Les nazis se fondent dans le paysage, mais un petit journal d'El Paso au Texas va les retrouver et indiquer à ses lecteurs que Fort Bliss est devenu un nid de nazis, ayant eu des activités douteuses en Europe pendant la guerre. On retrouvera dans le dossier du FBI de Von Braun cette bien étrange affaire concernant son propre frère : "le Major James Hamill a indiqué qu'en juin 1946, Magnus von Braun, le frère de Wernher, a vendu une barre de platine à un bijoutier d'El Paso, au Texas, pour 100 000 dollars (somme astronomique à l'époque). Magnus von Braun a dit au bijoutier au moment de la vente que le platine avait été apporté de Hollande aux États-Unis par son père, qui avait servi en Europe pendant la Première Guerre mondiale (l'aîné von Braun n'est pas entré aux États-Unis avant fin mars 1947, neuf mois après cet incident). L'identité de von Braun a été déterminé par le nom et le numéro de téléphone qu'il avait fourni à la bijouterie. Il a été interrogé par le Major Hamill concernant cet incident et a admis volontiers qu'il avait apporté la barre aux États-Unis en violation des lois douanières. Le Major Hamill a déclaré que lorsque l'affaire a été portée à l'attention de Wernher von Braun,,responsables scientifiques allemands, il avait administré une sévère correction physique à son frère. (selon Piszkiewicz)." Le 16 janvier, 1947, Wernher von Braun effectuait une conférence au Rotary Club d'El Paso sur le futur de l'astronautique, en présentant son projet de fusée ailée à étages. Rien sur l'origine de cette fameuse barre de platine ne sortira jamais de ses propos.
Ils arrivent tous à passer inaperçus concernant leur passé, et Von Braun le premier :"en octobre 1946 le contrat de von Braun est prolongé de cinq ans, en 1948 Wernher von Braun deviendra un simple résident étranger travaillant sans restrictions aux Etats-Unis, en août 1949 il sera nommé membre honoraire de la Société britannique pour l'Espace. Le purgatoire se termine, le souvenir de la maison des morts s'estompe, les jours de gloire vont succéder au temps du mépris, on retourne le sablier." L'homme sauvera le projet spatial US en carafe de Vanguard et son plutôt ridicule "Pamplemousse", avec une idée qu'il avait proposé 4 ans auparavant dans l'indifférence générale. Mais ce jour-là un homme l'avait écouté et applaudi : c'était Ernst Stuhlinger, qui travaillait à White Sands avec lui et était un chaud partisan des fusées à étages. Et lui aussi un des 119 rescapés de Paperclip.

Un projet dont le premier jet avait été le fameux "Bumper" (admirons au passage sa tour de montage en... tubes d'échafaudage !) cette fusée à deux étages bricolée à la hâte
. "En 1950 le colonel Toftoy s'agrandit pour réaliser les nouveaux projets du Pentagone. La guerre froide a commencé, l'U.R.S.S. possède la bombe atomique et lance des fusées dans toutes les directions. White Sands s'avère trop petit le 24 février 1949 une fusée à deux étages y avait atteint une hauteur de 400 kilomètres. Le premier étage de cette fusée était une A.4. Il y avait plus de vingt ans que Wernher von Braun avait projeté ce type de fusée-gigogne dont il n'était d'ailleurs pas l'inventeur. Toftoy et Hamili s'installent dans l'arsenal de Huntsville en Alabama et annexent un arsenal voisin, qui jusqu'alors avait fabriqué des obus d'artillerie : Redstone.
" Von Braun et ses accolytes vont alors se voir confier une mission prépour l'armée US :
"Ils sont chargés de créer un missile sol-sol d'appui tactique d'une portée de 300 kilomètres, qui sera la fusée Redstone. Von Braun est nommé à la tête du département recherche et développement des projectiles guidés de Huntsville. La première fusée Redstone sera lancée en août 1953 à Cap Canaveral". Pour bâtir sa fusée, Von Braun a besoin de spécialistes : le 25 juin 1950 il fait venir au
Redstone Arsenal Arthur Rudolph
, nazi engagé politiquement dans un soutien à Hitler en s'inscrivant au NSDAP, soutien qu'il ne reniera jamais, venir pour diriger l'
Ordnance Guided Missile Center, de Huntsvillee, et devenir le responsable technqiue du projet
Redstone. Il venait du
White Sands Proving Grounds ou les V2 étaient testés, et où il avait atterri dès janvier 1946.

