Les folies de la Guerre Froide révélées (19) : la valse des capsules égarées
Historiquement parlant, la promenade de santé décrite lors de l'ouverture au public du dossier Corona n'en a pas été une. Si aujourd'hui, on a tant tenu à saluer les vaillants travailleurs si patriotes qui se sont tus durant près d'un demi-siècle pour dissimuler ce qu'ils faisaient, ce n'est pas un hasard. Tous récitent en fait la même litanie : les satellites espions, en révélant l'étendue exacte de l'arsenal soviétique, ont participé selon eux à l'établissement de la paix dans le monde. Pourquoi pas, à chacun sa propagande et il faut bien tempérer le goufre financier du projet. Mais un autre aspect lié au secret a été proprement escamoté dans ce concert récent de louanges : le fait qu'un bon nombre de missions se sont transformées en fiasco, et que les coûts exhorbitants qu'ont nécessité ces engins, dissimulés au public, auraient au moins pu faire espérer une meilleure... efficacité, sans même parler de rentabilité.
Oh, certes, ils en ont ramené des photos. Mais un bon nombre de capsules s'est aussi proprement et simplement égarées sur Terre, ajoutant à cette époque à tous les fantasmes sur les Ovnis, technique entretenue sciemment, car il valait mieux alors parler soucoupe volante que d'avouer ces projets secrets. Nous l'avons vu avec le cas de Keksburg, (voir ici aussi) d'autres cas se sont produits de perte de satellites, sans que jamais les militaires américains n'avouent ce qu'ils venaient de faire. L'histoire de la saga des Corona n'est qu'une longue suite de mensonges pour dissimuler des erreurs et des mauvais fonctionnements, et pour ne jamais révéler tout l'argent que cela a coûté au contribuable US.
Des engins qui retombent n'importe où, une dame enceinte et ses deux fils en bas âge résidants dans un mobil-home de la base même de Vandenberg eurent une idée exacte le 31 août 1965, avec la retombée d'un bout de fusée pile au milieu de leur frêle habitation. Ce jour-là, un lourd satellite appelé Multiple Research Payload Vehicle (MRPV) avait raté son lancement du Space Launch Complex 1, à partir du “Slick-1,” le pas de tir N°1 de la base. Ecarté par un vent fort que les responsables n'avaient pas pris en compte (on distingue ici l'inclinaison de la fusée), la fusée Thor-Agena D avait été détruite trop tard en vol par le contrôleur : elle était déjà à 11 000 mètres d'altitude (36 000 pieds) La coiffe contenant le satellite en question retombant pile sur la zone d'habitation des mobil-home. Le cliché pris après l'impact, aujourd'hui encore demeure très impressionnant, car personne n'avait été blessé : un vrai miracle !
Des chutes de satellite, en paritculier contenant des générateurs nucléaires, il y en a eu en avant 1968 :
"- Le 21 avril 1964, un satellite américain Transit se désintégre dans l’atmosphère saupoudrant de plutonium 238 l’atmosphère au nord de Madagascar.
- Le 18 mai 1968 le satellite américain Nimbus B-1 tombe à 100 m de profondeur, près de Santa-Barbara, avec son générateur nucléaire SNAP-19 (il a été récupéré).
- Le 11 avril 1970, un générateur SNAP-27 contenant 1 650 000 gigabecquerels de plutonium 238 et appartenant à un module de la mission Apollo tombe au sud des îles Fidji, par 6 000 m de profondeur."
