Les émeutes raciales aux USA : une terrible tradition (2) : celles de 1965-1968
L'émeute raciale de 1943 est vite tombée dans les oubliettes de l'histoire. Lorsque Kid Creole vient faire son cirque dans les années 90, on évoque Minnie The Moocher mais pas les Pachucos et leurs vêtements mis en lambeaux par des hordes de marins frustrés. Il faudra attendre un peu plus de 20 ans pour que d'autres soubresauts apparaissent à nouveau à Los Angeles. Cette fois-ci les hispaniques y sont pour rien. On pouvait s'attendre à autre chose après la proclamation des droits civiques de 1964 proposés par Lyndon B.Johnson, qui interdit définitivement la ségrégation raciale dans le pays. Mais l'administration traîne, les élus blancs rechignent et les noirs s'impatientent. Le prétexte de l'arrestation d'un jeune noir, Marquette Frye, lors d’un contrôle routier, alors qu'il est alcoolisé et qui a déjà été arrêté comme membre d'un gang local, met le feu aux poudres. Les rancœurs qui couvaient mènent alors la danse, et un quartier, celui de Watts, s'enflamme littéralement à partir de la rumeur de sa molestation par la police, ce qui était faux. Emeute, pillages, meurtres, assassinats, lynchages, on aura le droit à tout devant des cameramen médusés. Paris-Match, qui ne jure alors que par les exploits des cosmonautes de Gemini est pris de court : personne ne comprend pourquoi une telle flambée de violence dans un pays à la pointe du progrès technologique... une flambée qui recommence deux ans plus tard à Detroit et à Newark et un an après l'assassinat de Martin Luther King en fabrique d'autres encore. Le beau projet de nouvelle société de LBJ, ce président pourtant raciste (*), démarrait sous de bien mauvais auspices...

Les révoltes urbaines aux USA ont été nombreuses dans les années soixante : de juin 1963 à mai 1968, ont eu lieu 239 émeutes urbaines différentes, concernant près de 200 000 participants, et qui ont laissé derrière elles le lourd bilan de 8 000 blessés et de plus de 200 morts. L'historique des différents mouvements ne donne pas toujours d'indication véritable sur l'étincelle qui aurait pu tout déclencher, mais en 1964, un événement a du avoir du poids dans l'opinion noire. Le 21 juin 1964 en effet, trois jeunes militants pour les droits civiques, James Earl Chaney, Michael Schwerner et Andrew Goodman – un Noir et deux Blancs, ici à gauche– sont enlevés et sauvagement assassinés et enterrés par des membres du Ku Klux Klan (ceux-là aussi) dans le comté de Neshoba dans le Mississippi : c'est à peine 11 jours avant que LBJ ne signe le décret sur les droits civiques promise par Kennedy, qui interdit la discrimination dans les lieux publics et garantit l’égalité des chances en matière d’emploi... Le KKK a visiblement tenté un coup de force de dernière minute !!! Un KKK vert de rage en décembre de la même année avec la nomination de Martin Luther King qui devient le plus jeune Prix Nobel de la Paix (à 35 ans !).
Le 25 février, le KKK s'était trouvé un autre ennemi : le boxeur Cassius Clay, 22 ans, devenu champion du monde des poids lourds en battant Sonny Liston. Les deux sont des noirs, mais le KKK a une autre dent contre Clay, car celui-ci rejoint très vite le mouvement "Nation of Islam" et devient alors Mohammed Ali, se mettant à dos les extrémistes de droite islamophobes (les pionniers du genre ?). Il faudra attendre 2005 pour que la justice américaine revienne sur le cas des trois du Mississipi, dans un revirement qui n'est pas total pour autant ! Le 7 janvier 2005, quarante ans après le crime, Edgar Ray Killen, âgé de 80 ans (ici à gauche), a en effet été inculpé de trois chefs d'assassinat. Il a été accusé d'avoir orchestré les meurtres et le rassemblement de la foule qui a tué les trois partisans des droits civiques. Le 21 juin au 41e anniversaire du meurtre, ER Killen a été reconnu coupable de trois chefs d'homicide involontaire, une accusation moins grave. Il a reçu la peine maximale, 60 ans de prison. Mais le grand jury convoqué a refusé d'appeler à l'arrestation de sept autres membres vivants du groupe d'origine des 18 suspects arrêtés en 1967... l'excellent film d'Alan Parker relatant l'affaire est visible ici (en 10 parties).
