Les embarrassantes embrassades de Donald Trump et E. Macron
La conférence de presse commune des deux chefs d’État a démontré l’embarrassante position dans laquelle s’est mis Emmanuel Macron. Vu des États-Unis, on retiendra une embrassade inhabituelle et un président américain campé sur ces positions et son style, en dépit du numéro de charme réussi du président français.
Si les innombrables entretiens qu’il a donnés à la presse et le timing de ses tweets truffés de grossières fautes d’orthographe démontrent une profonde incompétence, Donald Trump n’en reste pas moins l’homme le plus puissant du monde. Doté d’un incontestable talent de communicant, le président américain fonctionne à l’instinct. Son "intelligence émotionnelle" compense son mépris pour la vérité et la connaissance. Pour le convaincre, la flatterie est bien plus efficace que la logique. Emmanuel Macron a bien intégré cette dimension, et s’est lancé dans une vaste opération de charme, débuté sur Fox News la veille du voyage (1). Celui qui sut amadouer ses différents mentors, de Jacques Attali à François Hollande, semble bien placé pour tirer avantage de l’égocentrisme du président américain.
En l’invitant au défilé du 14 juillet avant de l’emmener diner au sommet de la tour Eiffel, Emmanuel Macron a su tisser une relation personnelle avec le président Trump dont les fruits s’étendent jusqu’à l’étroite coopération militaire sur les théâtres d’opérations syrien et irakien.
Mais mis à part ce « lien spécial » qui unit les deux chefs d’État, les intérêts de leurs pays respectifs ne sauraient être plus divergents.
Les positions contradictoires
Commençons par la plus grave menace qui pèse sur la survie de l’humanité, la crise climatique. Non seulement Donald Trump a retiré les États-Unis de la COP21, mais il a engagé une politique intérieure dévastatrice pour le climat. Son administration supprime une à une toutes les régulations sur la pollution de l’eau et de l’air, ouvre d’immenses parcs naturels à l’extraction pétrolière, taxe de 30 % les panneaux solaires et cherche par tous les moyens à subventionner les centrales à charbon. Emmanuel Macron fait lui aussi beaucoup contre l’écologie (2), mais sur le plan international, il reste un ardent défenseur de l’accord de Paris.
Sur l’Iran ensuite, la France avait engagé de nombreux investissements suite à la signature de l’accord sur le nucléaire. Un traité inespéré du point de vue occidental, et sévèrement décrié par la droite iranienne, dont les éléments les plus conservateurs souhaitent le démantèlement. L’Iran, il faut le rappeler, c’est une culture multimillénaire, une population jeune et éduquée, en quête de liberté civile. Les Iraniens ont massivement voté pour le candidat d’ouverture Rouhani face à l’alternative radicale soutenue par les milieux conservateurs et les ayatollahs. L’Iran, c’est également le principal facteur de stabilisation de l’Irak, le principal acteur dans la destruction de Daesh et, désormais, un belligérant en Syrie. L’Iran, c’est enfin un contrepoids au salafisme de l’Arabie Saoudite et aux pétrodollars qui financent le terrorisme islamiste au Moyen-Orient.
Mais pour les néocons américains, l’Iran est surtout un soutien du Hamas et une puissance à l’influence grandissante, qui fait de l’ombre à l’Arabie Saoudite. Les va-t-en-guerre de Washington n’ont pas digéré l’accord iranien qui ferme la porte à une intervention militaire permettant de renverser le régime de Téhéran. Que ce soit Nikki Haley (ambassadrice des USA à l’ONU), Mike Pompeo (directeur de la CIA et bientôt ministre des Affaires étrangères), John Bolton (conseiller spécial à la défense) ou James « Mad Dog » Matthis (ministre de la Défense), tous ce sont prononcés pour un renversement du régime iranien.
Quant à Donald Trump, obnubilé par la destruction de l’héritage d’Obama et convaincu par Fox News du caractère « désastreux » de l’accord Nucléaire, il s’est juré d’en venir à bout. Sa position a déjà considérablement réduit les bénéfices qu’en tire Téhéran, toujours menacée de sanctions, et à la peine pour faire entrer les capitaux étrangers. À ce titre, le fait que l’Iran n’ait pas déjà dénoncé l’accord témoigne d’un certain sang-froid. Car le but de la manœuvre américaine est simple : annuler l’accord, pousser l’Iran à la faute et ainsi justifier une intervention militaire.
À cela vient s’ajouter la situation en Syrie, en passe de se stabiliser, mais dans un état qui déplait aux Occidentaux et à Israël. Les Turques massacrent impunément nos alliés kurdes avec l’aval de la Russie, Bachar reprend définitivement pied et l’Iran peut étendre son influence et débuter la mise en place d'une route commerciale vers l’Europe, rendant les pipelines des monarchies salafistes superflus pour alimenter le marché européen. Une situation insupportable aux yeux de la France et des USA, pour une raison qui m’échappe encore, si ce n’est de la nostalgie postcoloniale et des marchés juteux d’armements offerts par les monarchies du golfe.
