, en pleine page, il y a de la publicité sur le laboratoire Servier. »
La suite dit tout ce qu’elle doit dire… entre les lignes… Mais quel théâtre !...
« Pierre Joly : J’ai mis sur pied – mais ça n’a rien à voir avec l’affaire Servier – l’année dernière un contrat de coopération culturelle. Ce qui veut dire que, dans un contrat parfaitement précisé par des juristes, chacun sait ce que fait l’autre et respecte par définition l’autonomie de l’Académie. Les choses sont maintenant extrêmement claires. Vous faites allusion à un passé, bon, qui a existé…
François Autain : Il n’est pas si ancien que ça !...
Pierre Joly : Si quand même… Ça ne se fait plus comme ça…
François Autain : Ça fait un an.
Pierre Joly : Voilà… Pour moi, c’est vieux… Ça, c’est le fruit du passé. Sincèrement, les yeux dans les yeux, je peux vous dire, alors là, ça ne change en rien l’indépendance d’esprit de l’Académie. Vous imaginez qu’on ne va pas se faire stipendier pour trois francs six sous qui sont sans intérêt. À l’époque, les frais de routage étaient tellement élevés qu’on ne pouvait pas assurer ces frais de routage. Et donc un de mes prédécesseurs avait conclu avec Servier la possibilité, pour Servier, de faire le routage. Alors, qu’à l’occasion de ce routage…
François Autain : Mais pourquoi faisait-il ce routage, Servier, c’est par philanthropie ?... Il faisait ça par philanthropie ?...
Pierre Joly : Oui. Totalement…
François Autain : Servier est un laboratoire philanthrope…
Pierre Joly : Non, mais il a droit d’être mécène comme d’autres. Ce n’est pas parce qu’il a un problème qu’il est moins mécène que d’autres… »
C’est donc là qu’il faut marquer un temps d’arrêt pour permettre à Jacques Servier, soi-même, de nous répéter ce qu’il a répondu au président de la mission sénatoriale à l’occasion de l’audition à huis-clos du 10 mars 2011 :
« L'entreprise que je préside s'est beaucoup développée depuis quarante ans. Actuellement, nos produits sont consommés pour 90 % hors de France : cela illustre l'effort considérable que nous avons fait pour l'économie du pays. »
Et nous revoici auprès de Pierre Joly qui enchaîne sans le savoir :
« La médecine française, c’est le meilleur moyen pour notre pays d’entrer dans des pays étrangers. C’est le meilleur moyen : c’est le moins cher et c’est le plus acceptable, parce que les gens vous respectent. Vous savez, je me souviens, mais c’est ancien, Tréfouël qui était le patron de [l’Institut] Pasteur avec lequel j’ai discuté un jour m’a dit : "Vous savez, moi, je vais au Brésil, on me déroule le tapis rouge, et le ministre de la Santé vient derrière moi et on l’accueille simplement en lui serrant la main". »
Si l’ancien président de la Fédération internationale des industries du médicament nous le dit, nous n’avons aucune raison de ne pas le croire et de ne pas lui faire le crédit de la suite :
« Et nous avons un devoir, me semble-t-il, en tant qu’Académie, d’aller dans ce schéma, quitte à créer des petites structures particulières qui feront obligatoirement appel à des sponsors. Ça, c’est absolument indispensable. »
(Extrait de Michel J. Cuny, Une santé aux mains du grand capital ? - L'alerte du Médiator, Éditions Paroles Vives, 2011, pages 212‒213
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