Le 24 janvier 1978 sera l'épisode canadien de Cosmos 954, échappé à tout contrôle en novembre 1977. On en a pas fini avec ces chutes : d'autres sont programmées."En 1996, 54 satellites équipés de générateurs électronucléaires, en majorité des satellites russes de la série "Kosmos" (avec comme carburant l’uranium 235), mais aussi quelques satellites nord-américains (utilisant le plutonium 238) planaient au-dessus de nos têtes (soit au total 1,45 tonne d’uranium)". Tous ne sont pas rentrés depuis. Lunokhod a explosé en URSS en février 1969, contaminant des centaines d'hectares. Car la chute d'un satellite, à vrai dire, soumise à plein de contraintes différentes... demeure plus qu'aléatoire comme le montre un schéma paru dans "Science et Vie" il y a quelques années :
Car les pertes de capsules vont vite s'accumuler, la faute bien sûr au mode de récupération choisi, plutôt... aléatoire, comme on a pu le voir. De juin 1959 à décembre 1963, et le lancement du KH-4 Mural, tous engins à une seule capsule, il y a eu 52 lancements et 30 captages de capsules seulement : 22 ont donc été perdues ! Avec les systèmes à deux capsules, Corona J-1 et Corona-J3 (ou KH-4B), sur 69 lancements (et donc 138 "buckets" à rattraper au vol, il n'y en aura que 126 de captées, et donc 12 de ratées ! Sur 12 capsules Argon lancées, on en retrouvera seulement... 5 ! "Alors que le taux de succès des Corona avec ses défaillances semblait effroyablement mauvais selon les normes ultérieures de réalisation du programme de reconnaissance ... ARGON a été un désastre" note le rapport de la revue Quest. Le tout premier "Argon" KH-5, ou Discoverer 20 (mission 1104) , était parrti plonger directement dans l'Océan (Indien cette fois) le 21 février 1961. Son successeur (mission 1104, Corona 23), parti... dans le sens opposé, orbitera un an avant de retomber... on ne sait où. Sur 3 Lanyard on en retrouvera 2, mais le premier était vide, lancé pour essayer seulement la configuration !
Ainsi encore pour la mission 9061 (Corona 74) : du 27 novembre 1963 : si la capsule mise en orbite se sépare ce jour-là très bien de l'Agena pour rentrer sur Terre, sa rétro fusée reste en carafe.... résultat l'engin retombera des mois après ... on ne sait où, une nouvelle fois ! "Not separated" indiquera succcintement la liste du Pentagone. Et finalement, il va arriver ce qu'on redoutait : un jour, des gens en reçoivent une sur la tête, ou presque. La mission 1005, fin avril 1964, va en effet donner lieu à un beau mimac diplomatique. Le cinquième exemplaire de la série KH-4A équipé de la toute nouvelle caméra J-1 décolle de Vandenberg le 27 avril : c'est le premier exemplaire à présenter deux capsules récupérables. Mais rien ne va se passer comme prévu : au bout de 350 photos, le fim casse à bord (problème pneumatique ?). Juste dans la foulée, l'Agena perd toute sa puissance. Le 30, les techniciens décident de rapatrier sur Terre ce qu'ils peuvent en éjectant la première capsule après 47 révolutions. Mais l'étage Agena ne répond déjà plus : jusqu'au 20 mai, on continuera à lui envoyer des ordres qui resteront sans réponse. Conclusion : le satellite est en perdition, et on s'attend à le voir rentrer dans l'atmosphère et brûler en passant au dessus du pôle Nord, direction l'Amérique du Sud. Mais personne ne sait si c'est qui va se passer ou non. On ignore si le dernier ordre envoyé d'éjecter la capsule a été reçu ou non. La suite, très étonnante, c'est le spécialiste Dwayne A.Day qui la raconte :
"Le dimanche, 1er Août 1964, le téléphone sonne sur le bureau de l'attaché de l'armée américaine à l'ambassade des États-Unis à Caracas. L'appelant est un photographe commercial vénézuélien nommé Leonardo Davilla. Davilla a ce jour-là signalé que ce qui semblait être une partie d'un véhicule spatial avait été trouvé le 7 Juillet sur une ferme dans une région rurale éloignée de la Cordillère des Andes, près de La Fria, dans l'état de Tachira, près de la frontière colombienne. Deux ouvriers agricoles avaient rapporté à leur employeur, Facundo Albarracin, l'objet, retrouvé sur sa propre exploitation. Les nouvelles ont atteint la ville de San Cristobal, où Davilla l'a appris et est allé le voir.
Davilla a dit à l'officier de l'armée que l'objet transporté portait des marques qui indiquaient "Etats-Unis" et "Secret". Ce que Davilla n'a pas mentionné à l'officier de l'armée était qu'il avait photographié l'objet, et qu'Albarracin avait essayé de le vendre". En fait, l'engin, transporté à dos d'homme, a quasimment déjà été dépecé par les fermiers du coin une fois arrivé au village : la capsule a été découpée en morceaux, dont certains étaient devenus des ustensiles ménagers ou des jouets pour enfants.