Le jury avait notamment fait l'impasse sur le cas du shérif local Lawrence Rainey dont l'attitude déplorable lors du procès (voir image ici à gauche) aurait dû inquiéter : on découvrira plus tard qu'il faisait partie des organisateurs du lynchage !!! Il savait, manifestement, et a couvert délibérément l'opération, ce qu'il a toujours nié avoir fait. Sa photo au procès résume parfaitement le sentiment d'immunité qui l'habitait, comme celle des membres du groupe du KKK, persuadés que jamais personne ne parlerait.
Tout devait aller mieux, pourtant
Alors que le pays s'enthousiasme aussi pour la réforme promulguée, avec des milliers de jeunes noirs et blancs du Nord qui se mettent en route vers le Sud ségrégationniste pour aider les citoyens noirs américains à s'inscrire sur les listes électorales, ceux-ci ayant toujours été réticents (il faudra attendre 2008 pour que cela bascule vraiment !). Tout marche (enfin) dans le bon sens, celui de l'antiracisme, se dit-on, et pourtant, cela recommence cette fois à l'été 1964, avec la révolte du quartier de New-York de Harlem (une révolte ayant déjà eu lieue en 1935 au même endroit, à partir du vol d'un noir Porto Ricain de 16 ans, Lino Rivera, que la rumeur affirmera avoir été battu par la police). En 1965, c'est une révolte d'exploités, selon Malcom X, cet autre extrémiste, ou de gens qui se sentent exploités et exclus des richesses du pays, qui s'attaquent sans le savoir à un dogme intangible, le capitalisme, qui, pour continuer à faire des profits, est obligé de recourir régulièrement à un lumpen prolétariat, qui est alors ... noir : "ces révoltes étaient spontanées et inorganisées, mais elles obéissaient à une logique interne. Attaques et pillages étaient pour l’essentiel dirigés contre les propriétés des commerçants blancs qui exploitaient la communauté noire : ainsi à Harlem, plus tard à Watts. Les Noirs récupéraient en somme les produits qui leur avaient été volés sous la forme de travail sous-payé et de prix prohibitifs." Ajoutée à cela, la lenteur avec laquelle la loi anti-discrimination se met en place ce qui exaspère toute la communauté noire. Encore une fois, c'est donc un fait divers suivi d'une rumeur qui déclenche les hostilités : un jeune noir âgé de 15 ans à peine, James Powell, à été abattu le 16 Juillet 1964 par un policier... qui n'était pourtant pas en service et qui a déclaré avoir été menacé d'un couteau (voilà qui rappelle fort le second cas récent survenu !).
L'attitude d'un policier mise en cause
Le récit du déclenchement de l'affaire est en effet assez incroyable : un individu, Patrick Lynch, propriétaire de trois maisons à Yorkville, une zone blanche de cadres supérieurs située sur l' Upper East Side de Manhattan, lassé de voir ses perrons squattés par de jeunes noirs à décidé d'en arroser quelques uns en les insultant copieusement au passage "sales nègres, je vais vous rendre propre" (ce qu'il niera avoir dit, bien sûr). Les jeunes répliquent aussitôt en lui lançant des ordures, attirant l'attention de trois autres garçons venus du Bronx qui passaient par là, dont James Powell, qui s'avance avec ses deux amis dans le vestibule d'une des maisons. C'est alors qu'arrive le lieutenant de police Thomas Gilligan, venu d'un magasin a proximité, pour tirer aussitôt et sans sommations à trois reprises sur James Powell.
Le policier déclara que Powell possédait un couteau, et qu'il l'avait menacé avec, ce que l'enquête n'arrivera absoument pas à établir. Selon le New-York Times qui a interviewé des témoins présents, "quand Gilligan a tiré son pistolet, le jeune Powell a levé son bras droit , pas un couteau, mais comme un geste de défense". Le policier qui en était à dix-sept ans de service, avait des antécédents : il avait déjà abattu deux autres hommes dans sa carrière. Un de ces hommes avait essayé de le pousser d'un toit et l'autre beaucoup plus jeunes qui pillait des voitures en face de son appartement... dès l'annonce du meurtre, des manifestationbs pacifiques apparaissent, demandant l'inculpation du policier. Elles vont vite dégénérer. Le magazine "Time" arrivé sur place écrit bien que "les contradictions fondamentales dans les témoignages tiennent dans les revendications de 15 adolescents, dont la plupart connaissaient Powell, comme quoi Powell n'avait pas attaqué Gilligan avec un couteau. La plupart d'entre eux disaient que Powell était tombé sur le trottoir après le premier coup. Puis, dix de ces témoins, ont dit que Gilligan a tiré deux coups de feu quand il était sur le trottoir", mais il en fait une "revendication"... et met de l'huile sur le feu ou entretien la confusion en écrivant que "pourtant, deux passants adultes ont indiqué que Powell avait certainement tenu un couteau et décrit l'action comme l'a décrite Gilligan. Un autre témoin adulte a dit qu'il était sur que Powell avait "un objet" dans sa main droite. Deux amis noirs de Powell a déclaré que sur le chemin de l'école, Powell leur avait montré deux couteaux, qu'il avait donné à chacun d'eux pour les garder pour lui"... Time ne précisant pas la couleur de peau des "passants" reprenant la thèse du jeune noir armé.
