Les émeutes raciales aux USA, une terrible tradition (3) : les émeutes de 1992
On croit le problème oublié, et il resurgit moins de vingt ans plus tard, avec toujours la même origine, à croire que rien n'a servi, qu'aucune décision n'a été prise pour éviter le retour de ces flambées de violence, et la condition des noirs aux Etats-Unis est restée la même. A l'époque, pas d'Internet, et pourtant, c'est une vidéo virale qui va provoquer une terrible et un énième embrasement dans tous le pays. Une vidéo diffusée par des chaînes locales puis reprises par des nationales. Celle d'un lynchage en règle d'un chauffeur de taxi noir... battu et passé au taser, une vidéo diffusée deux semaines après l'événement et suivie surtout de l'acquittement scandaleux des policiers auteurs du tabassage. Leur libération c'en était trop pour la communauté noire, et l'Amérique retombait dans ses vieux démons de 1919,1935, 1943, 1964,1965, 1966,1967 et 1968...
Les années 60 et leurs émeutes n'ont pas encore disparu dans les mémoires que d'autres recommencent : en 1979, un motocycliste, vétéran de la Marine, l'Afro-américain Arthur McDuffie, brûle un feu rouge à Miami. Arrêté, il est battu à mort par la police. Lors du procès qui suit, l'année suivante, où tous les jurés sont blancs, les policiers sont acquittés. Mais la famille d'Arthur McDuffie reçoit finalement 1,1 million de dollars de dédommagement. Le quartier d'où était originaire, Liberty City, s'embrase, il y a 18 morts et plus de 400 blessés. L'été suivant, à Brooklynn un enfant noir de 7 ans est renversé par un rabbin, Menachem Schneerson. Des émeutes s'en suivent et, Yankel Rosenbaum, un étudiant australien, est retrouvé poignardé dans la rue par un jeune noir. Mais ces émeutes n'ont pas l'ampleur de celles de 1992...
L'homme s'appelle Rodney King, il n'a que 26 ans, et le 3 mars 1991 il tente sur l'autoroute 210 à Los Angeles (on y revient !) d'échapper aux policiers avec sa Hyundai, car il conduit en état d'ébriété avec deux passagers à bord (il vient de regarder un match de basket avec des amis, ils ont descendu ensemble un bon nombre de bouteilles d'Old English 800)... et n'est pas tout rose chez lui et il le sait : en novembre 1989, King il a braqué un magasin à Monterey Park, en Californie ; il a frappé son gérant pour lui voler à peine 200 dollars. Après 10 jours de cavale ; il a été pris et condamné à 2 ans de prison, et en a fait une seule, bénéficiant d'une liberté conditionnelle. Son arrestation au coin de Osborne Street et Foothill Boulevard est le fait de plusieurs policiers du Los Angeles Police Department (LAPD) dont quatre surtout vont s'acharner sur lui sans jamais lui passer les menottes. Ce grand gaillard costaud, véritable force de la nature, est difficile à maîtriser en effet. La première à lui demander de mettre le ventre au sol, ce qu'il fait après ses passagers, est une femme-policier, Melanie Singer, en le menaçant de son pistolet. Elle a laissé ensuite faire ses collègues, qui l'ont frappé ensuite alors qu'il était déjà à terre. Il est en effet très violemment frappé, on lui inflige deux tirs de taser... son visage tuméfié témoignera de la sauvagerie de l'arrestation... qui, manque de chances pour les policiers, a été filmée intégralement de son balcon par un habitant du quartier, George Holliday, inquiet de la tournure des événements et révolté par l'acte des policiers. Sans cette vidéo, il aurait rejoint le flot des anonymes passés à tabac par la police de la ville, dont la réputation est alors déplorable. Sa vidéo dure plus de 9 minutes ; le tabassage en règle durant à peine 2 minutes. Ils ont asséné pas moins de 56 coups de bâton et six coups de pieds (ceux-là venant d'un seul policier, Theodore Briseno), dont certains à la tête du prévenu... La scène est envoyée à la chaîne locale de télévision de Los Angeles KTLA dont le rédacteur en chef décidé de la diffuser le soir-même... Evidemment, la réaction de rejet est immédiate, et tout le monde est d'accord pour dire qu'on a utilisé une "force excessive", pour le moins, pour son arrestation. CNN prendra le relais le lendemain pour la diffuser à travers tous les USA. L'affaire Rodney King fait le tour de toutes les chaînes de TV... dans le monde. Des tabassages de la sorte, il y en a eu des centaines, pour sûr. Mais comme le dira le commentateur d’ABC, Peter Jennings,"C’est une histoire qui n’aurait jamais fait surface si elle n’avait pas été filmée"...