Mais Von Braun a d'autres rêves :
"au cours d'un séminaire sur l'espace tenu en juillet 1954 à Washington, les participants constatent que les Etats-Unis n'ont aucun programme de satellites. Von Braun suggère d'utiliser la fusée Redstone, de la munir d'étages supplémentaires et de lancer ainsi un satellite de quelques kilos. C'est de cette proposition que naît le programme Orbiter, dont l'armée et la marine ont l'intention de s'occuper conjointement, et qui prévoyait le lancement d'un premier satellite en 1956. Il faut dire que le travail à Huntsville n'est pas enthousiasmant pour Wernher von Braun, et que ces missiles d'une portée de 300 kilomètres sont pour lui de vieilles lunes. Certes l'armée de terre pour laquelle travaille von Braun s'apprête à réaliser une fusée militaire de portée intermédiaire, c'est-àdire 2 à 3 000 kilomètres, mais en juillet 1955 le programme de cette fusée baptisée Jupiter est freiné". Freiné, alors que tout le monde rêve de fusées ? C'est Ahrweiler, qui nous apprend pourquoi ces réticences :
"en effet, le président Eisenhower a décidé que les Etats-Unis participeront à l'année géophysique qui aura lieu en 1957-1958, et qu'ils lanceront un satellite autour de la terre. Mais le choix de la commission gouvernementale chargée de ce programme ne se porte pas sur la fusée Jupiter, mais sur une fusée que construira la marine, sous la direction de l'Académie des Sciences. Le fait que l'équipe de la fusée Jupiter comprenait un très grand nombre d'anciens de Peenemünde n'a certainement pas été étranger à cette décision". En somme ; Eisenhower, comme on l'a déjà écrit dans l'épisode précédent, est en conflit ouvert avec ses généraux qu'il accuse de détourner l'intérêt du pays vers celui d'une industrie militaire qui s'est mise en place pendant la guerre : le fameux
rouleau compresseur américain qui a laminé les japonais."
Le général de l'armée de terre Medaris propose en vain que la fusée à étages Jupiter C reste inscrite au programme en cas de défaillance de la future fusée Vanguard de la marine. De plus le ministre de la Défense, Charles Wilson, va préciser que l'armée de l'air sera chargée des fusées à longue portée et que l'armée de terre n'élaborera que des fusées d'appui tactique d'une portée maximum de 300 kilomètres". L'équipe de PaperClip est priée de se faire un peu plus discrète, donc. Ce genre d'échec n'est pas pour rebuter Von Braun qui en a connu d'autres : il va réussir ailleurs que sur la planche à dessin : devant la caméra. Les nazis avaient un sens du spectacle comme ceux que Speer concoctait. Von Braun va faire le sien jusque... chez Disney !
La présence de nazis sur le sol américain en
fait hurler plus d'un pourtant : le 1er juillet 1947 : un membre du Congrès
John D. Dingell, démocrate de Detroit, Michigan, dénonce l'Opération Paperclip à la Chambre des représentants (il avait demandé la cour martiale pour Husband E.
Kimmel et Walter]
Short lors de Pearl Harbor) :
"je n'aurai jamais pensé que nous étions si pauvres mentalement dans ce pays, et que nous devions aller pour ça importer ces tueurs nazis pour nous aider à préparer la défense de notre pays. Un Allemand est un nazi, et un nazi est un Allemand. Les termes sont synonymes." Le petit journal d'El Paso continuant à informer son lectorat de leur présence : "
le 1 juillet 1947, une histoire apparaît dans l'El Paso Times : "Les scientifiques allemands à El Paso critiqués". L'histoire raconte l'opposition croissante à la présence des scientifiques Opération Paperclip - sans nommer aucun nom - aux États-Unis. Affirmant la position de l'Armée de terre, l'article fait remarquer que les scientifiques nazis avaient été utilisées par l'armée depuis plus d'un an et se sont révélés être "techniquement et moralement, à la satisfaction du ministère de la guerre » et donc de « plus larges avenues pour la recherche leurs ont été ouvertes ". Toutefois, l'article continue : Les Britanniques [par la presse] ont averti que quelques-uns des scientifiques avaient mis au point des fusées qui avaient tué des femmes et des enfants britanniques, et que certains avaient commis des crimes de guerre plus graves que celles pour lesquelles les nazis avaient été sanctionnés. Pendant des mois, le New-York Times, dans ses articles, a formulé des avertissements selon lesquels, parmi les scientifiques d'El Paso, se trouvaient des membres très actifs du parti nazi. Le 27 juillet 1947 : une autre histoire apparaît dans l'El Paso Times : les scientifiques ne demandent pas la citoyenneté. En réponse aux critiques du public comme quoi les scientifiques de fusées allemandes ont introduit une demande de citoyenneté, un porte-parole du Département d'Etat annonce qu'il n'ont pas fait une demande de citoyenneté, et qu'aucun d'entre eux serait même autorisé à le faire pour deux années supplémentaires. (Voir : Novembre 5, 1947, Piszkiewicz) " : tous seront pourtant régularisés... en 1954 et 55.
"
L’opération Paperclip aboutit à la naturalisation d’un premier groupe de plus de 50 scientifiques allemands le 11 Novembre 1954 à Birmingham (Alabama). En 1955, c’est plus de 760 scientifiques allemands qui ont obtenu la citoyenneté américaine et des postes proéminents dans la communauté scientifique américaine. Nombre d’entre eux ont longtemps été membres du parti nazi et de la Gestapo, ont mené des expériences sur des humains dans des camps de concentration, ont exploité le travail d’esclaves, et commis d’autres crimes de guerre".

