Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde par Philippe de Villiers
Philippe de Villiers, avec son dernier opus, propose une critique intéressante mais incomplète du Nouveau Monde. A l’écrit, l’homme sait manier les mots : il n’existe pas l’ombre d’un doute sur ce point. Sa plume se montre alerte, vive et féconde. En revanche, je suis plus réservé pour ce qui est de ses talents oratoires…
Suite à la crise provoquée par le Covid-19, l’auteur a décidé de se confier une nouvelle fois, pour porter la voix des « Gaulois réfractaires ». Néanmoins, avant de se lancer dans son réquisitoire – que je ne peux toutefois pas qualifier de sans concession – Villiers écrit à juste titre : « L’épreuve a suscité des rentes involontaires pour les professionnels du commentaire et ceux des temples mercantiles. Les audiences des chaînes d’info ont bien profité de la crise, comme d’ailleurs les grandes enseignes de la distribution dont les têtes de gondole affichent une mine resplendissante ». Nous, catholiques, nous ne pouvions assister à la Sainte Messe de Pâques ! Une telle situation n’était pas même arrivée durant la Deuxième Guerre Mondiale… Par contre, les temples de la consommation restèrent ouverts pour le plus grand bonheur des actionnaires et des consommateurs. A chacun ses responsabilités !
Villiers prend le temps de revenir sur les piètres prestations du « chanoine Salomon » (1). Il déclare non sans ironie : « Chacun attendait l’office du soir. On écoutait le prône. On guettait, derrière son lutrin de plexiglas, cette silhouette bonhomme et emphatique : perlé de sueur, il égrenait sa litanie des malheurs du jour, puis laissait entrevoir les guérisons et les béatitudes à venir ». Le la était donc donné par cet écran noir qui rappelle sans la moindre hésitation le télécran (2) prophétisé par Orwell dans 1984 (3). Il poursuit son analyse : « Pendant des semaines, les écrans étaient allumés du matin au soir. Nous étions tous devenus des cathodiques fervents depuis laudes jusqu’à vêpres du vingt heures ». Dieu merci, ne disposant pas de la télévision à mon domicile, j’ai échappé à ces réunions déshumanisées promouvant les incantations gouvernementales.
Ceci étant dit, il convient de présenter les motivations de l’auteur : « Si j’ai décidé d’écrire les lignes qui suivent, ce n’est pas pour verser dans l’aigreur ou raconter mes états d’âme. Je ne suis pas dans la traque des coupables ou des collabos … Ce livre est un trousseau de clés qui permet d’ouvrir les portes sur la catastrophe. Ainsi comprendra-t-on je l’espère que ce drame vient de loin. Et surtout par quel poison on a choisi le laissez-faire, laissez-passer de la contagion virale plutôt que d’accepter quelques entorses à l’idéologie ». Ici, Villiers s’en prend au Village Global (4) et au Monde sans frontières que certains politiques nous vendent comme solution miracle aux maux du XXIème siècle.
Le texte de Villers, selon son aveu, s’apparente à « une encre de tristesse et d’incompréhension. Comme beaucoup de nos compatriotes, je sens monter en moi une colère froide ». Ainsi, il en vient à poser de judicieuses questions : « Comment un tel engrenage a-t-il pu s’enclencher ? Comment se fait-il que, dans les hautes sphères où des employés à vie sont payés à décrypter les alertes, les signaux faibles comme ils disent, et à déclencher le magnésium des balises de détresse, on ait manqué à ce point de discernement, d’anticipation et de répondant ? »
Plus loin dans le livre, il estime « que la crise de 2008 ne toucha pas les Français dans le quotidien de leurs soucis ». Je suis très étonné de ce propos, car je connais plusieurs personnes ayant perdu leur emploi ou qui ne purent être embauchés suite aux conséquences du cataclysme - prévisible - des Subprimes (5). Villiers continue de cette manière : « Le Krach des Bourses contamina les gens d’argent. Quand les financiers de l’économie virtuelle, qui d’ailleurs n’attrapent jamais les maladies du peuple, s’adonnent à l’échange de créances toxiques avec des bulles spéculatives qu’on gonfle, qu’on dégonfle ou qu’on crève …, les petits épargnants s’en remettent de leurs inquiétudes à leur banquier qui jure que l’euro sera le dernier à faire faillite ». Il précise sa pensée : « Avec l’irruption du coronavirus la situation a changé du tout au tout ».