Dans ce contexte, on pouvait prêter à Emmanuel Macron quatre objectifs :
- Pour éviter une guerre future généralisée au Moyen-Orient, convaincre Trump de conserver l’accord iranien
- Pour reprendre pied en Syrie, convaincre Trump d’y laisser ses troupes, qui protègent les Kurdes (nos meilleurs alliés contre Daesch) de la Turquie (notre alliée de l’OTAN…)
- Permettre à l’UE d’échapper aux nouvelles mesures protectionnistes souhaitées par Donald Trump
- Peut-on encore mentionner la COP21 ?
Pour Donald Trump, menacé de poursuites judiciaires et en perte de popularité fracassante, y compris auprès de sa base la plus fidèle, il s’agit de gagner en légitimité à moindres frais.
La conférence de presse devait permettre de se faire une idée de l’avancée de l’opération séduction du président Macron.
Une conférence de presse accablante
Les deux présidents ont rivalisé de mots doux pour rappeler le lien qui unit les deux pays, s’auto congratuler pour les frappes en Syrie et entretenir le flou sur l’avenir de l’Iran. Trump a félicité Macron pour la fermeté de sa politique migratoire, et ce dernier est parvenu à glisser le mot « climat » avant de dessiner une porte de sortie sur l’Iran : un nouvel accord qui viendrait s’ajouter au traité existant, ou le remplacerait. Cette belle effusion s’est conclue par une embrassade qui fera jaser les commentateurs.
Mais contrairement à notre pseudo-démocratie, les journalistes américains n’hésitent pas à interpeller les présidents lors des séances de questions, et c’est cet exercice qui a permis de mettre en lumière les divergences.
Donald Trump dut s’expliquer sur sa propre incohérence, lui qui parlait encore récemment de retirer ses troupes de Syrie, et qui devrait maintenant les maintenir jusqu’à ce que l’influence de l’Iran soit contenue. Peut-être doit-on y voir la suite d’une démarche belliqueuse dans la région, entamée par le cirque des frappes aériennes. On lui a également demandé de commenter les négociations en cours avec la Corée du Nord, dont on devine qu’il sera difficile d’obtenir la dénucléarisation si les USA et la France font voler en éclat l’accord iranien.
À son tour, Emmanuel Macron dut expliquer pourquoi il avait abandonné l’idée de défendre l’accord iranien pour s'aligner sur la position américaine. Son fameux plan B est à priori impossible, puisqu’il consisterait à exiger que l’Iran se retire de Syrie et d’Irak et renonce à son programme balistique. Ce qui revient à renverser le régime iranien, du point de vue géopolitique. Macron ne pouvant pas reconnaitre qu’il venait de s’aligner sur la position de Donald Trump, il produisit une longue réponse dont pour noyer le poisson. Cette tirade a néanmoins troublé Donald Trump, qui s’est à son tour lancé dans un long discours improvisé, où il fut question des sommes dépensées par les USA au Moyen-Orient, de la nécessité pour les monarchies du Golfe de passer à la caisse, et qui se termina par une menace explicite de frappes nucléaires sur l’Iran. Plan B ou le feu nucléaire, donc.
Le sourire gêné d’Emmanuel Macron ne l’empêcha pas, quelques minutes plus tard, de se lancer dans une nouvelle accolade avec le président américain.
On jugera sur les résultats, mais pour l’instant, cette visite d’État symbolise la soumission la plus complète du président français face au complexe militaro-industriel américain et les délires de leur président autoritaire. Si la manœuvre permet d’éviter la guerre qui s’annonce avec l’Iran, la persévérance d’Emmanuel Macron aura payé. Mais est-ce sage de chevaucher un tigre dans l'espoir de le dompter ?
Notes :
- Donald Trump regarde Fox News entre deux et quatre heures par jours selon de nombreuses sources concordantes. De nombreuses personnalités s’adressent à lui directement depuis les plateaux de la chaine ultra conservatrice et de l’historique des tweets de Trump est corrélable aux reportages de la chaine (qui sont souvent des histoires montées de toute pièce – des fake news donc).
- Sur l’écologie, rappelons le bilan d’Emmanuel Macron : autorisation des perturbateurs endocriniens, du glyphosate, accords de libre-échange avec le Canada qui permet l’importation des pétroles issus des sables bitumineux et de viande élevés avec des antibiotiques activateurs de croissance. Accord de libre-échange avec le Japon et le Mercosur qui, dans le second cas, encourage l’importation de viande bovine élevée sur les restes fumants de la forêt amazonienne, suppression des subventions à l’agriculture bio, onze milles grenades balancées sur Notre-Dame-des-Landes, autorisation des forages pétroliers au large de la Guyane, soutient à la déforestation de l’Amazonie pour y implémenter une mine d’or, privatisation des outils essentiels à la transition énergétique : rail, aéroports, barrages hydrauliques. Enfouissement des déchets nucléaires à Bure et répression sanglante des opposants.
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