Les écoutes téléphoniques de l’Élysée : « une faute personnelle » de fonctionnaires dévoyés, confirme définitivement la Cour de cassation
Les sept accusés (1) impliqués dans l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée, sous la présidence de F. Mitterrand, avaient été condamnés, le 13 mars 2007, par un arrêt de la Cour d’appel de Paris à payer de leur poche des dommages à leurs victimes. Fort mécontents, ces messieurs s’étaient tous pourvus en Cassation comme un seul homme. La Cour de cassation vient de confirmer, mardi 30 septembre 2008, l’arrêt de la Cour d’appel qui avait estimé que les coupables avaient commis « une faute personnelle » et non pas simplement « une faute non détachable du service », même s’ils avaient obéi à un ordre du président de la République.
L’avocat général avait demandé, à l’audience du 2 septembre 2008, la confirmation de cet arrêt, observant que la Cour d’appel avait « justement caractérisé la gravité des faits reprochés aux prévenus » car, selon lui, « c’est la gravité de la faute qui constitue la ligne de démarcation entre ce qui est détachable du service et ce qui ne l’est pas. »
I- LE DEVOIR DE DÉSOBÉIR À DES ORDRES ILLÉGAUX
« L’autorité légitime arguée par les prévenus pour permettre la qualification des délits qu’ils ont commis en faute de service, avait, en effet, expliqué la Cour d’appel, ne peut être reconnue en faveur d’un officier supérieur de la Gendarmerie et de hauts fonctionnaires dès lors qu’aucune disposition légale ne leur imposait une obéissance inconditionnelle à des ordres manifestement illégaux (…) du président de la République. (…) Ces délits d’une extrême gravité jettent le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique civile et militaire, affaiblissant l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique, n’excluant nullement la satisfaction de leurs intérêts personnels, telle la garantie d’une évolution intéressante de leur carrière ou la conservation d’avantages à raison de leur proximité avec les plus hautes autorités de l’Etat, outre leur volonté d’éviter la divulgation d’agissements peu glorieux. »
Est-ce qu’enfin est venu le temps du fonctionnaire responsable qui ne saurait désormais se faire l’homme de main d’un supérieur qui lui donnerait un ordre illégal ? La question avait déjà été posée par la condamnation de M. Papon en avril 1998 pour avoir obéi en 1942 à des injonctions qui faisaient de lui un complice de crimes contre l’humanité en organisant la déportation des Juifs de Gironde.
La meilleure des incitations à la vertu est le prix que doivent s’attendre à payer des fonctionnaires responsables de délits, voire de crimes sur ordre hiérarchique. Dans le cas présent, les condamnés auront, du moins l’espère-t-on, non seulement à régler de leur poche à leurs victimes les dommages en réparation du préjudice qu’a constitué la violation de l’intimité de leur vie privée, mais encore à rembourser tous les frais de justice (d’avocats, d’avoués, d’huissiers) que l’État a avancés depuis tant d’années pour leur défense au titre de la protection statutaire qui leur avait été accordée : une action récursoire pour procéder à ce remboursement devrait être normalement engagée à leur encontre.
II- LA FIN DU CAUCHEMAR POUR LE LIEUTENANT-COLONEL BEAU
Pour le lieutenant-colonel Jean-Michel Beau, l’une des victimes, cet arrêt, inespéré compte tenu de l’enfer judiciaire qu’il a connu depuis vingt-six ans, est la fin d’un cauchemar, enfin presque. Commandant de gendarmerie au moment des faits, il a été écouté par la cellule de l’Élysée parce qu’il avait refusé de porter la responsabilité du montage frauduleux réalisé, en août 1982, pour confondre les Irlandais de Vincennes à leur domicile. Convaincu par ses frères d’armes, MM. Prouteau et Barril, que ces personnes étaient de dangereux terroristes, il avait accepté de couvrir une perquisition irrégulière dans les formes, estimant la faute bénigne au regard de l’enjeu qui lui était représenté.
