Les créateurs de désirs
Vous qui avez élaboré, au fil des ans, un argumentaire implacable lorsque vos amis vous questionnent sur votre « choix » de passer toutes vos vacances en camping, de rester fidèles à ce petit coiffeur de quartier qui rate systématiquement votre coupe mais qui vous fait un si bon prix, de dépendre des humeurs aléatoirement généreuses du site « Billet réduc » pour vous rendre au théâtre grâce aux places au rabais, de fêter votre anniversaire en grandes pompes à L’Hippopotamus du coin, essentiellement attirés par le gâteau offert (et les bougies !), de n’avoir séjourné dans un hôtel quatre étoiles que lors de cet inoubliable séminaire à Dijon, de promettre monts et merveilles à votre dulcinée pour qu’elle accepte de vous masser, avec conviction et plus de cinq minutes, alors voilà qu’une nouvelle ère de consommation s’offre à vous, grâce à une simple petite visite dans la benne à ordure de l’homme moderne : la boite de spams.
« Un peu parti, un peu naze… »
Grâce à l’arrivée massive des sites d’offres groupées, vous n’aurez plus besoin d’attendre les fêtes de Noël pour vous ruiner sur une Smartbox qui ne saurait traduire que votre manque d’inspiration. Massages Thaï, manucure, restaurants gourmets, week-end dans un palace à Marrakech, imaginez un instant cette orgie de luxe qui s’offre à vous.
J’ai testé. Je suis fan. Je suis ruinée.
Les questions qui m’obnubilent sont les suivantes : donner le goût du normalement inaccessible n’est-il pas dangereux pour le français moyen que je suis ? N’est-il pas mieux de voir le beau en rêve que d’apprendre à vivre à nouveau avec le moche au quotidien ?
Ce procédé me fait penser au « mythe de la caverne » de Platon. Par exemple, prenons un français profondément affecté par la crise. Je reprends. Prenons un français. Envoyons-le à l’hôtel Pullman d’Eindhoven, donnons-lui un libre accès au SPA, un petit déjeuner princier, un matelas de compétition dans un lit de magazine, une machine Nespresso dans sa chambre (la classe quand même !) et ramenons-le ensuite en un coup de train dans sa banlieue grise, avec ses idées noires et son compte en banque au rouge. Comment réagira-t-il ? Il essaiera sans doute d’expliquer à ses amis jaloux la fabuleuse expérience qu’il vient de vivre. Soit ces derniers penseront qu’il essaye de se faire mousser ou soit, à leur tour, ils voudront leur part du gâteau et fonceront sur Internet pour jouir eux aussi d’une parenthèse luxurieuse dans leur quotidien qui l'est beaucoup moins.
« Un peu parti, un peu naze… »
Nous ne sommes pas égaux, c’est un fait. Mais dans le fond, est-ce si bénéfique de nous faire croire le contraire ?....
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