Pas très bon pour l'image de marque, tout ça.
"Wernher von Braun sent la Lune lui échapper. Au moment même où ses rêves de jeunesse vont devenir réalité il craint de manquer le coche spatial. C'est à cette époque qu'il se fait naturaliser Américain et il va réagir d'une manière typiquement américaine en utilisant les méthodes de sa nouvelle patrie et singulièrement la publicité où il va rapidement exceller. De tout temps d'ailleurs von Braun a été un parfait « public-relations » en fusées en tous genres et, aujourd'hui encore (c'est écrit en 1972) il est une des têtes du lobby spatial américain, fort de succès plus convaincants que les V.2 et les Redstone. " On le retrouvera pour faire sa promotion chez Walt Disney, en compagnie d'Ernst Stuhlinger, encore lui. On le verra en compagnie du très influent directeur du Collier's Weekly Magazine, Cornelius Ryan, qui lui ouvrira ses colonnes en "une" du magazine pour qu'il y expose ses thèses... civiles.

Et dans le genre, Von Braun va se révéler un roi de la communication : "
Von Braun travaille l'opinion publique. Medaris le nomme directeur de l'agence pour les missiles balistiques de l'armée de terre et il parcourt les Etats-Unis, de congrès en colloques, visitant les écoles, les universités, les laboratoires, démarchant les industriels, les politiciens,les économistes, les anciens combattants, les clubs, vendant de l'espace comme le Club Méditerranée vend des voyages,
vendeur convaincu et convaincant de ses propres rêves, placier en champs cosmiques comme d'autres placent des champs de pétrole, héraut d'une aventure qui n'intéresse pas encore les Américains mais à laquelle il attache son nom avant même qu'elle ne commence. Von Braun est déjà aux yeux des Américains l'homme de l'espace avant même qu'il n'y ait un homme dans l'espace, le Moïse de l'Alabama des nouvelles terres promises, avant d'en devenir le dieu même. Mais pour l'heure, les pharisiens tiennent le temple et il ne faudra pas moins que le lancement du premier spoutnik, le 4 octobre 1957, pour en ébranler les colonnes". En novembre 1958, le Moïse de l'ère spatiale fait la une de Life, en regardant (déjà) vers la Lune...
Une fois son tour médiatique fait, avec un naturel désarmant, il va bénéficier d'un coup du sort avec l'échec de ses rivaux de la Marine :
"ce jour-là précisément le nouveau ministre de la Défense, Neil Mac Elroy, inspecte l'arsenal de Redstone. C'est au cours du déjeuner pris en commun avec Medaris et von Braun qu'un secrétaire vient annoncer le lancement de Spoutnik I. Ce coup de Trafalgar est pour les Américains ce que Waterloo fut pour Napoléon, une lézarde béante au ciel du plus puissant empire du monde,
Rome défiée par les barbares. Heureusement le lancement de la fusée Vanguard est prévu pour le 6 décembre. Mais von Braun laisse entendre à Mac Elroy que la marine américaine n'a aucune expérience des fusées et qu'il serait bien étonnant qu'elle parvienne rapidement à placer un satellite sur orbite. Von Braun s'enflamme, tempête, s'épanche, suggère, menace, promet ; il rappelle que dès septembre 1956 une fusée Jupiter C a déjà atteint un objectif à 5 000 kilomètres de distance, il presse Mac Elroy de lancer Jupiter C, fusée d'ores et déjà au point, forte de l'expérience des Redstone, des V.2 et de la fusée A.9/10 qui devait bombarder New York, dans la course à l'espace et lui promet, avec Medaris, de mettre un satellite sur orbite en moins de trois mois. Mac Elroy retourne à Washington qu'il trouve en plein désarroi". Mais Von Braun le comédien a déjà gagné et convaincu un Medaris de toute manière meurtri par l'échec américain : faire un lance-satellite en trois mois, lui a dit Von Braun, ce serait donc possible ?.