L'émetteur radio avait été récupéré pour les pièces (en fait c'est le ministre de la défense vénézuélienne qui l'avait gardé comme souvenir). Un agriculteur avait ramassé les cordes du parachute pour en faire un harnais pour son cheval... Bienvenue au pays du recyclage express ! En fait, ce qui avait fasciné tout le monde était l'or du revêtement, qui n'était pas faux : c'était bien de l'or massif en effet, choisi pour une question de dissipation de chaleur !
L'ambassadeur ira chercher ce qu'il en restait, à savoir une capsule sévèrement abîmée lors de l'impact en plus du dépeçage manifeste, mais à l'époque, on étouffera l'affaire, qui n'avait fait heureusement que la une de la presse locale, dont le Diario Catolico de San Cristobal . Les Etats-Unis paieront très cher le Vénézuela pour une capsule écrabouillée ne faisant plus que les 2/3 de sa hauteur normale : son parachute s'était mis en torche et le boulet est descendu de plus 5000 mètres avec un bout de tissu frippé à la place d'un parachute déployé ! Le Vénézuela, une fois grassement rétribué, annoncera officiellement avoir retrouvé un satellite expérimental de la NASA ! Ni vu, ni connu. Encore une fois !
L'histoire, déjà ridicule des agents de la CIA obligés de faire le tour du village pour ramasser les morceaux empruntés n'est pas encore terminée. Désireux de renvoyer discrètement les débris, l'ambassade va fabriquer une boîte à envoyer par courrier aérien. Mal fichue, elle alertera les services de police qui pensaient à un envoi massif de drogue déguisé : il fallut envoyer la CIA pour démêler le problème ; le ridicule étant cette fois complètement achevé. Après cette aventure, la première décision que prendront les responsables des lancements après cet échec... sera de supprimer les marques "Secret" et "USA" sur les capsules suivantes, car ils pensaient qu'elles avaient attiré l'attention des villageois ! (selon Kevin C Ruffner in "Corona : America's First Satellite Program"). Mais le taux de retour s'améliore. Les Corona KH- 1, KH-2, et KH-3 ont connu 26 lancements... mais seulement 11 capsules de récupérées : il en manque 15 !!! Si on décompte parmi les KH-4a, sont 52 lancements ont eu lieu, soit logiquement 104 capsules, 94 seulement ont été récupérées : il en manque 10 entre 1963–1969. Le KH-4b, raménera 32 capsules sur 17 lancements qui auraient dû en donner 34 : deux manques à l'appel, de 1967 à 1972.
Cela pour les rentrées incertaines de capsule : mais certaines, pourtant dûment récupérées, n'ont également ramené que des données inutilisables : sur 144 lancements de Corona, 102 seulement ont ramené des images exploitables : le procédé n'a été fiable qu'à 71%. Près de 30% de pertes, sachant que chaque fusée valait une fortune, avouez qu'il y a eu gabegie manifeste. Quand la dernière fusée des lancements de KH-3 explose le 24 janvier 1962, Ainsi la mission 95 de Discoverer 32 du 13 octobre 1961 : on récupère sa capsule, mais une fois vidée de son contenu, on constate que 96% des films est flou : les lentilles photographiques se sont mises hors-focus. Idem avec la mission 9031 du Discoverer 38, avec le même problème. De la mission 9035 (FTV 1128) du 2 juin 1962 à la 9043 (FTV 1133 du 17 septembre, c'est un autre problème : ce sont 8 capsules qui reviennent alors avec des films zébrés d'éclairs rouges (photo ci-dessus à gauche) : l'électricité statique à endommagé toutes les vues ou presque ! Le problème mettra 8 missions pour être réglé ! Le 5 novembre 1962, c'est encore un autre problème, de pure mécanique cette fois, avec l'écoutille de la caméra du FTV 1136 (mission 9047) qui ne s'ouvre pas, ou gêne trop la prise de vues. Impossible de faire des photos ! Enfin, le désir d'améliorer sans cesse la résolution conduit aussi à des erreurs : ainsi la Mission 9056 lancée en juin 1963 avec une caméra expérimentale certifiée pour atteindre une résolution d'un pied (30 cm). Elle ne marcha pas.
