Les Français veulent redonner de la voix à leurs parlementaires
Et si nous n’élisions plus les députés immédiatement après le président de la République ? Mais qu’au contraire nous les choisissions deux ans avant. Ou trois ans après. Qu’en tous les cas les deux élections soient découplées. C’était le cas jusqu’en 2002. Face à l’abstention qui n’en finit pas de grimper aux élections législatives, l’auteur imagine une solution simple qui, plutôt que la reconnaissance du vote blanc ou l’instauration d’un vote obligatoire, pourrait transformer en profondeur les rapports entre nos institutions, et pourquoi pas – le rêve est permis – redonner de la vitalité à notre démocratie.
En plaçant les élections sur le même rythme avec une priorité donnée à la désignation du chef de l’Etat, la révision de la Constitution de 2001 a laissé peu de chance aux Français de choisir une majorité parlementaire opposée à la majorité présidentielle. Les députés se sont alors presque mécaniquement trouvés dépossédés d’une grande partie de leur puissance légitime au profit du président de la République, devenu lui, responsable de toute chose et forcément capable de trop peu.
Jusqu’à 57 % d’abstention aux élections législatives de 2017
Les Français en sont pleinement conscients, en témoigne l’explosion des taux d’abstention aux élections législatives depuis 2002. Ainsi de 1958 à 2002, en moyenne 25% des Français ne se déplaçaient pas pour élire leurs députés. Ce chiffre se monte désormais à 44%, avec un pic observé au deuxième tour des législatives de 2017. Cette année-là, près de cinquante-huit électeurs sur cent n’avaient pas souhaité choisir de représentant à l’Assemblée nationale. Cette montée rapide et continue de l’abstention aux élections législatives depuis 2002 résulte directement du référendum constitutionnel de 2000 lequel, au-delà du quinquennat, a provoqué le couplage définitif des deux échéances, présidentielles puis législatives.
S’ils n’ont pas formellement rejeté la réforme, les Français ne l’ont pas approuvé pour autant de bon cœur. Le projet a été instauré malgré une abstention au référendum de 70 % ! Et sur les 30 % de participants, on a relevé presque 2 millions de votes blancs. A l’époque, pour expliquer cette triste performance, on avançait que ce scrutin n’avait pas passionné les Français, voire qu’ils n’en auraient pas forcément saisi l’intérêt ; avec vingt années de recul, on serait tenté de postuler l’exact inverse. Faut-il d’ailleurs se souvenir que Jacques Chirac lui-même était initialement opposé au quinquennat ? Sachant que la proposition émanait de Valéry Giscard d’Estaing, imaginer qu’il ait fini par s’y résoudre pour des questions de stratégie immédiate n’est ni un pas à franchir, ni une option à évacuer totalement.
L’objectif d’alors était simple : supprimer le risque de cohabitation entre un président de la République et son Premier ministre. Sans cohabitation – donc sans reconnaissance institutionnelle d’un différend politique au sein du couple exécutif – l’efficacité de l’action publique serait de nouveau garantie. Une cohabitation peut ralentir l’ouvrage certes, mais elle encourage dans le même temps à la recherche permanente du consensus. Elle n’a de risque que le nom. Cette suppression a forcément provoqué un lourd déséquilibre des pouvoirs en faveur du président de la République, au détriment des parlementaires. Le pouvoir du peuple (la démocratie) en a été diminué d’autant.
En diminuant le pouvoir des parlementaires, on affaiblit le citoyen, et on vide la nation de sa substance.
Les Français ont de plus en plus tendance à considérer que la consommation est le vecteur le plus efficace de leur expression politique. Ils n’ont pas tort. En diminuant le rôle des parlementaires, on affaiblit la figure du citoyen et on vide la nation de sa substance. Cet assèchement du Parlement a de multiples conséquences, parmi lesquels le transfert évident d’une partie du pouvoir au profit des élites économiques dont le défaut de patriotisme est de surcroît régulièrement questionné. Cela viendrait même d’une certaine manière dénaturer le débat médiatique, puisqu’il est contraint de tout voir sous l’unique prisme de la majorité présidentielle. Ainsi de regarder le résultat d’une élection régionale comme la sanction du parti présidentiel, ce qui est évidemment une aberration dans une république décentralisée.
Devant une figure du député qui s’efface, le Premier ministre ne pouvait plus se sentir responsable que devant le seul président de la République. De surcroit en nommant un chef de gouvernement qui n’est même plus issu de la majorité parlementaire, on donne définitivement aux Français le sentiment qu’ils n’ont plus que la manifestation pour s’exprimer (évidemment les Gilets jaunes et les Bonnets rouges mais la liste est longue depuis 2002). Ainsi au prétexte de garantir l’efficacité de l’action publique, on a fini par empêcher le peuple de s’exprimer dans les conditions très raisonnables d’une élection, car il se pourrait qu’il (ce peuple) envoie un message qui viendrait « compliquer les choses. » Depuis ce couplage des deux élections, vingt années auront suffi pour transformer les députés de n’importe quelle majorité présidentielle en VRP de la politique gouvernementale, et ceux de l’opposition en râleurs au pire désagréables, au mieux sympathiques, mais toujours impuissants.
En vérité, ce n’est pas tant que la Ve République s’est présidentialisée, ce serait plutôt qu’elle s’est dé-parlementarisée. La crise du Covid-19 l’a exposé jusqu’aux limites. Même le président de l’Assemblée nationale peut défendre aujourd’hui sans sourciller l’absence de vote de nos députés. Dès lors, à quoi bon les élire ?
Découpler les mandats présidentiels et législatifs dans le temps
Le moyen le plus simple d’inverser cette tendance serait de séparer le temps de l’élection législative de celui de l’élection présidentielle. Sans changer la durée des mandats du président ou des députés, on assure une relative stabilité au pouvoir exécutif, tout en garantissant au citoyen la possibilité d’arbitrer sur telle ou telle question restée en suspens les deux ou les trois premières années du mandat. Continuer d’élire le président en 2027, 2032, 2037, 2042, 2047… et les députés en 2025/2030, 2035, 2040, 2045, 2050… Chacun le comprend, cette inversion de calendrier ne pose finalement qu’un seul problème : confier un mandat de trois ou de huit ans aux députés qui seront élus en 2022. Est-ce qu’un futur président de la République aura le courage, après avoir mené une telle réforme, de dissoudre sa majorité parlementaire en 2025 pour entamer ce nouveau calendrier ? Les avantages sont indéniables, il faut souhaiter que le coût politique ne soit pas trop élevé pour celui qui l’osera.
En redonnant un rythme pertinent à l’expression démocratique du citoyen, celui-ci reviendra aux urnes aussi librement qu’il s’en est éloigné. Il aura en effet l’opportunité, de voir réellement son avis pris en compte, à travers la voix de 577 députés à la légitimité forte, par le Premier ministre et le cas échéant par le président de la République. Les élections législatives prendront un sens plus riche qu’aujourd’hui : valider la poursuite d’une politique gouvernementale ou inviter à une inflexion, le légitimer ou le délégitimer s’il est déjà intervenu au cours du mandat… Loin de bloquer l’action publique, ces nouvelles dates d’élections rendront un sens au mandat des députés et pourraient contribuer à redonner une direction à la France.
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