Un homme déconfit qu'une seconde annonce lamine complètement :
"le 11 novembre 1957 l'Union Soviétique lance Spoutnik II avec à son bord la chienne Laïka ; le 6 décembre, comme l'avait prévu von Braun, le premier lancement de la fusée Vanguard se solde par un échec. Devant des millions de téléspectateurs américains, Vanguard explose à moins d'un mètre du sol, humiliant et traumatisant tout un peuple de pionniers. Mac Elroy, Medaris et son chef, le général Gavin, obtiennent un feu vert du gouvernement américain qui ressemble à une fusée de détresse la course contre la montre, et contre les Russes, commence. Mais, comme l'a noté George H. Ludwig dans son remarquable exposé de 2004 pour célébrer la découverte de la Ceinture de Van Allen, l'annonce du lancement de Spoutnik, après avoir mis en fureur Von Braun, devint pour lui une aubaine :
"La réaction scandalisée des collectivités publiques, scientifiques, et militaires au coup d'État soviétique a eu un effet très salutaire sur le processus décisionnel national. Avec le changement de la nature de la politique internationale introduites par le lancement de Spoutnik, toutes les contraintes contre l'utilisation de la fusée Jupiter C ont instantanément disparu. Immédiatement, il y eut un immense intérêt dans le soutien du programme Vanguard alors en retard afin de rejoindre les Soviétiques en tant que nation ayant des activités spatiales aussi rapidement que possible, et pour augmenter les chances d'un lancement par satellite réussi aux États-Unis au cours de la "Conference sur les Fusées et Satellites".

Surtout que l'équipe de Von Braun s'est étoffée, avec notamment l'arrivée de scientifiques de renom :
"A l'équipe de Huntsville dirigée par Gavin, Medaris et von Braun, vient se joindre d'abord le docteur William Pickering de l'université de Pasadena, puis le professeur James von Allen de l'université de l'Iowa. Le satellite Explorer I est monté sur le dernier étage de la fusée Jupiter. Dans les délais prévus par von Braun et Medaris, le 31 janvier 1958, la fusée Jupiter C est mise à feu à Cap Canaveral par le docteur Debus - un ancien compagnon de Peenemünde qui présidera aussi au lancement d'Apollo XI -, et le satellite Explorer I, qui pèse 14 kg, va rejoindre dans l'espace Spoutnik II qui pèse plus de 500 kg. Le premier satellite lancé par la fusée Vanguard, Vanguard I, mis sur orbite ultérieurement, pèsera 1500 grammes". Le fameux Debus devrait-on dire ,ou plus exactement le Docteur Kurt H. Debus, qui deviendra le premier directeur du John F. Kennedy Space Center en juillet 1962. Un ancien SS, que celui-là : dans le rapport des alliés sur sa capture, il avait été écrit
"qu'il devrait plutôt être emprisonné car il présentait une menace pour les alliés". Il officiera pendant des centaines de vol, sans que jamais la presse US ne rappelle ses activités antérieures.
On photographiera les principaux responsables du « projet Explorer » à la Army Ballistic Missile Agency du Redstone Arsenal, Alabama, devant le prototype d’Explorer I, quelques jours avant son lancement. On peut y voir (de g à droite) le Dr Eberhard Rees, le General John B. Medaris, Wernher von Braun (assis), Willi Mrazek, le Dr Walter Haeussermann le et Dr Ernst Stuhlinger. Des messieurs fort souriant en costume de ville. Tous avaient travaillé à
Peenemünde avec Von Braun. Haeussermann fut présenté à la fin de sa vie
comme une nazi notoire. Un article conclut sur lui à son décès :
"il restera dans l'histoire pour être connu comme un nazi, un scientifique des fusées, l'inventeur du V-2, et un homme extraordinaire de la NASA". En 1959 il recevait cependant la "Decoration for Exceptional Civilian Service" pour sa contribution au programme spatial US : il n'avait plus de passé.


Le premier satellite américain, c'est donc la revanche des anciens (nazis) bannis quelques mois auparavant par Eisenhower :
"devant leur télévision des millions d'Américains pleurent de joie quand, après avoir assisté au lancement, ils voient apparaître sur leurs écrans le docteur Wernher von Braun qui, de l'Académie des Sciences, leur confirme le succès d'Explorer I. L'aigle américain ressuscitait, un nouveau dieu naissait, un chant de gloire s'élevait « Von Braun mit uns » (jolie formule de l'écrivain).
Dans la foulée d'Explorer I, une série de satellites sont mis sur orbite avec des succès divers. Explorer IV, le 26 juillet 1958, défriche le domaine des ceintures de radiation qui entourent la Terre et porteront le nom de Van Allen". Le projet Jupiter rejeté était réapparu sous le nom de Jupiter C : c'est en fait une évolution directe du missile à courte portée
PGM-11 Redstone , appelée aussi
Juno I. Jupiter, c 'est en effet une Redstone (allongée) dotée de trois étages supérieurs à poudre, en fait. Trois étages passablement bricolés : ce sont en réalité des
assemblages en faisceau de petites fusées à poudre bien connues : des "Sergent" de 94 kg et 2400 kg de poussée chacune, le satellite étant "
emmanché" sur la dernière isolée, dotée de 680 kg de poussée seulement. Les second et troisième étage jouent aux poupées russes en fait. Ici, vu de dessus, le
montage circulaire des "Sergent" autour d'un cône de rentrée et non du satellite. C'est complètement du bricolage, mais ça marchera !

La
Sergent deviendra aussi le deuxième étage des lanceurs fiables "Scout", qui lancera le 16 février 1961 le satellite
Explorer 9 (un
ballon de 3,7 m de diamètre !). Von Braun a gagné son pari et le 17 février 1958, c'est pour lui la consécration avec la "une" du Time. C'est le nouvel héros de l'Amérique et non plus un nazi. Logiquement, lors de la présentation à la presse d'Explorer 1, le 1er février 1958, sur les
trois à tenir à bout de bras le satellite, Von Braun, en costume de ville, et le seul représentant de Peenemünde. A ses côtés, deux scientifiques :
Ph.D. William Pickering (l'homme plus tard du projet Mariner), Ph.D. James Van Allen, qui donnent au lancement un label civil. Pas un seul journaliste, ce jour-là, ne parlera des années noires du lanceur de V2. Encore moins de
Mittelwerk.

La revanche aussi pour
Arthur Rudolph (en photo à gauche avec Von Braun en 1967), ancien SA, hitlérien convaincu, jugé en 1945 comme étant
"à 100 % nazi, un type dangereux, une menace de sécurité" et pourtant lui aussi embarqué dans l'Opération Paperclip après avoir aidé les Britanniques à tirer quelques V2.
C'est un de ceux qui bénéficia de la plus grande mansuétude,
son dossier de 1945 devenant l'année suivante
« rien dans l'état actuel n'indique qu'il est un criminel de guerre ou un nazi ».

On le retrouvera lui aussi à White Sands puis dès 1947, puis à l'Ordnance Research and Development Division pour se charger de ce qui sera le futur projet PGM-11 Redstone : jamais il ne reniera l'hitlérisme, fuyant même les Etats-Unis en 1984 quand des journalistes révéleront qui il avait été véritablement. Le pire de tous, sans hésiter. Il participa pourtant activement au projet Apollo !
Lors du lancement, à une époque où les ordinateurs n'existaient pas sur les pas de tir, c'est le fin calculateur Ernst Stuhlinger qui permettra le succès de l'opération :
"Ernst Stuhlinger, scientifique principal et numéro trois de l’équipe de von Braun (décédé le 25 mai 2008 à lâge de 94 ans), n’avait pas le temps d’admirer le spectacle. Armé d’une règle à calcul conçue par lui, il contrôlait les données qui lui étaient communiquées depuis le blockhaus tandis que Jupiter grimpait au-dessus de l’Atlantique et atteignait la limite de l’atmosphère. Lorsque le premier étage se sépara, il dut déterminer l’instant exact où il devrait mettre à feu, par commande manuelle radio, les moteurs du deuxième étage. Les deux suivants, hors de portée, s’allumeraient automatiquement" nous rappelle
Futura-Sciences. Lors de l'Opération Paperclip, une photo avait réuni les 119 allemands ramenés : voici ceux auxquels fait allusion cet article :


Là encore, Jacques Ahrweiler, a vu juste : les satellites soviétiques sont énormes ! Ce que ne savent toujours pas les américains, c'est que c'est la même fusée qui les lance tous, lors du premier lot de tir de "Spoutnik", car elle peut envoyer sur orbite plus de 4 tonnes ! La comparaison (voir schéma) ne tient pas la route en effet !
"Mais les satellites américains n'ont aucune commune mesure avec les satellites soviétiques, beaucoup plus lourds donc beaucoup plus évolués, grâce aux puissantes fusées que possède l'U.R.S.S. On se souviendra que de tout temps la Russie a été à l'avant-garde de la technique des fusées, de Tsiolkovsky à Touchachewsky, de Kibaitchich à Sedov : après la Seconde Guerre mondiale un certain nombre de savants allemands ont, volontairement ou involontairement, travaillé en U.R.S.S., tel Helmut Gröttrup, un des premiers compagnons de von Braun, mais nous ne pensons pas que leur contribution ait été déterminante. Alors que se poursuit le programme Explorer, l'U.R.S.S. lance successivement, le 2 janvier 1959 Lunik I qui achèvera sa course autour du Soleil, le 13 septembre 1959 Lunik II qui s'enferre sur la Lune et le 6 octobre 1959 Lunik III qui explore et photographie la face cachée de la Lune. Il ne faut plus être grand clerc pour prévoir que l'U.R.S.S. sera la première à lancer un homme dans l'espace, ce qui arrivera effectivement le 12 avril 1961 avec Gagarine". Sur l'infiuence exacte de Gröttrup, Ahrweiler, se trompe, en fait : si la RD-7 de Korolv aura des boosters aussi performants, elle le devra à la fusée développée par l'équipe allemande raménée de force d'Allemagne de l'Est sous la direction du savant allemand.

Et c'est encore avec une fusée militaire que les USA réussiront à garder plus ou moins la face, celle de Von Braun bien sûr : "
grâce à la fusée Redstone les Américains réussissent à ne pas perdre tout à fait le contact avec les Russes : en mai 1961 Shepard fait pendant seize minutes un salut à l'espace. Le 21 juillet 1961 Virgil Grissom en fait autant avec une cabine Mercury. A peu près à la même époque, le 6 avril 1961, German Titov fait dix-sept fois le tour de la Terre". Les américains, trois ans auparavant, en étaient encore à lancer des singes minuscules grâce à leurs fusées Aerobee : le 13 décembre
1958, le petit singe
écureuil d'
Amérique du Sud" «
Gordo » avait fait son cosmonaute... avant que sa capsule ne l'écrabouille en mer au large de Cap Canaveral, son parachute ayant failli. le 28 mai
1959, toujours juché sur une Jupiter
IRBM AM-18, deux singes, un
Rhésus surnommé « Able » et un
singe écureuil d'
Amérique du Sud surnommé « Baker » sont envoyés à une altitude de 360 milles (579 km) et survivront à l'effroyable rentrée dans l'atmosphère mais Able mourra 4 jours après d'une infection (on avait tenté de lui retirer une électrode qui s'était infectée). Les deux compères avaient fait la une des journaux. Ce qu'ignorait le grand public, c'est que les petits singes bénéficiaient comme les précédents de la sollicitude d'
Hubertus Strughold, qui sera nommé un jour "
le père de la médecine spatiale", en oubliant de façon honteuse que sous ses ordres, à Dachau et Auschwitz, ses subalternes avaient mené les pires "expérimentations" sur des êtres humains. Il sera caricaturé comme un médecin sadique dans le
film l'Etoffe des Héros (avec s
on assistante... moustachue jouée par Jane Dornacker). La même année également, un satellite américain, Explorer VI, avait ramené la première photo complète de la Terre vue de l'espace : les militaires, une fois encore, avait lorgné sur l'exploit.