Effectivement, la réponse du gouvernement à cette « pandémie mondiale » fut le confinement : « Cela veut dire que nous sommes tous présumés malades. Tous les assignés sont les porteurs virtuels du virus redoutable qui agit comme une cinquième colonne. Expérience prémonitoire ? ». Par la suite, il décrypte la situation ubuesque vécue par 66 millions de Français. Il délivre ses analyses au sujet de la méthode désastreuse employée par le gouvernement pour répondre aux nombreux enjeux soulevés par l’immersion de ce virus dans nos vies. Par conséquent, il évoque aussi les erreurs, les manquements, les mensonges et les mesures prises en dépit du bon sens par le gouvernement d’Edouard Philippe. Durant toute cette période, ce dernier semblait en complet décalage avec la réalité.
Toutefois, j’estime qu’il me paraît bien léger de dénoncer à longueur de pages des conséquences sans dévoiler les causes réelles et sérieuses qui expliquent le déclassement de notre pays. La raison est simple : Villiers choisit d’esquisser une critique superficielle du système politico-médiatique, critique qui, malgré tout, pourra réjouir la majorité du peuple de droite et une partie non négligeable des Gilets Jaunes. La très grande majorité des individus de ces deux camps approuvera la composition villiériste, sans pour autant se rendre compte - et pour cause - qu’elle ne permet nullement de bien comprendre la catastrophe vécue par notre pays depuis des années.
Alors oui, c’est bien écrit, les formules - souvent pertinentes - touchent leurs cibles, mais Villiers oublie l’essentiel. Naturellement, je me dois de préciser que je fais bien entendu la distinction entre le politique et l’entrepreneur. Son Puy du Fou et sa cinescénie mettent en avant la richesse historique française. Quant à la très grande qualité des spectacles, elle contribue au rayonnement de la France et de la Vendée dans le monde entier (6). Villiers restera peut-être dans l’Histoire pour son œuvre culturelle, non pour son action politique.
Certainement, Villiers le politique semble moins doué, moins pertinent, moins avant-gardiste que le Villiers culturel. Il nous narre sa rencontre en 2016 avec Macron et son épouse, quand les deux vinrent au Puy du Fou lui rendre visite. Villiers parle « d’échanges vifs mais amicaux ». Il redit même que « l’échange fut dense ». Pourtant, au-delà d’une condamnation légère de Macron et ses idées, je ne lis jamais sous sa plume une dénonciation vive et dense quoiqu’amicale de la politique macronienne. Villiers se contente de pointer du doigt, avec quelques bons arguments, mais sans véritablement dévoiler les soubassements idéologiques de l’actuel colocataire de l’Elysée, les anciens présidents de la République…
Ainsi, Villiers écrit, mais cela ne nous surprend guère, cette phrase à laquelle je ne peux souscrire : « En dépit de sa campagne hors-sol, depuis l’élection et la soirée du Louvre, les tous premiers pas du Président me laissent plutôt penser qu’Emmanuel a compris l’essentiel et qu’il souhaite pratiquer la verticalité régalienne ». Villiers est-il stupide ou naïf ? Je ne le crois pas un seul instant. De fait, chacun, en conscience, pourra s’étonner ou non de cette familiarité très perceptible dans le livre avec « Emmanuel » et de sa volonté de ne pas le pourfendre, même quand cela serait authentiquement justifié. Qui connaît, même de loin, les devoirs et les droits de la fonction suprême, c’est-à-dire de chef de l’Etat, ne pouvait penser une seule seconde que Macron avait « compris l’essentiel ».
Cependant, même si Villiers finit par conclure : « Cela ne va pas durer » au sujet de « la verticalité régalienne », comment a-t-il pu se laisser abuser par le personnage Macron ? Celui-ci, durant toute sa carrière professionnelle et politique ainsi que pendant sa campagne à l’élection présidentielle, n’a montré que peu d’intérêt, et parfois un vertigineux mépris de classe, envers la France éternelle, la France des clochers, la France des campagnes, la France soucieuse de son héritage pluri-millénaire. Le lecteur attentif se fera un avis circonstancié et objectif au sujet de cette cécité apparente de Villiers à l’endroit d’Emmanuel Macron.
A la fin de son réquisitoire, Villiers développe une idée appuyée par une de ces figures de style dont il a le secret : « Une souveraineté sans peuple, c’est comme l’amour à distance, de la branlette ». Il a raison, une souveraineté française sans peuple français ne rimerait à rien. Mais que dire alors de tous ceux en France, au mépris de notre longue histoire, militent pour une souveraineté nationale sans roi ? Ils alimentent volontairement l’incohérence qu’ils prétendent combattre…
Pour conclure cette chronique littéraire, je dis que la reprise du mot Gaulois ne me paraît pas opportune (7). Tout le monde sait que les Gaulois subirent la défaite face aux armées romaines et vécurent l’occupation de la Gaule. J’eus préféré qu’il usât le terme de Francs. Pourquoi ? Franc signifie homme libre ! Et qui plus est, les Francs sont la genèse de notre pays (8). Se rappeler à leur bon souvenir signifierait que nous saurions où nous allons, car nous cesserions d’ignorer d’où nous venons. Et que les choses soient claires, nous ne désirons pas vivre dans leur Nouveau Monde…
Franck ABED
(1) Jérôme Salomon, né le 26 avril 1969 à Paris, est un médecin infectiologue et haut fonctionnaire français. Spécialiste de santé publique, il est directeur général de la Santé depuis le 8 janvier 2018. Il se fait connaître du grand public en 2020 lors de la pandémie de Covid-19. Il fut surnommé « le monsieur coronavirus du gouvernement ».
(2) Le télécran (telescreen dans la version originale) est un objet fictif omniprésent dans le roman 1984. Il s'agit à la fois d'un système de télévision diffusant en permanence les messages de propagande du Parti, et d’un appareil de vidéo-surveillance. Il permet donc à la Police de la Pensée d’entendre et de voir ce qui se fait dans chaque pièce où se trouve un individu. Le télécran est présent dans les appartements de tous les membres du Parti. Les prolétaires n'y sont pas soumis. On ne peut arrêter le télécran à aucun moment. Il est juste possible de réduire le volume sonore. Cet objet est décrit de la façon suivante : « une plaque de métal oblongue, miroir terne encastré dans le mur ». Il ressemble étrangement à nos télévisions modernes.
(3) 1984 reste à ce jour le plus célèbre roman de George Orwell. Il fut publié en 1949. L’histoire décrit une Grande-Bretagne dystopique, trente ans après une guerre nucléaire entre l'Est et l'Ouest censée avoir eu lieu dans les années 1950, époque durant laquelle s'est instauré un régime de type totalitaire. La liberté d'expression n’existe plus. Toutes les pensées sont minutieusement surveillées, et d’immenses affiches sont placardées dans les rues, indiquant à tous que « Big Brother vous regarde ».
(4) Le village planétaire ou village global (en anglais Global Village), est une expression de Marshall McLuhan, tirée de son ouvrage The Medium is the Message paru en 1967, pour qualifier les effets de la mondialisation, des médias, et des technologies de l'information et de la communication.
(5) La crise des subprimes (en anglais : subprime mortgage crisis) est une crise financière qui a touché le secteur des prêts hypothécaires à risque aux Etats-Unis à partir de juillet 2007. Avec la crise bancaire et financière de l'automne 2008, ces deux phénomènes inaugurent la crise financière mondiale de 2007-2008.
(6) Nous pouvons lire sur le site www.puydufou.com : « La créativité, l’originalité et l’excellence du Puy du Fou sont reconnues par les professionnels et les spécialistes du monde entier. Depuis 2012, le Puy du Fou reçoit régulièrement les récompenses internationales les plus prestigieuses du monde des parcs et du spectacle ».
(7) Le mercredi 29 août, devant la reine de Danemark, Margrethe II, Emmanuel Macron s’était amusé à comparer les Danois, « peuple luthérien » ouvert aux transformations, aux Français, des « Gaulois réfractaires au changement ». Extrait d’un article du Monde (29 août 2018).
(8) Baptême de Clovis le 25 décembre 496
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