On savait les médias français coutumiers des exercices de désinformation, une espèce de tradition qui reste vivace au vu de la proportion d’enfants de Goebbels que comptent les jeunes générations de journalistes. Leur marque de fabrication est un mélange d'amateurisme, d'inculture, de naïveté, parfois de grossièreté et surtout d’hypocrisie. Dans un monde où désormais l’information circule vite, se partage et se concurrence sans nul besoin de journaliste, il y a, malgré la lourdeur du phénomène, quelque chose de désuet et de nostalgique dans cette « french touch » qui nous change du « story telling » à l'américaine : le mensonge et l’imposture y paraissent plus spontanés et moins travaillés.
Jugeons-en par exemple au travers de l’émission, « 66 minutes » d’une chaîne mineure M6, sur la Côte d’Ivoire diffusée le 30 janvier 2011.
Plantons le décor : des journalistes prennent d’abord contact avec des soutiens parisiens du président Gbagbo afin d’en obtenir une interview exclusive. Pour obtenir la confiance, ils évoquent le fait que leur chaîne n’appartient ni à Bolloré, ni à Bouygues, garantissant d’après une liberté de ton et une objectivité qui sembleraient manquer à leurs confrères. Accord leur est donné et ils sont « Embedded » une semaine durant au sein de l’équipe du président, aux frais de la princesse bien évidemment. Pour de vrais professionnels, c’était là l’occasion d’apporter, peut-être, un éclairage un peu en dehors du suivisme obsessionnel de la voix élyséenne qui se casse les dents sur le dossier.
Perdu ! Le reportage se limite à une attaque permanente de la partie invitante qui se voudrait subtile mais qui tourne en creux au plaidoyer pro-Ouattara. Le sujet méritait autre chose qu’un texte de rédac-chef aux ordres du Château de l’Élysée et débité par une voix féminine, très « parisienne », du journalisme de midinette.
En revanche, c’est un excellent travail à la Goebbels : la désinformation y est brutale, assénée avec conviction, sans nuance et sans recherche de vraisemblance ou de cohérence avec la réalité.
Selon M6, c’est presque Duvalier qui règne sur un morceau de la Lagune, entourés de domestiques et de Tontons Macoutes et contre un peuple terrorisé mais obligé d’aduler le maître. Il serait superstitieux et aurait peur d’être espionné. Rien moins que le monde entier lui demande de partir, lui qui a odieusement empêché l’annonce des résultats de l’élection présidentielle. Le Conseil Constitutionnel est épinglé car il le soutient pendant que le vainqueur, ce pauvre Ouattara a été obligé de se réfugier dans un hôtel (de luxe non précisé) protégé par 800 casques bleus (sans compter 700 ex-rebelles) car le pouvoir aurait déclenché une campagne de violence en s’appuyant sur des fans (sic) hystériques. La guerre civile menace, les sbires du président chauffent les fans (sic) hystériques. Il paraitrait aussi que les voitures brûlent à Abidjan (rappel : aucune voiture incendié pour le nouvel an en Côte d’Ivoire. Combien en France ?).
Le téléspectateur est toutefois rassuré à la fin du reportage. Ouf : la communauté internationale va faire triompher le bien, par des sanctions économiques, une intervention militaire ou une opération commando (on ne sait pas très bien).
On craint un autre reportage, sur Ben Ali par exemple, Moubarak ou, pourquoi pas, Sarkozy (on peut rêver).
Finalement, le métier de journaliste français est risqué. Au petit jeu de la désinformation sur des dossiers explosifs dont on ignore l’issue et avec un « parrainage » à la longévité incertaine, il est des traces qui pourraient un jour se rappeler à certains. En Afrique, il arrive qu’on regarde les médias français quand ils parlent de vous et le monde est en train de changer. Le fort d’hier pourrait bien être le faible de demain et inversement.