Comme une traînée de poudre
S'en suit toute une série de provocations mutuelles, et surtout une réaction surdimensionnée de la police de New-York, qui envoie aussitôt la police montée et des gaz lacrymogènes.. James L. Farmer, Jr. , directeur national de CORE (le Congress of Racial Equality, créé en 1942), qui a assisté au début des émeutes constareta et dénoncera très vite l'extrême brutalité de la police, et ira même plus loin en déclarant avoir vu des trous de balles dans les fenêtres et les murs de l'Hôtel-Thérèse, signalant donc des tirs à balles réelles ! De Harlem, la rumeur et les pillages se sont déjà déplacés vers Manhattan puis vers Brooklyn, pour culminer dans le quartier noir de Bedford-Stuyvesant. L'émeute fait également tache d'huile à Rochester, au nord-ouest de la ville de l’État de New York, où deux jeunes ayant bu de l'alcool sont arrêtés par la police, ce qui déclenche de nouveaux heurts.
Les différentes émeutes de cet été 1964 se solderont par 7 morts et des millions de dégâts, essentiellement des magasins pillés. Pour LBJ, de bonne foi sur cette réforme, c'était une véritable trahison : il convoquera Martin Luther King pour le lui dire. Mais LBJ ne s'intéresse pas au devenir de son pays : il passe son temps à profiter de sa situation présidentielle pour obtenir des cadeaux : sa femme choisit ainsi une chaîne stéréo qui lui a été offerte par un de ses industriels donateurs qui espèrent en retour des facilités fiscales. Sa très courte vue poliique l'empêche d'âgir là où il faut. On lui soumet des rapports, mais il ne les lit pas : "un rapport de 1966 sur la situation à Watts prouve que "rien n'y avait changé depuis l'année précédente et que les services engagés dans la guerre contre la pauvreté, pris dans les chicanes administratives, étaient incapables de fixer les priorités." [cf : Portes, p253]
La pire des infamies ?
Essayer de mettre en place les droits civiques pour les Noirs se heurte souvent à des blocages, dont certains peuvent devenir sanglants. C'est le cas à Selma, en Alabama, dans un état longtemps resté ségrégationniste, où le 7 mars 1965, la troupe de l'Etat et le détachement d'un shérif ouvertement raciste attaquent 525 manifestants pour les droits civils participant à une marche pacifique entre Selma et Montgomery (la capitale de l'Etat). La marche a été organisée pour promouvoir l'inscription des électeurs et pour protester également contre l'assassinat d'un jeune homme noir, Jimmie Lee Jackson, lui aussi un membre des droits civiques pour les Noirs, par un soldat de l'Etat, James Bonard Fowler, le 18 février précédent.
Les images, terribles, montrent des civils molestés à terre à coups de bâtons par les membres de la police casqués. Au passage, les matraques cassent les appareils des photographes d'United Press International et le correspondant de NBC News, Richard Valeriani, est frappé si violemment qu'il se retrouve à l'hôpital. Lors du meurtre de Jackson, il tentait de protéger son grand-père, Cager Lee, âgé de 82 ans, lui aussi molesté. Il faudra attendre le 10 mai 2007 42 ans après l'assassinat pour que l'officier de police James Bonard Fowler soit accusé de meurtre au premier degré par les autorités. Le 15 Novembre 2010,
Fowler il plaidait coupable pour deux homicides involontaires (il avait tué l'année suivante Nathan Johnson) et était condamné à deux fois six mois de prison. En 1965, un grand jury l'avait déclaré non coupable ! Le gouverneur raciste Wallace (ici à gauche), aura tout fait pour retarder la reconnaissance des droits civiques dans son Etat. Il gagnera des voix au KKK, mais perdra la face totalement dans le pays. Carter l'appellera "le perdant le plus influent" ! En 1968 il se présentera à l'élection présidentielle, sur un programme raciste et réactionnaire, et recevra 10 millions de votes, soit 13 % du total des voix.