Ils avaient aussi depuis 1955 pris le temps de fourbir leurs armes, et de choisir une fusée susceptible de leur envoyer le "lourd" satellite qu'ils avaient réclamé à Eisenhower. Et pour ce qui est du maître d'œuvre, sans hésiter, ils s'étaient tournés... vers un ancien de Peenemünde : le docteur Adolf Thiel (ici au milieu de ses techniciens). Son curriculum était un peu le double de celui de Von Braun : Thiel avait été tout d'abord un professeur agrégé à l'Institut de Technologie de Darmstadt, avant de rejoindre l'équipe de Wernher von Braun à Peenemünde où il avait activement participé au développement de la fusée V-2. Envoyé lui aussi à Fort Bliss, au Texas lors de l'opération Paperclip, il avait travaillé au White Sands Missile Range, au Nouveau-Mexique, et à Huntsville, en Alabama. C'est lui qui était à la base de la conception du missile Redstone et il figurait alors comme le spécialiste en design des missiles balistique et de leurs systèmes. Son joujou à lui fut le missile Thor, dont il se chargera chez la division "espace" de TRW Inc (ancien Space Technology Laboratories) à Redondo Beach. TWR pour The Ramo-Woolridge Corp, autrement dit des
deux transfuges de chez
Howard Hughes ! Fondée par Simon Ramo, le génie découvreur du
magnetron, à la base de tous les radars ! Thiel était assisté par Konrad Dannenberg, alors "Liaison Engineer" chez
Rocketdyne, qui s'était inscrit au parti nazi dès 1932 et qui a même participé à la « Campagne de France » dans la Werhrmacht. Dans un forum annonçant son décès, un post me reste en mémoire :
"J'avoue toujours être mal à l'aise avec ce genre de personnage, que j'ai personnellement entendu refaire l'histoire lors d'une conférence à Huntsville en 2004 lors de l'International Space Camp, minimisant l'aspect belliqueux des premiers travaux de l'équipe de von Braun..." Les V2 n'ont tué personne, à les entendre dire...
C'est la firme Douglas qui avait hérité le 27 décembre 1955 du contrat principal pour le missile,
Rocketdyne s'occupant de la motorisation,
AC Spark Plug du guidage et
Bell Labs de la radio tandis que,
General Electric se chargeait du cône de rentrée et de sa charge. Rigoureux,
Adolf Thiel réussit à coordonner parfaitement et rapidement ces équipes pour fabriquer un des engins parmi les plus performants de sa génération. Lancé pour la première fois en janvier 1957, en tant que prototype, le premier missile de production fut fourni en mai : Thiel avait gardé semble-t-il une organisation du travail... à l'allemande. L'engin sera construit à 224 exemplaires, dont 64 serviront à divers essais : 59 seulement seront lancés, dont 14 seront des échecs. Parmi les produits, ceux
achetés par l'Angleterre pour sa défense :
60 exemplaires, déployés sur 20 bases différentes. Relativement
aisé à mettre en œuvre (son embase de lancement était ridiculement petite, et il posséait son propre érecteur), sa tuyère orientable par verniers, un corps servant de réservoir comme la Viking,
transportable par avion (un C-133) ou pa
r camion, il ne manquait plus à l'engin qu'un second étage pour devenir un bon lanceur de satellites.

