Les conséquences du déficit démocratique
Beaucoup s’insurgent de la décision du premier ministre grec de demander via referendum l’avis de sa population sur le nouveau plan de sauvetage de la Grèce. Sarkozy, Merkel, Lagarde, pour ne citer que les plus impliqués dans ce sommet censé « sauver l’Europe et le monde entier », offusqués de voir leur jouet cassé, non seulement retirent leurs billes financières mais exigent que le referendum soit libellé pour ou contre le maintien de la Grèce dans la zone euro. Le patron de l’euro groupe, cheminait sur la même voie, oubliant un tant soit peu qu’il n’est que le représentant d’un minuscule duché dont généralement on ne parle que pour son rôle de place grise financière et de paradis fiscal intra muros européen.
Au lieu de s’insurger sur une décision (que tout semble indiquer qu’elle avait comme objectif unique d’obliger l’opposition d’endosser la responsabilité des nouvelles mesures et dont le seul reproche que l’on puisse lui faire consiste à dire qu’elle aurait du être prise bien plus tôt), mieux vaudrait réfléchir sur le déficit démocratique de toutes les institutions qui imposent leur gouvernance, à commencer par l’Union Européenne elle-même. Les critiques sur cette lacune fondamentale de notre système de gouvernance sont bien connues. Mais désormais, il faudrait ajouter une autre : le manque de mécanismes démocratiques au sein de l’Union finit par créer une mal gouvernance permanente, et surtout chacune de ses décisions devient caduque dès lors qu’un état membre s’emploie à plus de démocratie. Il est tout de même étonnant que chaque fois qu’un peuple européen se soit prononcé contre une décision technocratique européenne, au Danemark, en Irlande, en France, on est passé outre, multipliant les élections, les décisions de l’exécutif et autres referendums à répétition, pour faire plier les peuples et considérer comme nulle et non avenue leur décision. Aujourd’hui on va encore plus loin : c’est l’idée même qu’un peuple puisse décider autrement qui est combattue, avant même qu’il puisse le faire.
Si cette gouvernance sans contrôle démocratique avait été lumineuse, efficace, donnait des résultats, ne créait pas le chaos, le problème ne serait pas posé. Comme pour le passé, on remettrait aux calendes grecques les réformes de démocratisation nécessaires en arguant que, quoi qu’imparfait, le système fonctionne.
Traité après traité, cette gouvernance a fini par oublier que si la courbe des concombres ou la taille des filets de pêche sont des sujets importants, celui du fonctionnement démocratique est un tantinet plus grave. On a surtout oublié que les mécanismes démocratiques existent pour éviter les rapports de force arbitraires, les abus de pouvoir, et surtout pour faire participer le citoyen aux décisions, seule et unique condition pour qu’il adhère à un quelconque projet.
Traité après traité, la direction des affaires a été abandonnée à la vision « orthodoxe » d’un seul pays européen qui, sans doute à cause de son histoire, fait de la monnaie un facteur ne dépendant que du marché. Un proverbe grec dit : « Les quatre évangélistes était trois, les deux suivants : Jean ». C’est en effet la caractéristique principale d’un déficit démocratique : la pensée politique s’appauvrit, finit par ne percevoir qu’une seule voie, une seule solution, pire, un seul objectif. En effet l’unicité de la pensée la fragilise au point que la moindre opinion divergente devient subversive. Si l’annonce d’un referendum au sein d’un pays de dix millions d’habitants déstabilise à ce point les protagonistes actuels de l’Union Européenne, si la dette de ce pays qui représente moins de 2% du PIB européen devient pendant deux ans un supplice de Tantale, c’est qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark.
Un autre proverbe, grec lui aussi, dit : « C’est Jean qui offre et Jean qui boit ». Le sentiment que toute mesure prise par la technostructure européennee et ses dirigeants paraît, malgré leurs déclarations, comme ne visant que leur propre satisfaction, le fait qu’ils sont de plus en plus enclins aux ultimatums et autres chantages pour répondre aux demandes des citoyens, c’est que, faute de vouloir se mettre en cause, comme tout monomaniaque, ils ne peuvent plus convaincre qui que ce soit. Leurs paroles et leurs démonstrations se perdent comme une larme dans la pluie.
D’Athènes à New York et de Tunis à Tel Aviv, s’installe de plus en plus un quiproquo : les peuples crient, et l’on traduit cette indignation comme une révolte, le prémices du « grand soir », une révolution. La radicalisation des moyens, la mobilisation citoyenne font oublier que les slogans de ces manifestations ne portent pas sur plus d’égalité ou une « table rase »généralisée, mais sur l’équité. Les peuples ne sont pas demandeurs de révolution égalitariste mais d’Etat de droit équitable. Leur ennemi semble être la démesure, la régression sociale, une répartition scandaleuse - synonyme de démesure en théologie -, une fuite en avant des élites gouvernantes et financières qui contient les germes du chaos, de l’ingérable.
Hypocritement, le marché ne dit pas autre chose mais profite en passant. Les grandes fortunes aussi, qui proposent de payer plus d’impôts. En effet on ne peut pas gouverner en proposant plus de chômage, plus d’efforts aux plus démunis, plus de taxes (à la place de impôts équitables), on ne peut pas demander aux passagers de rester calmes quand tout indique qu’ils voyagent sur un bateau ivre.
L’ivresse aussi est une démesure. En droit pénal, elle alourdit les peines d’un délit mais ne l’excuse pas. Or aujourd’hui, cette ivresse, cette déconnection du regard sur le passé et le présent explique parfaitement le phénomènes des « insurgés » : Les parents de ces derniers sont entrés dans le tunnel giscardien il y a près de quarante ans dont leurs dirigeants « apercevaient » déjà la sortie. Cependant, les parents, leurs enfants et leurs petits enfants y sont toujours. Crise, en grec signifie avant tout « procès ». Nous sommes dans un procès et ses arcanes discursives depuis près d’un demi siècle. Qui peut le supporter plus longtemps ?
L’ironie de l’histoire est que depuis la chute des Lehman Brothers et le cataclysme financier qui en suivit, les institutions européennes on commencé à mettre en place des dispositions pour encadrer l’hubris financière, insuffisantes dans leur énoncé mais bien réelles et relativement équitables. Cependant, le manque d’institutions démocratiques, les jeux des rapports de force, les arcanes bureaucratiques retardent encore et toujours leur application, laissant libre cours à l’exaspération citoyenne. Ainsi, une fois de plus, l’énoncé se perd aussi bien dans son explication que dans sa réalisation et tous les sommets du G20 n’y pourront rien.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON