Les frappes secrètes d’Israël contre l’Irak, des actes de guerre approuvés par Trump
La focalisation de Trump sur l’Iran relève plus d’une obsession que d’une stratégie.
Source : Salon, le 19 aoît 2019
Traduction : lecridespeuples.fr
Selon l’ancien analyste de la CIA, Paul Pillar, la politique de « pression maximale » du Président Trump contre l’Iran est plus obsessionnelle que stratégique ; une explosion pas si mystérieuse que ça dans la banlieue de Bagdad lundi 19 août en explique les raisons.
Les analystes politiques irakiens imputent l’attaque à Israël [et les cadres militaires la considèrent comme une « déclaration de guerre »], affirmant qu’elle fait suite à deux attaques survenues plus tôt ce mois-ci contre des installations de milices soutenues par l’Iran en Irak. Selon le journal israélien Haaretz, Israël aurait lancé les deux attaques avec des F-35 fournis par les Etats-Unis.
Israël attaque depuis longtemps les forces soutenues par l’Iran en Syrie, un ennemi des États-Unis. Maintenant, Israël a élargi son champ d’opérations pour attaquer des cibles en Irak, dont le gouvernement de coalition entretient des relations cordiales avec les États-Unis [qui se crispent de plus en plus]. Résultat prévisible : le gouvernement irakien se dissocie de plus en plus clairement de la politique de Trump.
La dynamique met en lumière deux réalités sous-estimées de l’obsession de Trump contre l’Iran : toute guerre américaine contre l’Iran déclenchera une guerre en Irak, et la crédibilité américaine s’affaiblit visiblement dans la région. Lorsque les choses tournent mal, une stratégie peut être repensée. Une obsession ne peut qu’ignorer les signes avant-coureurs d’une catastrophe.
La guerre américano-saoudienne au Yémen, qui était censée porter un coup d’arrêt à la puissance croissante de l’Iran, est en pleine débandade. La guerre sanglante que Trump a poursuivie, malgré les objections bipartisanes du Congrès, a généré la plus grave crise humanitaire dans le monde, et est plus loin que jamais du succès.
La guerre au Yémen, soutenue par les États-Unis, leur fait perdre des alliés, même parmi les États du Golfe Persique qui craignent l’Iran. Dans un premier temps, les Émirats arabes unis ont annoncé qu’ils se retiraient maintenant de l’effort de guerre du Yémen. Ensuite, les forces séparatistes yéménites, soutenues par les Émirats arabes unis, se sont emparés de la ville portuaire d’Aden, dans le sud du pays, qui était aux mains des forces soutenues par l’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite mène actuellement une autre guerre au Yémen qui n’a rien à voir avec l’Iran. C’est un imbroglio maximal.
En Europe, aucun gouvernement n’a rejoint la croisade anti-iranienne de Trump (bien que John Bolton chuchote à l’oreille du nouveau Premier ministre britannique épris de Trump, Boris Johnson. Le mois dernier, l’Allemagne a refusé de se joindre à une mission navale dirigée par les États-Unis dans le Golfe Persique visant à dissuader les attaques iraniennes, affirmant que tout devrait être fait pour éviter l’escalade recherchée par Washington.
En ce qui concerne la « pression maximale », la réaction internationale est la suivante : « Ne comptez pas sur moi », sauf en ce qui concerne Israël, et là réside le danger pour le gouvernement des États-Unis et le peuple américain. Israël a tout intérêt à ce que l’escalade se poursuive avec l’Iran, et non à la désescalade – c’est du moins ce qu’estiment ses dirigeants.
L’Iran se renforce dans la région, et en Irak en particulier. Depuis l’été dernier, l’Iran fournit des missiles balistiques à courte et moyenne portée aux Unités de mobilisation populaire irakiennes. S’ils sont tirés depuis le sud et l’ouest de l’Irak, ces missiles pourraient atteindre Riyad voire Tel-Aviv. Ils constituent un des principaux moyens de dissuasion de l’Iran contre une attaque américano-israélo-saoudienne et représentent donc une menace pour la liberté d’action israélienne dans la région.
« La logique était d’avoir un plan B si l’Iran était attaqué, aurait déclaré un responsable iranien à Reuters. Le nombre de missiles n’est pas élevé, mais il peut être augmenté en cas de besoin. »
Depuis janvier, le secrétaire d’État Mike Pompeo a fait pression sur le gouvernement irakien pour qu’il ordonne la dissolution des Unités de mobilisation populaire (UMP) parrainées par l’Iran. Les Hachd al-Cha’bi, comme on les appelle, sont les milices chiites qui ont mené avec succès une offensive pour faire sortir Daech de l’ouest de l’Irak en 2017. Ce sont des versions irakiennes du Hezbollah libanais, combinant des forces militaires formées par l’Iran et des fronts politiques. Les frappes imputées à Israël visaient toutes des installations de ces Unités de mobilisation populaire.
Les UMP sont controversées en Irak. Bien que saluées pour leur rôle décisif dans la lutte contre Daech, leur expansion ultérieure dans la politique intérieure ne l’a pas été par tout le monde. L’ayatollah Ali Sistani, dirigeant religieux du pays, a béni la guerre des PMU contre Daech avec une fatwa en 2014, mais n’a pas soutenu leur liste électorale en 2018.
Néanmoins, l’alliance politique des UMP, connue sous le nom de Fateh, a terminé deuxième aux élections législatives irakiennes de 2018 et a aidé à choisir le Premier ministre Adel Abdul-Mahdi. Selon les médias iraniens, Pompeo a clairement indiqué lors d’une réunion avec Abdul-Mahdi en janvier que Washington ne réagirait pas aux attaques israéliennes contre les UMP.
Tandis que l’Iraq intègre les UMP – et il en existe plus de 40 – à ses forces armées, l’Iran renforce leur indépendance. Lors de la récente réunion à Téhéran, un porte-parole des UMP, le mouvement Hezbollah al-Nujaba, a déclaré que tout gouvernement irakien qui s’opposerait à l’Iran serait renversé en quelques semaines.
Cette menace est peut-être exagérée, mais l’influence des UMP ne l’est pas. Ils ont largement contribué à sauver le pays lorsque Daech a surgi en 2014. Ils détiennent « un pouvoir politique et militaire important », selon la Jamestown Foundation, un groupe de réflexion sur la sécurité hostile à l’Iran. Malgré la pression de Pompeo, leur dissolution est « assez improbable ».
Grâce à la politique de Trump, l’Irak a de plus en plus de raisons de se ranger ouvertement du côté de l’Iran. Aucun gouvernement irakien ne peut se permettre d’être considéré comme faisant cause commune avec Israël. Quand Israël a annoncé, la semaine dernière, qu’il se joindrait à une coalition américaine pour protéger le trafic maritime dans le Golfe Persique, le gouvernement irakien a rejeté l’idée. L’Irak « refuse toute participation des forces de l’entité sioniste à toute force militaire chargée de sécuriser le passage de navires dans le Golfe Persique », a déclaré le Ministre des Affaires étrangères, Mohammed Ali al-Hakim.
« L’Irak œuvrera à réduire les tensions dans notre région via des négociations sereines », a déclaré Al-Hakim, tandis que « la présence des forces occidentales dans la région augmenterait les tensions ». Suite à la « pression maximale » de Trump, l’Irak avait adopté le message du diplomate iranien sanctionné par les États-Unis, Javad Zarif : la campagne américaine contre l’Iran est une menace et « seules les nations régionales peuvent instaurer la paix dans la région ».
L’alliance des Etats-Unis avec Israël a un prix politique élevé que Trump semble disposé à payer. Il est possible que les attaques secrètes contribuent à renforcer la sécurité israélienne ; mais elles isolent Washington de ses alliés irakiens. Les attaques pourraient dégrader les capacités militaires de l’Iran ; mais elles renforcent assurément la position politique de Téhéran. Elles peuvent théoriquement apporter plus de sécurité aux Israéliens : mais elles rendent également plus de 5 200 soldats américains en Irak plus vulnérables.
En bref, les attaques secrètes israéliennes augmentent les chances de voir toute guerre américano-iranienne s’étendre à l’Irak, où l’intervention américaine d’il y a 15 ans s’est avérée désastreuse. Et il n’y a aucune raison de penser que les attaques israéliennes ne se poursuivront pas. [L’Irak a annoncé qu’il tenait les Etats-Unis pour responsables de ces frappes, Israël ayant bénéficié de leurs informations et de leurs bases aériennes, d’où des drones d’attaque ont été lancés sur les stocks d’armes des UMP ; de plus, Bagdad a annulé les autorisations spéciales de sorties dont bénéficiaient les Etats-Unis et leurs alliés dans le cadre de la coalition américaine censée combattre Daech, ce qui veut dire que tout survol de l’espace aérien irakien devra être autorisé préalablement : enfin, l’Irak a promis une riposte conséquente si de telles frappes devaient se reproduire ; les jours de la présence américaine en Irak sont comptés].
Jefferson Morley
Note du traducteur : Cette affaire, et une infinité d’autres (comme l’affaire Epstein et ses ramifications françaises), montre le fonctionnement des médias français mainstream. Même si un fait est de notoriété publique et aisément accessible, comme ces frappes israéliennes en Irak dont les médias arabes et israéliens parlent depuis plusieurs semaines, il n’est évoqué que si un média dominant outre-Atlantique le fait, après quoi il est impossible de l’ignorer sans perdre tout semblant de crédibilité. C’est pourquoi il a fallu attendre ce jour, le 23 août, pour que les médias français dominants reprennent cette information, emboîtant le pas à un article du New York Times publié le 22 août. Bien sûr, malgré le fait que le New York Times soit catégorique, nos médias français, comme toujours lorsqu’il s’agit d’Israël, utilisent le conditionnel.
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