Les élections américaines n’intéressent pas la Russie
Les médias américains ont donc décidé d’inviter la Russie dans la campagne électorale. Cela s’est fait à l’occasion de l’affaire des e-mails dont j’ai parlé dans un précédent article (« C’est encore la faute à Poutine »). La désignation de la Russie et de son président comme responsables des fuites permet à la fois de détourner l’attention des responsabilités du parti Démocrate lui-même et d’attaquer Donald Trump qui devient, de facto, un « agent du Kremlin ».
Le but principal est de diaboliser Donald Trump pour des liens supposés avec le président russe et de relancer l’intérêt du public, dans l’ambiance de russophobie soigneusement entretenue depuis des années.
Ce qu’a dit le candidat républicain à propos de l’Otan et de la Russie et de son président, déformé comme il se doit a été utilisé pour le décrédibiliser et ajouter un paragraphe à la saga de diabolisation de la Russie
Le « filon » a été utilisé jusqu’à la nausée par les différents médias américains repris, souvent, par leurs confrères européens et français en particulier.
Nous en sommes arrivé, début août, à un niveau tel que le porte parole du Kremlin, Dimitri Peskov, s’est fendu d’un communiqué précisant que la Russie n’intervenait pas et n’avait aucune intention d’intervenir dans la campagne présidentielle américaine, que Vladimir Poutine et son administration n’avaient aucun contact avec Donald Trump et que le Kremlin travaillerait avec le nouveau président quel qu’il (ou qu’elle) soit, ce que Vladimir Poutine avait d’ailleurs indiqué au journaliste américain qui l’interviewait en direct lors du récent forum de Saint-Pétersbourg. Il avait alors ajouté « Le monde a besoin d’un pays puissant comme les Etats-Unis. Mais la Russie n’a pas besoin de quelqu’un qui lui dise ce qu’elle doit faire ».
Mais commençons par nous pencher sur les déclarations de Donald Trump qui ont lancé le mouvement. A propos de la Russie, il a déclaré qu’il pensait pouvoir s’entendre avec Vladimir Poutine. Cela ne vous rappelle-t-il pas l’opération de « reset » prônée par Barack Obama en 2009, alors qu’Hillary Clinton était secrétaire d’état ? Il a ajouté qu’une collaboration dans la lutte contre le terrorisme serait bénéfique à tout le monde. Il n’y a là rien de révolutionnaire à mon avis.
On a également beaucoup parlé de ses déclarations à propos de l’Otan. La campagne démocrate accuse Donald Trump tantôt de vouloir quitter l’Otan, tantôt de vouloir supprimer l’organisation. En réalité, et cela devient clair si on s’en tient au déclarations du candidat républicain, ses deux arguments principaux sont : « l’Otan coûte trop cher aux Etats-Unis » et « quelle est exactement la mission de l’Otan aujourd’hui ? »
Sur le premier point, la position de Donald Trump est exactement dans la ligne des déclarations de Barack Obama depuis près de sept ans, et en particulier, de son discours à la réunion de l’Alliance à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016. Le président américain avait insisté, comme le fait remarquer Stephen Cohen dans une émission du « John Bachelor Show », sur le fait que, sur l’ensemble des vingt huit membres de l’Otan qui sont supposés payer deux pour cent de leur PIB à la défense, seuls cinq pays le font. Si bien que les Etats-Unis finissent par payer une part disproportionnée des dépenses de défense de l’Europe.
Stephen Cohen revient également, dans la même émission sur le deuxième point, à savoir les objectifs de l’Otan, vingt cinq ans après la disparition de l’Urss. De nombreux responsables américains en ont parlé depuis plusieurs années. Donc Donald Trump là encore n’est pas un révolutionnaire. Il se demande pourquoi l’accent est mis beaucoup plus sur l’expansion de l’Otan vers l’Est et la protection de pays de l’Europe de l’Est que sur la lutte contre le terrorisme alors que, justement, l’Otan est intervenu en Irak, en Afghanistan et ailleurs au Moyen Orient.
Pour Stephen Cohen, Donald Trump est seulement en train de dramatiser ces questions, d’agir comme une sorte de haut parleur pour des interrogations que d’autres aux Etats-Unis essaient depuis plusieurs années de cacher à l’opinion, comme en particulier les vieux médias américains qui, pour le moment, refusent d’aborder le sujet.
Donald Trump résumait sa position sur le sujet dans une interview avec le bureau éditorial du « New York Times », le 25 mars 2016 : « L’Otan a besoin de changement. Il doit changer pour tenir compte du danger terroriste et il doit changer sur le plan économique parce qu’il coûte trop cher aux Etats-Unis. »
Mais, bien entendu, le camp démocrate déforme les propos de son adversaire afin de les combattre plus facilement.