En fait on découvrira bien plus tard que c'est
l'adroit John Bruce Medaris, l'homme qui s'était chargé de préparer techniquement le débarquement sur Omaha et Utah Beach (Operation Neptune,
véritable réussite industrielle !), qui tirait semble-t-il les ficelles, en activant une vieille rivalité entre Thiel et Von Braun
: " Ramo a choisi Ruben Mettler, comme directeur technique récemment embauché par Ramo-Wooldridge, à la tête du projet Thor. Mettler était un expert en radar et avait assisté à l'un des essais de la bombe d'après-guerre au Bikini, une expérience qui « conduit au vœu de Mettler de faire qu'il ferait tout ce qu'il pouvait dans les années à venir pour empêcher que les armes de ce genre ne soient utilisées contre les États-Unis ". Il avait travaillé pour Ramo et Wooldridge à Hughes Aircraft, mais avait refusé une offre de se joindre à eux quand ils l'avaient quitté. Cette fois, il a accepté de travailler pour eux à nouveau. L'aide de Mettler sur le projet Thor était Adolf Thiel, un ingénieur en aéronautique qui a travaillé sur le V-2 et il était venu aux Etats-avec le groupe de fuséologues allemands recrutés après la guerre lors de l'Opération Paperclip. Il avait travaillé avec von Braun à Redstone, mais avait rompu pour former son propre groupe de recherche. Thiel en savait assez sur le travail effectué à Redstone aussi n'y avait-il pas de surprise à découvrir "que Thor était essentiellement une copie du missile qui allait devenir le Jupiter de l'armée," raconte Charles Matthews. Medaris, en fait, c'est évident a fait pour l'astronautique ce qu'avait fait avant lui le général Leslie R. Groves
pour la bombe atomique. Se charger de l'intendance, indispensable et huiler les relations entre cercheurs, ce qui est encore plus difficile.
Entre Von Braun et Thiel, il y avait donc bien Medaris, qui voulait ainsi assurer d'avoir une fusée... et son éventuelle remplaçante : "la contrepartie de Schriever sur des missiles de l'armée était le major-général Bruce Medaris du Corps des magasins militaires. Medaris avaient un avantage dans l'expertise de "rocketeering" de Von Braun et ses collègues Allemands. Von Braun était plus intéressé par l'exploration spatiale que dans la guerre, il a même affirmé que son appartenance au parti nazi, son rôle d'officier dans les SS et son travail sur le V-2 ne servait simplement qu' à une fin : un vaisseau spatial en développement. (Cela conduirait à la blague que le livre de von Braun, "Je vise les étoiles", aurait dû avoir un sous-titre : "Mais je parfois je tombe sur Londres".) Il avait en fait été arrêté par les SS, sous les ordres de Himmler, et brièvement emprisonné sur des soupçons de « propos défaitistes, d'entraver la production des V-2 en gaspillant le temps de discuter de l'avenir des fusées dans l'exploration spatiale." La fusée de Thiel et celle de Von Braun, c'était du kif : exactement la technique des soviétiques, qui durant toute la conquête spatiale qui les ruinera, auront toujours deux projets équivalents en même temps !

Pour les étages à ajouter à Thor, ce sera fait en un premier temps avec un
étage Able, qui utilisait le moteur
AJ-10-40 du second étage de
Vanguard : c'est ce modèle qui lancera Explorer VI de 64,4 kg , le 7 août 1959. Mais le second étage était encore trop peu musclé pour des militaires qui souhaitaient lancer quelque chose de beaucoup plus gros comme ils l'avaient demandé à Eisenhower : la fusée Thor-Agena qui leur conviendra fera... 51 665 kilos au total, et le satellite ayant grâce à leurs yeux... 3 265 kilos (ce sera seulement un cône de 669 kilos qui sera mise en orbite au final), grâce à un second étage plutôt efficace et fiable, l'Agena, surnommé "Hustler" couplé aussi parfois
avec le missile Atlas.

Le 12 mai 1959 une fusée Thor n°187 parti de Cap Canaveral contenant une"capsule de données" spéciale contenant une caméra 16 mm. Conçu à l'origine par GE pour enregistrer des images de l'engin lui-même pour une analyse ultérieure, les ingénieurs découvriront "par hasard" que le dispositif pourrait enregistrer des images de la Terre (on y verra la fusée sur la gauche après la séparation de la charge satellisée). La capsule de données sera recupérée en pleine mer, avec la caméra intacte, révélant "
l'image de la terre telle qu'elle apparaissaît au-delà de l'atmosphère" dira le commentateur officiel. L'expérience présentée comme une "surprise" n'en était pas vraiment une : les militaires avaient en fait préparé en secret leur coup l'année précédente. Le 12 mai 1959 marquait véritablement le début de l'espionnage spatial américain.
Kurt Heinrich Debus et Hubertus Strughold : lire qui ils sont.