Il y a aura d'autres exemples, qui sont difficiles, aujourd'hui encore à dénicher : la NRO ne donnera que des listes de "bien récupérées" pour ses capsules ! L'épisode du Vénézuela va pourtant se répéter, notamment en Angleterre. Avec un épisode digne d'un scénario d'Hollywood que nous raconte ici notre spécialiste :. "un officier de l'armée de l'air entre dans un bar dans le début des années 1970. Le bar était dans le club d'une base aérienne en Angleterre, probablement celle de la RAF à Mildenhall. C'était un officier américain, apparemment en Angleterre pour assister à l'annuel salon aéronautique de Farnborough, l'un des plus grands spectacles aériens dans le monde (on pouvait y voir ça en effet, ou ça, ou le LIghtning II visible à gauche) lors avoir descendu quelques bières, l'agent entend d'autres officiers, dont on ne sait pas s'ils étaient américains ou britanniques, discuter d'un objet qu'un agriculteur avait trouvé sur un terrain proche de là où des officiers vivait, hors de la base.
Les autorités locales avaient été appelés à se pencher sur l'objet et n'avait aucune idée de ce que c'était. Mais la personne qui raconte l'histoire noter que quoi qu'il en soit, "il y avait beaucoup de verre dedans." L'homme s'appelait Dr Walter F. Leverton et il travailait pour Aerospace Corporation, justement. Il a vite compris ce que ça pouvait être : non plus une capsule, cette fois, mais un satellite complet.. ce qui n'est pas un petit morceau, à vrai dire (voir ci-contre à droite). Un OVNI avec des morceaux de verre, c'était plutôt rare ; même à l'époque ! "Les détails de l'histoire sont incomplets, non confirmée, et il est difficile de savoir si l'officier en visite a compris tout de suite se ce dont ils parlaient".
Notre spécialiste se fait donc amener sur l'endroit du crash du satellite supposé. "Lorsque Leverton est arrivé, les gens de la RAF lui ont montré quelques objets, y compris un réservoir sous pression de titane sphérique d'un pied de diamètre et quelques circuits qui portaient des marques des États-Unis. Mais les choses les plus en vue étaienr plusieurs morceaux de verre qui pouvaient être assemblés dans une forme genre moule à tarte présentant un bord de dix pouces. Ce n'était pas un verre ordinaire, mais a c'était fabriqué avec un matériau encore classé, fabriqué par Eastman Kodak qui était caractéristique de l'optique dans le satellite Gambit-3 (à droite ici le miroir secondaire de Hubble). Leverton avait été informé que l'ensemble des pièces avait été trouvé 75 miles au nord de Londres dans un rayon de cinq miles, où ils étaient tombés autour du 20 mai 1972. Leverton réalisé que c'était des débris d'un satellite Gambit et a aussitôt appelé le bureau du projet en Californie. Il s'est arrangé pour que le matériau soit transféré aux États-Unis. Une analyse ultérieure a confirmé que les débris étaient bien ceux de la mission 4335." La découvert de sphères de titanes est symptomatique des débris de satellite : c'est ce qui retombe le plus intact lors des rentrées dans l'atmosphère, et les Gambit en possédaient plusieurs chargées d'air comprimé pour tout le système pneumatique faisant avancer le film à l'intérieur (**). Il est vrai aussi que depuis le premier Discoverer et son Agena, la taille globale des satellites à énormément grossi :
Retrouver un engin pareil dans son jardin, même démantibulé par sa rentrée dans l'atmosphère, peut donc faire peur. C'était bien cela en tout cas : "Ce que l'agriculteur avait trouvé dans son domaine étaient apparemment les pièces d'un KH-8 Gambit, un satellite espion haute résolution qui était tombé à terre peu de temps auparavant. Selon une entrée dans un historique déclassifié de l'énigmatique satellite de reconnaissance, les services de renseignement savaient que l'un de leurs satellites espions était subitement retombé sur terre, mais ils ne savaient pas où, ou qu'il avait été trouvé par un civil." Conclusion, les USA ne savent donc même pas où se trouvent, parfois, des satellites dont ils avaient la surveillance. Imaginez ce genre de choses tombant en pleine conurbation ! Car il n'y a pas eu qu'un seul débris : "Leverton a été informé que toutes les pièces ont été trouvées 120 kilomètres (75 miles) au nord de Londres dans une distance de huit kilomètres (cinq miles) de rayon où ils étaient tombés vers le 20 mai, 1972".