1- Un procès qui n’aura jamais lieu
Mais quand, près de trois ans plus tard, il a la preuve que ses collègues l’ont trahi et que les armes ont bel et bien été apportées sur place à son insu, il décide d’assumer seul toute la responsabilité de la première thèse officielle mensongère pour en exonérer ses subordonnés. Mais, en même temps, il souhaite un procès public pour que les responsabilités de chacun soient clairement établies : s’il a effectivement couvert des fautes formelles de procédure (perquisition commencée hors de la présence d’un officier de police judiciaire, absence d’uniformes, absence des locataires des lieux), sur lesquelles il a accepté de fermer les yeux en raison de la qualité alléguée des prévenus présentés comme de dangereux terroristes, il n’a pris, lui, aucune part au montage de Vincennes. Mais tous les moyens vont être bons pour que ce procès n’ait jamais lieu et qu’il porte la responsabilité entière de toute l’affaire. Et de fait, les instigateurs de l’opération n’ont jamais été jugés.
2- Le seul à avoir fait l’objet d’une condamnation annexe
En revanche, le commandant Beau sera poursuivi pour subornation de témoins - ses subordonnés à qui, dans un premier temps, il avait demandé de s’en tenir à la version officielle. Il est condamné en 1991, tandis que M. Prouteau, lui aussi poursuivi, sera relaxé par une Cour d’appel qui cassera le premier jugement en un temps record, tout juste deux mois après qu’il fut rendu. Ce doit être un record de vitesse pour un Appel dans les annales judiciaires. Dans l’affaire des Irlandais de Vincennes, le seul à avoir été condamné est donc le lieutenant-colonel Beau, lui qui n’est pas responsable du montage frauduleux !
3- Écouté car il en savait trop
C’est au cours de ces années qu’il est alors écouté avec près de deux mille autres personnes par la cellule de l’Élysée. En ce qui le concerne, il s’agit de contrer sa défense, car il est l’homme qui en sait trop. La découverte rocambolesque des écoutes téléphoniques dans les colonnes de Libération, à laquelle l’ex-capitaine Paul Barril ne serait pas étranger, va donner alors au lieutenant-colonel Beau l’occasion de voir ses ex-frères d’armes dans le box des accusés en 2005.
Ça ne fait alors jamais que douze ans que l’instruction est ouverte, depuis 1993, année où le président Mitterrand, avant de clore brutalement l’entretien, jure ses grands dieux devant des journalistes belges qu’il n’a jamais vu d’écoutes téléphoniques, qu’il ne sait même pas comment c’est fait et qu’il ne pensait pas que ses interlocuteurs allaient « tomber si bas », en l’interrogeant sur ce sujet ! La vidéo qui reste est un grand moment d’éducation civique (2).
4- Un premier jugement complaisant cassé, un arrêt d’Appel confirmé
Ce temps écoulé entre 1993 et 2005, date du premier jugement, suffit à dire les manœuvres de toutes sortes qui ont été déployées pour tenter, sinon de faire capoter l’instruction, du moins de l’enliser. Une première condamnation complaisante a fini tout de même par tomber sur les sept accusés, le 9 novembre 2005, avec en prime une petite douceur offerte par le tribunal qui a estimé qu’il s’agissait d’« une faute non-détachable du service ». Cela signifiait que les coupables n’avaient pas de dommages à verser à leurs victimes. Il revenait à l’État de se substituer à ses bons serviteurs.
Quelques-unes des victimes, scandalisées, ont donc fait Appel, dont l’actrice Carole Bouquet et Jean-Michel Beau. Et ils ont eu raison. La Cour d’appel en 2007 a estimé au contraire qu’il s’agissait bel et bien d’une « faute personnelle » et qu’il revenait aux coupables de payer de leur poche des dommages à leurs victimes. C’est cet arrêt que vient de confirmer la Cour de cassation.