Des révoltes de frustration, d'écartés de l'opulence




et y’a rien qu’y puissent faire pour l’empêcher,
Détroit est en train de cramer
Et la société blanche y changera rien.
Ma ville est en train de cramer
Et c’est encore pire que le Vietnam. »




(*) Lyndon Johnson a beau avoir promulgué cette loi (par choix politique !), il était lui-même profondèment raciste ! Il parlait de "niggers", de nègres quand il évoquait un noir. Devant le démocrate du Mississipi James Eastland, il parlait de la "loi nègre" pour la proclamation des droits civiques des noirs ! "Johnson était un homme de son temps (...) Pendant deux décennies au Congrès, il a été un membre fiable du bloc Sud, aidant à bâtir les deux législations de droits civiques. Comme le rappelle Caro, Johnson avait passé la fin des années 1940 a pester contre les « hordes de nains jaunes barbares » en Asie de l'Est. Croyant dans le stéréotype que les Noirs avaient peur des serpents (qui n'a pas peur des serpents ?) Il se rendait aux stations services avec un dans son coffre et essayait de se trouver alors des serveurs noirs pour l'ouvrir. Une fois, Caro écrit, le gag a fort mal tourné pour lui, où il avait été battu à coups de démonte-pneu".
http://lhistgeobox.blogspot.fr/2009/03/150-mc5-motor-city-is-burning.html
"Motor city is burning" MC5
Ya know, the Motor City is burning babe,
there ain't a thing in the world that they can do.
Ya know, the Motor City is burning, people,
there ain't a thing that white society can do.
Ma home town burning down to the ground,
worser than Vietnam.
Let me tell you how it started now ...
it started on 12th and Clairmount that morning.
Ah said, it started on 12th and Clairmount that morning,
It made the pigs in the street freak out.
The fire wagons kept comin', baby,
but the Black Panther snipers wouldn't let them put it out, wouldn't let them put it out, wouldn't let them put it out.
Well, there were fire bombs bursting all around, people,
Ya know there were soldiers standing everywhere.
I said there was fire bombs bursting all around me, baby,
Ya know there was National Guard everywhere.
Ah can hear my people screaming.
Sirens fill the air, fill the air, fill the air.
Your mama papa don't know what the trouble is
you see, they don't know what it's all about.
Ah said, your mama papa don't know what the trouble is, baby,
they just can't see what it's all about.
Read the news, read the newspapers, baby ?
You just get out there in the street and check it out !
Ah said, the Motor City is burning, people,
I ain't hanging round to fight it out.
Ah said, the Motor City is burning, people,
just not hang around to fight it out.
Well, I'm taking my wife and my people and ???
Well, just before I go, baby, ???? ,
firemans on the street, people all around,
Now, I guess it's true,
I'd just like to strike a match for freedom myself,
I may be a white boy, but I can be bad, too.
Yes, it's true now, yes, it's true now.
____________________
Détroit est en train de cramer, baby,
et rien de peut l'empêcher, les mecs,
Détroit est en train de cramer
et la société blanche ne peut l'éviter.
Ma ville est en train de brûler totalement
et c'est encore pire qu'au Vietnam
Laissez-moi vous dire comment ça a commencé...
cela a débuté au coin de la 12ème et de la rue Clairmont ce matin là.
C'était la panique chez les flics,
les voitures de pompiers continuaient d'arriver
mais les snipers des Black Panthers ne les laissaient pas éteindre les incendies.
Il y avait des bombes incendiaires éclatant un peu partout,
il y avait des soldats partout
il y avait des bombes incendiaires éclatant tout autour de moi,
il y avait la garde nationale partout.
J'entendais la population criait.
Les sirènes hurlaient dans l'air (3X)
Ton père et ta mère ne comprennent pas l'origine du problème.
Ils ne saisissent pas ce qui se passe.
Ton père et ta mère n'y comprennent rien, baby,
ils ne peuvent pas voir ce qui se passe
Lis les nouvelles, lis les journaux, baby ?
Tu as juste à sortir dans la rue pour les vérifier.
Détroit est en flamme
Je ne vais rien faire pour éteindre l'incendie (2X)
et bien, je pars avec ma femme, la populace et ???
Eh bien, juste avant de partir baby ???
les pompiers dans la rue, des gens tout autour,
maintenant, je devine que c'est vrai,
je voudrais juste craquer une allumette pour les libertés
je suis peut-être un petit blanc, mais je peux être mauvais moi aussi.
oui, c'est devenu réalité, c'est devenu réalité.
source sur Watts
https://lcrm.lib.unc.edu/blog/index.php/tag/mccone-commission/
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