L'engin était sans conteste un Gambit, lancé le 17 Mars 1972, par une Titan III-D Agena parti de la base de Vandenberg en Californie. La mission Gambit 4435 (le 35 eme lancement donc) était important, car il incluait un certain nombre de modifications matérielles de ses prédécesseurs, y compris un moteur neuf appellé Gemini "GUMR" (Gemini Uniform Mixture Ratio) qui devait permettre à la fusée de soulever un supplément de 200 livres (90 kilos). Un système neuf de stabilisation, utilisant les surplus de gaz de la tuyère principale, augmentait aussi le nombre de fois que la sonde pouvait orienter sa caméra vers le sol. La capacité d'emport supplémentaire avait aussi permis à la sonde d'emporter de plus lourdes batteries de modèle plus imposant (un total de dix à bord, maintenant). Cela devait pouvoir d'après les techniciens augmenter la durée de vie orbitale d'au moins 30 jours. On sait ce qu'il en est advenu. Au final on découvrira que la raison de la chute était une valve pneumatique défectueuse.
Des satellites retombés en Angleterre car c'était sur leur passage : à une orbite près, c'était donc sur la France, qu'il ont abondamment photographié, comme le montre cette photo du centre nucléaire de Pierrelatte effectuée le 11 juin 1967 par un KH-7lors de la mission 4038 (la dernière pour la série des Gambit).
Un autre cas, resté encore moins connu est réapparu il y a fort peu de temps : lors de l'exposé dans la presse de la remise au musée de l'exemplaire de l'Hexagon, un des intervenants, un ancien militaire américain, a fait une révélation étonnante..."En retournant au début des années 70, il y a eu un mauvais largage de capsule dans ce qui est maintenant la Slovénie. Une recherche rapide a été mise en route pour la retrouver, elle a duré presqu'un an. Sam Yorty, alors maire de L.A, aidé par son amitié avec Tito, président de la Yougoslavie de l'époque a beaucoup fait pour ça. Grâce à lui, les américains ont obtenu l'entrée aux zones de montagne qui étaient normalement inaccessibles. Les Russes étaient également là sur place à chercher, mais sans le soutien de Tito c'était moins été une partie de plaisir pour eux. Amusant à noter, quelques uns des deux équipes se sont rencontrés une fois dans une salle des fêtes, sans savoir que les autres y seraient. Des chinois aussi avaient commencé à renifler autour de la région et de la capsule, avant qu'elle n'ait été retrouvée. Ils utilisaient un lama tibétain "retourné" pour rechercher dans la zone de montagne, à la frontière autrichienne. Nous tentions alors la diplomatie de "ping-pong" avec la Chine pour renverser la coopération avec les russes au profit des USA, et s'ils trouvaient le film contenait des images de défenses Ouest de la Chine, cela pouvait faire dérailler cette coopération. Nous étions jeunes et insouciants à l'époque, dans une opération du style des "cow-boy" à manteau long... mais sans les pistolets".
