Les coulisses de la modernisation
"Les coulisses de la modernisation" est un documentaire (destiné à la prévention de la dépression chez les agriculteurs) réalisé en 1987 par les cinéastes de l’INPAR de Rennes et par les aménageurs de développement (ADASEA) d’après une enquête et une recherche préparatoire de la sociologue et ethnologue française Michèle Salmona.
Malgré les restrictions (voir plus bas) qui ont été faites et la conclusion en "happy-end" (le film a été réalisé par les aménageurs du développement... ;-)) qui laisse entendre qu’après le plan du développement les familles verront enfin le bout du tunnel et se porteront mieux, ce film reste d’une grande utilité pour comprendre la face cachée, "ob-scène", du développement. Les paysans prennent la parole et expriment leurs préoccupations devant le bouleversement apporté à leurs conditions d’existences.
Il est important de signaler que le film, réalisé à l’aide d’un crédit du ministère de l’Agriculture (CNASEA), a été censuré au montage (le contrôle faisant partie intégrante du paiement... ?)
En effet, comme le relate Michèle Salmona page 134 de son livre Souffrances et résistances des paysans français : "Lors du montage du film qui avait été précédé d’un synopsis méticuleux, établi à partir des entretiens filmés des agriculteurs, une série de coupures ont été faites sur les phénomènes les plus inquiétants relatés, concernant la santé, les conflits et les maladies professionnelles".
Cette volonté de censure (voire de falsification) du travail de recherche d’une sociologue rurale constitue un élément à charge lors du procès que nous engageons contre l’Etat. En effet, on ne peut qu’être choqué par ce genre de méthodes coercitives de la part d’organismes qui sont censés évaluer l’impact des politiques publiques. On serait en droit d’attendre un peu plus de transparence, un peu plus d’indépendance et surtout un plus d’honnêteté intellectuelle... Avec de telles méthodes, il devient alors très facile de truquer la réalité afin de cacher aux citoyens les aspects les plus sombres des politiques publiques.
Le film (durée 25 min) :
L’évolution a rendu nécessaire l’adaptation de nombreuses exploitations agricoles. Des politiques de "modernisation" accompagnées d’aides publiques ont été mises en place pour "faciliter" ces évolutions.
Au moment des bilans, la réflexion porte largement sur les résultats en termes de progrès techniques et économiques, mais ne prend pas en compte tous les éléments qui peuvent les influencer.
Par exemple, l’estimation en quantité et qualité des transformations du travail, les incidences physiques et mentales (fatigue, angoisses...) liées à la modernisation sont des éléments-clés dans la mesure où elles peuvent bloquer ou au contraire dynamiser la productivité des groupes de travail concernés.***
La "face cachée du développement", c’est précisément le thème développé dans ce film qui aborde pour la première fois des problèmes souvent évacués parce qu’ils appartiennent au domaine du "non-dit".
Le film s’articule autour de témoignages recueillis dans quatre exploitations différentes. Il fait suite à six années d’observation et d’enquête ayant pour objet l’évaluation des plans de développement en Loire-Atlantique. Les résultats de l’enquête étaient clairs : que les familles réalisent ou non le plan, au moins une dépression se déclarait dans chaque GAEC, et certaines familles comptaient jusqu’à trois dépressions de membres différents. Les plans de modernisation n’étant en fait qu’une "loupe grossissante" de ce qui se passe dans les petites entreprises familiales qui, en investissant, se retrouvent en situation de changement technico-économique rapide.
"Avec le plan de développement, on est passé à quarante vaches et, avec plus de vaches, j’ai beaucoup moins de travail qu’avant", mais..." il y a de nouvelles tâches", M. Hegron.
"Au départ, on n’a pas connaissance de tous les inconvénients qui nous attendent... Il n’y a pas à dire, on n’est pas formé, on n’est pas habitué à maîtriser cinquante vaches, aux avantages et inconvénients, surtout les inconvénients pas les avantages... Tout change, c’est un bouleversement total", M. Templier.
"On était assez isolé au niveau de l’exploitation. Les gens avaient peur qu’on n’arrive pas à surmonter la somme d’investissement qu’on avait mis en place...", M. Corbineau.
"On se surpasse intellectuellement, moralement, physiquement. Mais physiquement jusqu’où peut-on aller ?...", M. Templier.
" Ca a vraiment été une période dure !... Après toute cette période de travaux, j’ai eu des problèmes de dos et, maintenant, dès que je fais le moindre effort, j’ai toujours mon problème de dos qui revient", Mme Hegron.
"Au début, mon mari n’en parlait pas trop de sa maladie, il ne voulait pas... Pour lui, ce n’était pas la déprime... Et, en fait, c’était quand même un début, si... C’était une grosse fatigue, mais quand même un début de déprime suite à la lourde charge des finances, du travail, surtout du travail... C’était surtout au niveau du travail, je pense, que cela l’a complètement bouleversé", Mme Clouet.
"Vivre toujours dans ce milieu c’est trop monotone... Je trouve que d’avoir des contacts à l’extérieur, c’est très important, ça aide à mieux vivre ses problèmes", Mme Clouet.
Nous remercions Michèle Salmona de nous avoir permis de numériser le film et autorisé à le diffuser sur internet. L’enquête écrite est disponible auprès de l’ADASEA de Loire-Atlantique et du Caesar.
NB : * Cela peut paraître abject de ne s’intéresser aux problèmes des familles que dans la mesure où ils peuvent "bloquer" la productivité, mais c’est pourtant la seule chose qui intéresse l’Etat et c’est uniquement dans le but de maintenir la productivité qu’il mandate des experts pour analyser l’impact du plan de développement sur les familles :-( .
Nous souhaitons attirer l’attention sur ce genre d’aberration lors du procès, en particulier comment un organisme comme le CNASEA peut-il être juge et partie, c’est-à-dire d’un côté être l’organisme sous tutelle du ministère de l’Agriculture qui finance et contrôle, pour le compte de l’Etat, les plans de modernisation, et en même temps financer et contrôler aussi les enquêtes sur l’impact des politiques publiques sur les familles ? De même, comment l’ADASEA peut-il être à la fois l’organisme chargé de faire appliquer la modernisation et être à la fois aussi impliqué dans les enquêtes d’impact sur les familles ? Ces deux organismes peuvent-ils réellement avoir un point de vue objectif, impartial ? Nous en doutons fortement ! Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas mandaté un organisme indépendant pour faire l’enquête d’impact sur les familles ? Pourquoi avoir censuré certains passages du film ? Voilà les questions que nous souhaiterions poser à l’Etat français...
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