Donald Trump a également abordé la question de la détente. La détente entre deux grandes puissances comme les Etats-Unis et la Russie consiste à trouver des sujets importants sur lesquels on peut coopérer. Le désarmement nucléaire a été un de ces sujets. La lutte contre le terrorisme international pourrait en être un autre, et Donald Trump de préciser « Pourquoi faites-vous de la Russie un ennemi ? Je passerai des accords avec Poutine. Laissons Vladimir Poutine détruire l’Etat Islamique (Daesh) pour nous. » Des présidents américains ont eu ce genre de discours par le passé qui n’étaient pas présentés comme des traitres à la patrie. Mais ils n’étaient pas alors en campagne électorale.
Toute cette agitation semble étrange à une Russie peu habituée à ces luttes artificielles dont le but premier semble être de prendre le pouvoir d’abord et de réfléchir ensuite à ce que l’on va pouvoir en faire. La raison principale qui leur rend le spectacle surréaliste est que les Russes ont de la mémoire et leurs médias aussi. Ils se souviennent des déclarations, des prises de positions et des actions passées des principaux acteurs de cette campagne.
Hillary Clinton accuse la Russie d’intervenir dans la campagne américaine, sans, d’ailleurs, apporter aucune preuve tangible de ce qu’elle avance, mais l’administration Clinton est intervenue dans la campagne russe de Boris Eltsine en 1996. Time Magazine a même fait une couverture sur cette intervention sur le thème « il faut sauver Eltsine ».
L’extension de l’Otan vers l’Est, de Berlin à la frontière russe, contre les promesses faites à Mikhaïl Gorbachev, a commencé sous l’administration de William Clinton. Elle a été la plus grande extension d’une zone d’influence des temps modernes. La Russie qui n’était pas en position de réagir, un moins au début, a réagit deux fois, la première en 2008 en Géorgie et la seconde en Crimée.
Donald Trump a déclaré qu’il n’irait pas en guerre contre la Russie à propos de la Crimée. Il faut se souvenir qu’avant l’intervention américaine en Ukraine qui a abouti au coup d’état de 2014, la Russie n’avait aucune prétention sur la Crimée. Elle avait un accord à long terme concernant le stationnement de la flotte de la Mer Noire. Tout a changé quand Moscou a réalisé que l’Otan pourrait prendre possession de la péninsule. Donald Trump a simplement expliqué que toute tentative de reprendre la Crimée mènerait obligatoirement à la guerre avec la Russie et qu’il se refusait à une telle guerre.
La remarque la plus controversée de Donald Trump à propos de l’Otan concernait l’article 5 du traité, celui que l’on nous présente comme un engagement de tous les signataires de se porter militairement au secours de tout pays membre qui serait attaqué. On pense évidemment d’abord au scénario d’une attaque russe sur les Pays Baltes. Il serait bon, pour commencer, de préciser que cet article pose le principe d’une réaction de chacun des pays de l’Otan pour se porter au secours d’une membre de l’Alliance attaqué, « par tous les moyens qu’il jugera appropriés ». On voit bien qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une riposte militaire.
Mais il serait bon également de se poser la question, et c’est ce que sous-entend Donald Trump, de savoir dans quelle mesure un engagement irrévocable de l’Otan à défendre les Pays Baltes, par exemple, n’incite-t-il pas ces pays à adopter une posture belliqueuse qui pourrait déclencher une catastrophe militaire pour l’Europe, plutôt que de chercher des solutions par la voie de la négociation avec la Russie ? Stephen Cohen pose directement la question.
La détente que soutient Donald Trump n’est-elle pas celle-là même qu’ont recherché Barack Obama en 2009 et avant lui les présidents William Clinton et Ronald Reagan ? Cela dit, il la présente dans son style provocateur qui est en partie responsable aussi des réactions de ses adversaires.
En dehors du domaine de l’Otan, Hillary Clinton cherche aussi à utiliser la carte russe dans la campagne. Comme le disait Stephen Cohen sur le ton de la boutade, depuis un peu plus d’une semaine, elle combat un « ticket virtuel » Trump/Poutine, plutôt que le « ticket réel » Trump/Pence.
Ainsi elle accuse Paul Manafort, le directeur de la campagne de Donald Trump d’avoir travaillé pour le pouvoir Ukrainien comme conseiller en communication et d’avoir eu des relations avec des oligarques russes. Mais la Fondation Clinton aussi a eu des relations avec des oligarques russes et les Russes le savent parfaitement.
On ne peut pas faire des affaires en Russie sans traiter avec les oligarques qui contrôlent une part de l’économie à la suite de la disparition de l’Urss et des privatisations des années 90. Les Russes le savent parfaitement. Même chose en Ukraine où, en plus, les oligarques ne contrôle pas seulement une part importante de l’économie, mais aussi de la politique. N’oublions pas que le président ukrainien est l’un d’eux.
Ce sont ces attaques et ces prises de position qui donnent un caractère surréaliste, pour les Russes, à la campagne électorale américaine.
Leur intérêt pour le résultat de cette campagne est également très modéré. Quel que soit le prochain président, Hillary Clinton ou Donald Trump, les grandes administrations resteront les mêmes, le nouveau président ne va pas changer tous les cadres de la CIA ou des agences de sécurité, du Pentagone ou du Département d’Etat. Il y a donc peu de chances pour que l’ambiance générale des relations change rapidement dans un cas comme dans l’autre et la Russie sait qu’elle se trouvera face à un président tout aussi hostile que Barack Obama.