Cette étrange équipée est passée complètement sous silence, dans l'Histoire, pour l'instant, mais on peut en retrouver quelques traces dans des documents depuis déclassifiés. L'un d'entre eux en atteste, plus ou moins, c'est celui signé par Laurence S. Eagleburger AAS (pour "acting assistant secretary"), qui aura travaillé sous Richard Nixon, Jimmy Carter -ici avec Tito-, Ronald Reagan, et George H. W. Bush) et qui remet à Richard Nixon le 10 mars 1973 un mémorandum sur "l'Intérêt pour la Défense Yougoslave", dans lequel il indique à mots feutrés une coopération bien spéciale entre les USA et l'armée yougoslave, "à la veille de la mort de Tito" (qui volait en DC-6B pendant ce temps). Eagleburger n'est pas un inconnu dans le paysage : de 1961 à 1965, il a été en poste à l'Ambassade américaine à Belgrade et est entré juste après dans l'administration de Richard Nixon comme assistant du conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger (il reviendra en 1997 comme ambassadeur des États-Unis en Yougoslavie, pendant trois années) ! En 1971, il est devenu conseiller de l'Otan à Bruxelles et on le retrouvera chaud partisan des partisans des Serbes sous Bush père en 1989, au point d'en minimiser les atrocités. Selon lui, les premiers contacts avaient été pris par Nixon, en 1970, lors d'une visite de ce dernier en Yougoslavie (le sénateur Edward Kennedy était du voyage !). Cela avait été suivi d'une visite aux USA de responsables militaires Yougoslaves en septembre 1971, suivi de celle de Tito en novembre, les Major General Kadijevic (ici à droite)
et le Colonel General Dolnicar, responsable de la Défense Yougoslave (et proche de Tito) étant dans la foulée invités en mai 1972 par l'Assistant Secretary of Defense for International Security Affairs G. Warren Nutter. Si ces rapprochements paraissent "normaux", un détail l'est moins : selon le mémoranum, en effet "une équipe de l'US Army a visité la yougoslavie en novembre 1972", ce qui correspondrait parfaitement à nos chercheurs de seaux à glace égarés : les dates correspondent, le KH-9 1203 étant retombé le 13 septembre 1972. Pour ajouter à l'idée, le rapport ajoutait "la divulgation aux Yougoslaves d'informations techniques sur de l'équipement de SIGINT/COMINT", pouvant "mener à une possible FMS" : autrement dit la vente d'armes américaines, et la fourniture de moyens d'écoute. La divulgation également de "connaissances techniques classifiées" était au menu du jour des rencontres, les Yougoslaves demandant simplement de pouvoir acheter du matériel US : le programme Corona était alors classé, mais pour convaincre les yougoslaves d'arpenter les montagnes pour aller chercher un bout de satellite, il fallait peut-être en expliquer l'importance...
La capsule visée devait donc logiquement appartenir à la mission 1202 ou 1203 d'un Hexagon, les deux tirées en 1972, année ou Nixon se rend en Chine. La mission 1202 avait été décalée pour régler le problème de parachute qui avait fait envoyer la 3eme capsule d'Hexagon-1 au fond d l'océan. Or les deux lancements verront leurs 8 capsules retrouvées, paraît-il ; ce serait donc un capsule Gambit de 1972, et non une Hexagon, qui aurait été perdue. Or, là encore, les deux missions, CORONA 1116 SLV-2H et CORONA 1117 SLV-2H des 19 avril et 25 mai 1972 sont données comme ayant récupéré leurs capsules respectives, officiellement. Sur le site de la NASA, il n'y a... rien sur cette mission. Sur la NRO, idem. A peine si dans le document on trouve une phrase sur " en mai 1972 un mauvais fonctionnement de l'Agena a provoqué une erreur qui a fait interrompre l'orbite dans le très officiel "History of Satellite Reconnaissance The Perry Gambit & Hexagon Historiy" de la NRO. Au quel cas l'engin aurait été le KH-8 35, mission du 20 mai 1972, indiqué comme "n'ayant pas atteint son orbite" officiellement. Pas la bonne, mais en orbite quand même... et retombé sans avoir fait de vues ; ça ne colle donc pas non plus ! On est bien en face d'un fait révélateur, qui montre que contrairement que malgré ce qui est aujourd'hui avoué, on est encore loin d'arriver à toute la vérité sur ce programme : c'est très certainement une des 4 capsules de la mission 1203 d'un Hexagon que notre cow-boy est allé chercher au milieu de l'Europe ! La Corona 1117 qui reviendra sur Terre le 25 mai 1972 marquera la fin du programme.
