Les enfants d’Albert Einstein : un retour vers une recherche simple et humaine
Le débat de l’innovation en France vient de reprendre de plus belle avec la campagne présidentielle. Sur fond de rapport non officiel abordé dans Le Monde, les clivages de la recherche semblent rejaillir sur fond de crise des vocations, de misère du statut du chercheur et de lutte d’influence autour de l’indépendance du chercheur.
Dans sa Lettre à tous les Français, en 1988, François Mitterrand soulignait : « Souvenons-nous qu’humble ou célèbre, académique ou marginal, le chercheur est comme la pointe de diamant d’une société avide d’accéder aux formes supérieures du savoir et, par là, du progrès. » Dans cette même missive, François Mitterrand voyait un mauvais signe dans le fait que la France était passée du cinquième rang mondial au septième en nombre de chercheurs par rapport à la population active. Il s’indignait de ce que le gouvernement de la première cohabitation de la Ve république ait diminué de 3% les crédits du CNRS, échappant « de justesse au démantèlement ». La force de l’histoire est de pouvoir parfois éclairer des débats plus que modernes avec un esprit plus innovant que celui qui s’inspire de luttes purement politiciennes.
Ainsi, aujourd’hui, on prend en exemple un pole de compétitivité mûrement consolidé depuis deux ans par un gouvernement prêt à tout pour promouvoir une idéologie nouvelle de la recherche. Ainsi, l’idée d’un pôle d’excellence, accolé à l’Ecole polytechnique et à deux pas du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) a germé chez les idéologues d’une science matérialisante. Disposant de surfaces constructibles, de structures disciplinées avec viviers d’entreprises et de start-up, quelques néolibéraux ont rêvé d’une Silicon valley à la française, permettant de faire d’une pierre deux coups... Prouver que le pôle d’excellence est meilleur qu’une formation universitaire et montrer que cela sert à l’emploi et à la croissance. L’idée est séduisante au premier abord. Mais deux ans de recul ont permis de mettre en pièces ce modèle importé de Standford ou d’admirateur du modèle américain. Le pôle d’excellence en question a vu prospérer la mise en place de projets courts à visée appliquée. Le pôle d’excellence n’est que peu créateur d’emplois. L’investissement par les entreprises étant intéressé, les vannes des financements sont donc « obturables » à moyen terme, ce qui contraint à une recherche très « fonctionnelle »... au péril de passer à côté d’idées très fondamentales qui pourraient servir les générations futures. Là où l’université apporte du temps et l’incubation des idées, on trouve des structures doctrinaires qui verrouillent les bourgeonnements intellectuels si propices aux révolutions scientifiques. Le risque est donc là. En voulant une politique d’innovation au service de l’entreprise, on coagule les germes d’intelligences nécessaires à la recherche du futur.
Ainsi, proposer une « spéculation intellectuelle » au service d’une politique d’innovation accaparée par le profit et le résultat immédiat revient à hypothéquer l’avenir de notre recherche. On sait pertinemment que bon nombre de découvertes actuelles qui pourraient générer des applications réelles sont des diverticules analytiques de projets parfois centenaires. Ainsi, dans la biologie du développement, ne voyons-nous pas une filiation intellectuelle entre les expériences de Vogt (1900) qui travaillait sur les embryons de poulet au début du siècle dernier et celles des chercheurs sur les cellules souches qui mettent au point des stratagèmes pour utiliser des concepts génétiques à base de Récepteurs Toll qu’on retrouve chez la drosophile ou le lymphocyte humain ? Ainsi, les projets farfelus de Vogt sont ceux qui ont conduit à une génétique embarrassante pour l’éthique mais formidablement constructive en termes d’espoirs suscités au niveau médical.