Ce que l’on sait, c’est qu’avec Clinton, nous aurons « plus de la même chose », cette même politique qui a favorisé l’ascension de Donald Trump dans les sondages et vers la désignation des Républicains. Un mandat Clinton augmenterait la force du mouvement qui a abouti à ce résultat. Pour qui est capable d’incorporer à son raisonnement la durée longue de l’histoire, une élection d’Hillary Clinton serait un élan supplémentaire et non un coup d’arrêt aux positions du candidat républicain. Et les Russes, justement sont de ceux qui pensent dans la durée.
D’autre part, les dirigeants russes connaissent bien Hillary Clinton qu’ils ont pratiquée comme Secrétaire d’Etat. La candidate qui, pendant toute la campagne, n’a jamais prononcé un discours, fait une intervention publique sans un texte écrit, présente un côté « prévisible » intéressant.
Donc, même si ce que l’on peut attendre d’elle n’est pas très réjouissant (plus de guerres, plus de « changements de régimes »), le risque de surprises est nettement réduit. Ce risque est d’autant plus réduit que la Russie a une solide expérience des tactiques de la « Secrétaire d’Etat Clinton » et sait comment les contrer.
De plus les nouveaux rapprochements opérés par la diplomatie russe en Asie Centrale, en Asie ou au Moyen Orient, risquent de rendre la tâche plus difficile à une présidente Clinton.
Le dilemme se présente donc comme, soit un peu plus de ce que l’on connaît, soit un nouveau président qui peut s’avérer imprévisible, en particulier à cause à la fois de son caractère et de sa méconnaissance de la gestion d’une puissance comme les Etats-Unis. Pour Igor Ivanov, ancien ministre des affaires étrangères russe et actuel président du « Conseil Russe des Affaires Internationales », il est plus facile d’arriver à un accord avec des professionnels expérimentés, même s’ils sont des négociateurs inflexibles et des partenaires difficiles. Ils sont prévisibles, rationnels et conscients de leurs limites. Il est en général plus difficile de travailler avec un nouveau venu dans les affaires internationales, son manque d’expérience produit souvent des comportements incohérents et imprévisibles. »
Si on se penche sur les déclarations de Donald Trump pendant la campagne et si on fait abstraction, un moment, des déclarations qui sont mises en exergue par la campagne d’Hillary Clinton et les vieux médias, on ne peut l’accuser d’être une taupe du Kremlin, bien au contraire. C’est d’ailleurs pourquoi on ne nous présente que des déclarations dûment sélectionnées. Il a, par exemple, déclaré lors d’incidents entre des bateaux américains et des avions russes qu’il ne faudrait pas hésiter à abattre quelques avions russes.
Donald Trump a un égo surdimensionné qui l’empêche de filtrer son propre discours. Il donne l’impression de parler sans réfléchir et admet très difficilement ses erreurs. Quand il a fait une erreur, il a plus tendance à « doubler la mise » qu’à l’admettre. Cela dit, il se pourrait qu’il ne soit pas un président si dangereux car dans un grand nombre de situations, il ne peut agir sans l’accord du Sénat.
Ainsi donc, si on pose la question directe de savoir quel candidat aurait la préférence du Kremlin, je serais tenté de répondre : « aucun ». D’un côté vous avez un Trump qui a des propos sur l’Otan qui sonnent comme de la musique aux oreilles russes mais qui, pour le reste, est une grande inconnue. De l’autre une Clinton que l’on apprécie peu mais qui l’on connaît, ce qui vaut mieux que de s’aventurer dans le noir.
Mais surtout, la population voit dans la campagne et les élections un spectacle ridicule animé par des médias plus préoccupés par les rumeurs, les petites phrases et les dérapages que par les vraies questions. Un commentateur américain travaillant en Russie, Peter Lavelle, compare la campagne vue de Russie à « un concours de beauté avec des participants moches ». Il semble totalement absurde aux Russes que leur président puisse tenter de s’immiscer dans ce « cirque ». Ils pensent que rien de positif ne peut sortir de ces élections qui ait la plus petite influence sur la Russie et souhaitent que les Etats-Unis s’occupent de leur soi-disant démocratie et ne cherchent pas à l’exporter en Russie. Vladimir Poutine s’est, par exemple, demandé publiquement si on pouvait considérer comme démocratique un système dans lequel un président peut être élu avec une minorité des voix de la population. Il faisait allusion en autres élections présidentielles américaines, à celle de George W. Bush en 2000 qui a gagné les élections contre Albert Gore avec un total de votes populaires de 50.456.062 contre 50.996.582 à son adversaire.
Le système électoral décrit ailleurs dans ce livre est responsable de ce type de résultats qui ne sont tout de même pas si fréquents (quatre dans l’histoire des Etats-Unis).
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