Des capsules égarées un peu partout, mais toujours pas de voile levé sur l'ensemble du programme de surveillance dans le pays. Secret défense ! Un très étrange affaire va démontrer à quel point toute révélation sur le programme ultra-secret de Corona pouvait entraîner des suites judiciaires sérieuses aux USA. C'est de l'affaire Morison dont il s'agît. Samuel Loring Morison était un analyste des services secrets de la Navy qui avait eu accès aux photos classifiées du Kharkov, un porte avion de la classe Kiev alors en construction au chantier naval Nikolaïev 444 situé sur la mer Noire, photographié par un KH-11. Etant correspondant du magazine renommé Jane's, une sommité en la matière de reconnaissance d'engins militaires (appointé à 5 000 dollars seulement par an), il avait transmis à sa direction les caractéristiques du navire soviétique et un cliché, dont il avait retiré la motion "secret défense". La réaction n'avait pas tardé : "la photographie, publiée dans Jane Defense Weekly, avait provoqué un tollé. Morison a été arrêté, jugé, condamné et envoyé en prison.
L'excuse était que les photographies montraient la capacité du renseignement américain, et que leur diffusion compromettait la sécurité nationale. Ils (les américains) ont oublié de mentionner que d'un ensemble complet de photographies de KH-11 avaient été présentées aux Iraniens, lors de la tentative de sauvetage ratée des otages américains en 1980, et qu'il y avait eu alors de semblables fuites stupides, et par inadvertance, à Washington." Morison avait clamé avoir agît par "patriotisme" car selon lui en révélant l'importance de l'armement naval soviétique, il contribuait à faire augmenter le budget de la Défense US ! Pour le condamner, en 1988, l'administration Reagan avait ressorti du placard l'Espionage Act of 1917. Finalement, Clinton signera sa libération, le dernier jour de sa présidence, le 20 janvier 2001... malgré la vive opposition de la CIA : Morison avait cependant fait 13 années sous les verrous. Le cliché est resté célèbre car il montrait les factultés de détail de la prise de vue de l'époque : sa définition était de 60 cm !
Pendant ce temps-là, les seaux à glace continuaient à tomber un peu partout. Et on en découvre tous les jours encore depuis : l'auteur du site sur les crashs a ainsi annoncé le 7 juillet dernier qu'un suédois, Rolf Arvidsson, l'avait contacté pour lui signaler qu'un garde forestier appelé Poul Neergaard-Petersen (décédé en 2003) avait trouvé un objet sphérique à 5-7 km au sud-ouest de Torup dans le sud du pays "dans les années 70"."Son perimètre est de 133 cm, ce qui fait un diamètre de 42 cm , avec dessus un marquage indiquant 21.40 LBS. J'estime son poids à 10 kgs". Selon une rapide enquête à la NASA, de serait une des sphères GN2 (visibles ici) d'un étage d'Agena ; L'auteur retient trois candidats comme satellite... dont celui du lancement 1961-001B, qui n'est autre que celui de SAMOS 2 lancé le 31 janvier 1961... et retombé le 21 octobre 1973.
Avant que la troisième capsule du premier Hexagon ne fasse des siennes, le contenu des deux premières avaient été à Nixon. On y apercevait en clair le chantier naval de Severodvinsk, qui produisait alors les sous-marins de la classe Yankee, équipés de missiles balistiques équivalent aux lance- Polaris des américains (ici en cours de démantèlement). A Helsinki le 8 Juillet qui suivait, Nixon pouvait partir avec un argument fort de négociations.... pouvant en même temps annoncer aux russes qu'il connaissait le nombre exact des silos de missiles intercontinaux (ICBM) en cours de construction, ou même de ceux à bord des sous-marins. Mais en 1972, une capsule ; la troisième du premier Hexagon ; manquait donc à l'appel. Et celle-là, pour la retrouver il faudra la chercher loin. Ou plutôt très profond...
(**) voir ici le site indispensable des chutes de satellites :
http://www.eclipsetours.com/paul-maley/space-debris-2/
revoir ici le documentaire "A Point In Time" :
http://osgeoint.blogspot.fr/2012/04/video-cia-corona-project-point-in-time.html
livre
excellent document ici
http://www.vectorsite.net/tamrc_11.html
Texte généal sur l'historique de l'espionnage par satellite
http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/saas/mckinlca.pdf
superberbes clichés ici des sous-marins russes :
http://www.shipmodels.info/mws_forum/viewtopic.php?f=50&t=34580&start=140
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