Outre le fait qu’une recherche aujourd’hui « utilitaire » serait une politique incapacitante sur l’avenir, il est important de souligner le drame vécu par l’ensemble d’une collectivité professionnelle des chercheurs. Depuis des décennies, les chercheurs rêvent d’un statut plus solide et plus ouvert sur une liberté et une indépendance de recherche n’acceptant que les limites éthiques de la recherche. Aujourd’hui, la bassesse matérialiste pousse à requérir des résultats immédiats en échange de salaires mirobolants et de plus de crédit de projets. On sait que le pôle d’excellence de Saclay s’est rué vers ces mirages à courte vue en acceptant d’œuvrer pour des idées typiquement industrielles. Ainsi, tel fabriquant de portables exigera des perfectionnement factices sur des téléphones déjà performants, telle industrie pharmaceutique plaidera pour une étude sans recul de mécanismes de « syndromes bien lucratifs », notamment un syndrome métabolique qui a surgi au moment où les pays développés ont vu que la société était une société de consommation de « médicaments cotés en Bourse ». Ceci pousse alors à une « l’exégèse scientiste » d’une nouvelle forme qui se traduit par la focalisation de besoins artificiels constituant un risque de dilapidation intellectuelle d’une recherche qui au contraire doit opter pour une diversité de projets. Le risque donc des pôles de compétitions est un assujettissement à l’effet de mode qui conduira les chercheurs à proposer des projets très vendeurs sur des thématiques regroupées... exit alors la trouvaille « par hasard » qui révolutionne un système de pensée. Qu’adviendra-t-il des erreurs d’expériences qui ont conduit à mettre en évidence parfois une enzyme nouvelle, je pense à la transcriptase inverse, si mon souvenir est bon. Je pense à ces chercheurs qui se sont obstinés pour montrer un développement intellectuel révolutionnaire que le dogme figeait vertement... notamment Howard Temin qui fut considéré comme un égaré scientifique jusqu’à ce qu’on lui offre le prix Nobel de médecine. La froideur enfin des pôles d’excellence exclura les atypiques de la science... ces scienteux râleurs ou marginaux qui ont été parfois incorporés à des combats militants de grande ampleur ou à grande résonance et qui pouvaient trouver un statut de chercheur à l’université, statut vital pour leur fonction d’alerte. Exit aussi les CV qui sortent de l’ordinaire... n’oublions pas qu’en 1905, un jeune scientifique fut pendant deux ans au chômage puis travailla dans une administration pendant quatre ans avant de produire une théorie du nom de « la relativité »... Un pôle d’excellence actuel enverrait au panier un tel profil qui pourtant a révolutionné la physique du siècle dernier mais aussi fustigé les hiérarchies les plus austères de son temps (voir les biographies sur Albert Einstein, par de Closets et par Banesh Hoffman).
On reprendra enfin l’idée importante de la société de la connaissance qui a pour but de générer le savoir par excellence. Récemment Jean-Jacques Salomon sur une émission radio soulignait le fait que les scientifiques oeuvrant pour la connaissance pure devenaient rares.
Ceci est préoccupant car ils représentent l’ultime réserve intellectuelle et éthique d’une vision de la recherche qui transcende le temps. L’objectif des Etats riches et développés devrait être de donner des moyens à cette « intemporalité » de la recherche.
Une politique de la recherche trop matérialiste, en conclusion, risque d’apporter des résultats immédiats, sûrement peu concluants, mais également sèmera un trouble dans l’avancée technologique de notre pays. En brisant les dispositifs actuels de la recherche au profit de pôles concentrés, la communauté scientifique risque de perdre une éthique déjà malmenée et de s’engouffrer dans une « science sans conscience » au service de structures internationales de moins en moins humaines. Alors que le NIH américain réfléchit au gâchis d’une recherche trop focalisée ou trop pressée, serions-nous les seuls à vouloir passer à un modèle déjà reconnu comme bancal ? « La recherche d’après » n’est-elle pas celle qui sera au service de l’homme et de la collectivité et en phase avec un inconscient collectif qui l’autorise à travailler à l’avenir de l’homme ? Et à travailler surtout à son rythme !
Il y a eu les Enfants de Don Quichotte, qui récemment sont montés superbement au créneau pour briser une ultramoderne solitude et un égoïsme moderne autocentré. Il y aura demain les Enfants d’Albert Einstein qui tireront une langue irrévérencieuse à une vision mercantiliste de la recherche et surtout de l’avenir de l’humanité prise dans une gangue sans rêve.
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