Acte raciste ? Sans aucun doute. C'est l'ordinateur de bord d'un des policiers poursuiveurs, Laurence Michael Powell, qui va le révèler et le trahir : pour signaler qu'il "traçait" en voiture le fugitif, il avait inscrit un message "codé" d'un groût douteux : c'était selon lui une chasse "au gorille dans le brouillard", comme il l'avait-il rédigé à bord de son véhicule. Après l'arrestation, il remet son ordinateur de bord en marche et tape "je n'ai jamais battu autant quelqu'un !"... son collègue répondant cuyniquement "je pensais que tu avais envie de te détendre un peu"... Powell, un policier immature, avait auparavant déjà frappé un prisonnier menotté et arrêté un motocycliste noir uniquement parce qu'il circulait dans un quartier blanc ! L'enquête policière montre vite en effet que les policiers avaient agi avec férocité, ce qui commençait à faire beaucoup jaser et ce qui contraint le chef de la police, Daryl Gates, a déclarer dès le 7 mars (quatre jours seulement après les faits) que quatre d'entre eux sont aux arrêts et qu'ils vont être jugés pour mauvais comportement. Lors du procès qui suit, un policier va témoigner de sa.. surprise quant à la méthode utilisée contre KIng : c'est la seule policière ce soir-là, Melanie Singer, écœurée par la tournure des événements. Singer a déclaré, "l'agent Powell est venu à la droite de King, et en quelques secondes, il a sorti son bâton, et d'un mouvement puissant, il a frappé le conducteur dans le haut de la pommette, la fraction du visage du haut de son oreille au menton ". Interrogé par le procureur White sur le fait qu'il n'avait aucune raison de le frapper à la tête, au moment où il l'a frappé," Singer a répondu : "à mon avis, non, monsieur, il n'y avait aucune raison pour cela." Pire encore pour Powell ; un de ses collègues témoignant de ses vantardises d'après arrestation et parlant "d'une belle partie de base-ball", où "il avait fait quelques bons coups (home runs)" . Avec Powell, le procureur White (qui est noir), va montrer facilement mais aussi adroitement les différences de témoignage entre policiers, va revenir sur ses fameux messages d'ordinateur de bord :




"Cependant, l'inquiétude reste de mise dans une ville où des inégalités criantes demeurent entre communautés blanche, noire, hispanique et coréenne. « Il y a eu des changements positifs », notamment « un énorme changement dans la police », plaide le révérend Cecil Murray, professeur d'éthique à l'école de religion de l'Université de Californie du Sud (USC). « Mais notre histoire a démontré que nous n'avons pas encore appris à coexister pacifiquement », confie-t-il, citant le massacre des Amérindiens, l'esclavage, et les discriminations contre juifs, Irlandais et Italiens..." C'était il y a deux ans maintenant, et c'est aujourd'hui devenu prophétique... Rodney King meurt peu de temps après les célébrations, le 17 juin 2012 à Rialto, Californie, à l'âge de 47 ans seulement. Une de ses dernières apparitions, lors du 20eme anniversaire de son tabassage sera pour demander "d'apprendre à vivre ensemble..."
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