5- Une réhabilitation attendue
Il est ainsi établi du même coup que le lieutenant-colonel de gendarmerie Jean-Michel Beau, trahi par ses frères d’armes en 1982, a fait l’objet d’une machination de leur part tendant à lui faire porter la responsabilité d’un montage auquel il était totalement étranger. Pour mieux combattre sa défense, on l’a donc mis sur écoutes, tout comme certains protagonistes de l’affaire et les journalistes qui s’y intéressaient.
M. Prouteau a craché le morceau en deux fois. Le 19 janvier 2005, lui qui avait toujours nié d’en avoir eu connaissance, se repent en cours d’audience du Tribunal correctionnel : « Je n’ai pas dit la vérité. J’avais les transcriptions (des écoutes) ». Puis, au cours de l’audience de la Cour d’appel, le 5 décembre 2006, vers 20 h 30, lui vient cet aveu. J.-M. Beau le raconte dans son livre paru en mars dernier. Agacée de ses atermoiements, la présidente a soudain demandé à M. Prouteau à la barre : « Mais enfin, M. Prouteau ! Vous saviez que Barril avait déposé les armes ?
- Oui, Madame, a répondu M. Prouteau, Paul a chargé la mule ! »
Ça faisait vingt et un ans que Jean-Michel Beau l’affirmait sans être entendu et qu’il attendait cet aveu.
Ne serait-il donc pas équitable de la part de l’État, par l’entremise de son actuel représentant, le président de la République, que, puisque les faits sont établis, le lieutenant-colonel Beau soit réhabilité et rétabli dans ses droits, comme il le demande dans un communiqué, ne serait-ce que par la reconstitution d’une carrière qui a été injustement brisée ? Alors un terme définitif serait mis au calvaire d’un homme dont l’honnêteté n’a pas marchandé quand il lui a fallu choisir entre sa carrière et la dénonciation du mensonge qui masquait des méthodes attentatoires aux libertés. Il n’a jamais nié sa faute initiale, bénigne au regard des circonstances, mais il a su désobéir pour que la vérité soit dite sur des atteintes aux libertés perpétrées par des fonctionnaires dévoyés.
N’est-ce pas justement ce que l’arrêt de la Cour de cassation reproche finalement à ces derniers, de n’avoir pas eu le courage de désobéir à un ordre illégal et de s’être déshonorés à violer la loi de la République, parce qu’ils étaient sûrs de leur impunité ? L’honneur de la République ne serait-il pas, en juste retour des choses, d’honorer un homme comme le lieutenant-colonel Jean-Michel Beau qui, lui, a su lui faire honneur en assumant ses responsabilités quand de hauts fonctionnaires indignes fuyaient les leurs ? Paul Villach (3)
(1) Les sept coupables sont les suivants : MM.
- Gilles Ménage, ancien directeur adjoint du cabinet de François Mitterrand,
- Christian Prouteau, chef de la « cellule de l’Elysée »,
- Pierre Charroy, ex-commandant du groupement interministériel de contrôle,
- Pierre-Yves Gilleron, ancien commissaire de la DST,
- Louis Schweitzer, ex-directeur de cabinet de Laurent Fabius à l’Hôtel Matignon,
- le général Jean-Louis Esquivier,
- l’ex-capitaine Paul Barril, membre de « la cellule de l’Élysée ».
(2) Voir l’interview stupéfiante du président Mitterrand : http://www.youtube.com/watch?v=8XVeBjHA8v8
(3) Autres articles relatant l’affaire parus sur Agoravox
- Paul Villach , « Les écoutes de l’Élysée » : la Cour d’appel de Paris à l’écoute... d’une nouvelle civilisation », Agoravox, 19 mars 2007.
- Paul Villach , « Une dignité cher payée : « L’affaire des Irlandais de Vincennes - 1982-2007 - ou l’honneur d’un gendarme », Agoravox, 18 mars 2008.
- Paul Villach, « Est-ce à l’État de payer en cas de "faute personnelle" commise par un fonctionnaire ? » , Agoravox, 7 juillet 2008.
- Paul Villach, « Écoutes téléphoniques de l’Élysée : des fonctionnaires enfin personnellement responsables ? », Agoravox, 3 septembre 2008.
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