Les gens du voyage, des citoyens d’exception encore et encore …
Lors d’un discours prononcé le 29 octobre dernier à Montreuil Bellay, le Président de la République avait rendu un vibrant hommage aux tsiganes déportés durant la seconde guerre mondiale, en reconnaissant pour la première fois et sans ambiguïté la responsabilité de la République française. A cette occasion, François Hollande en avait profité pour rappeler que les gens du voyage font partie intégrante de la société française, et qu’à ce titre il fallait rompre avec un droit pour le moins discriminant. A ce propos, le projet de loi égalité et citoyenneté aujourd’hui discuté au Parlement pourrait justement tendre en ce sens, notamment en abrogeant certaines dispositions pour le moins surprenantes de notre législation.
Aujourd’hui, si l’expression de « gens du voyage » est désormais couramment employée par les français, il faut savoir qu’il s’agit avant tout d’une catégorie juridique à laquelle appartiennent certains tziganes, roms, manouches et autres personnes ayant décidé d’adopter un mode de vie itinérant. Historiquement, cette expression trouve son origine dans les années 60[1][2] et particulièrement dans la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Encore en vigueur aujourd’hui, ce texte a notamment pour intérêt de fournir un cadre juridique au mode de vie pour le moins original adopté par les gens du voyage, un mode de vie qui du reste, suscite de multiples interrogations. On peut le dire sans crainte, les gens du voyage vivent sous un régime administratif d’exception alors que dans l’immense majorité ils sont titulaires de la nationalité française.
L’itinérance et le livre de circulation
S’ils profitent de la liberté d’aller et venir à l’instar de nombreux citoyens français, leurs déplacements sont néanmoins encadrés de manière tout à fait singulière et ce depuis plus d’un siècle. Déjà, en 1912 le législateur avait prévu que les nomades (aujourd’hui gens du voyage) soient identifiés par un document administratif dérogatoire au droit commun, à savoir le carnet anthropométrique. Celui-ci comprenait certaines informations permettant d’identifier avec plus de précisions les gens du voyage que les autres habitants du territoire dans la mesure où devaient y figurer leurs empreintes digitales et quelques descriptions physiques des intéressés.
Puis, une loi adoptée en 1969 est venue supprimer les carnets anthropométriques et les remplacer par le livret de circulation, toujours en vigueur aujourd’hui. Ce livret de circulation peut constituer une pièce d’identité en pratique, mais ne remplace ni la carte nationale d’identité, et encore moins le permis de conduire. Il s’agit d’un document administratif spécifiquement exigé aux gens du voyage (de plus de 16 ans), et qui suppose pour ces derniers de se déplacer au moins une fois par an auprès d’un commissariat de police ou d’une gendarmerie pour obtenir un visa. A noter, l’obligation n’est pas anodine puisque son non respect est passible d’une amende (contravention de 5 ème classe, 1500 euros).
Assimilé à une sorte fichage ethnique, le livret de circulation est sujet à de nombreuses critiques, à tel point que certains parlementaires militent pour sa suppression à l’image du député (PS) Dominique Raimbourg[3]. Malgré la validation de cette proposition courant 2015 par l’Assemblée Nationale, l’initiative reste en suspens compte tenu du manque de soutien des sénateurs. Pourtant, il est difficile de ne pas y voir un régime discriminatoire, qui au-delà de limiter la liberté de circulation des gens du voyage (dans une certaine mesure), opère une différenciation significative entre les citoyens français selon qu’ils aient un mode de vie sédentaire ou itinérant.
Si cette distinction peut paraître justifiée en constituant une réponse juridique adaptée aux gens du voyage, c’est faire fi de la dimension symbolique attachée aux livrets de circulations. En effet, l’Administration, en ciblant de manière très précise une « communauté » opère une dichotomie entre les citoyens français qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres du XX ème siècle, période qui avaient vu les gens du voyage, au même titre que les juifs et d’autres personnes déportés en raison de leurs origines ethniques et de leur culture. Un tel régime n’a évidemment pas laissé indifférentes les instances européennes au premier desquelles le Conseil de l’Europe. Ainsi, dans un rapport publié en février 2006, le commissaire aux Droits de l’Homme, Alvaro Gil-Robles, avait souligné que « l’obligation de détenir un tel document ainsi que celle de le faire viser régulièrement constitue une discrimination flagrante. En effet, il s’agit de la seule catégorie de citoyens français pour laquelle la possession d’une carte d’identité ne suffit pas pour être en règle ».
On le voit, les livrets de circulations posent des questions autant juridiques que symboliques, mais il ne s’agit pas du seul point de droit qui interroge. L’adoption prochaine du projet de loi égalité et citoyenneté qui prévoit entre autres, de donner une suite favorable à la suppression du livret de circulation[4] ambitionne de revenir sur d’autres dispositions de la loi précitée de 1969. Ainsi, au même titre que le livret de circulation, le rattachement à une commune demeure une des obligations sur lesquelles la majorité socialiste compte revenir.
La commune de rattachement et les gens du voyage …
Théoriquement, tout citoyen est rattaché à une commune, de quoi il en découle certains effets concernant la célébration du mariage, l’inscription sur les listes électorales, l’accomplissement des obligations fiscales et l’aide aux travailleurs sans emploi.
Ainsi, la même loi qui contraint les gens du voyage à être titulaires d’un livret de circulation les oblige également à être rattachés à une commune. A priori, rien d’anormale face à une telle obligation. Toutefois, si l’on se penche sur les conditions qui entourent le rattachement des gens du voyage aux communes plusieurs éléments méritent d’être soulevés.
Tout d’abord, il faut savoir que la loi dispose en son article 9 que « le choix de la commune de rattachement est effectué pour une durée minimale de deux ans ». Pourtant, il est loisible à n’importe quel citoyen français (sauf cas exceptionnel, assignations à résidence, détention, etc.) de changer d’adresse autant de fois qu’il l’envisage. Toute personne vivant en France peut circuler ou déménager, changer d’adresse autant de fois qu’elle le souhaite dans l’année. Certains remarqueront que cela n’empêche pas les gens du voyage de se déplacer, or, toujours est il que cela limite de manière certaine leurs envies de changer de départements voire de régions.
Egalement, les gens du voyage ne peuvent choisir librement leur commune de rattachement à l’instar de tout citoyen français, puisque la loi prévoit encore aujourd’hui que « le nombre des personnes détentrices d'un titre de circulation, sans domicile ni résidence fixe, rattachées à une commune, ne doit pas dépasser 3 % de la population municipale telle qu'elle a été dénombrée au dernier recensement. » Partant, « lorsque ce pourcentage est atteint, le préfet ou le sous-préfet invite le déclarant à choisir une autre commune de rattachement. » A ce jour, il existe donc un quota de gens du voyage admis par communes. Si la raison d’une telle disposition ne saute pas aux yeux, il faut alors penser aux enjeux électoraux qui entourent leur présence (plus ou moins importante) sur le territoire d’une commune. Pour certains, avec une telle disposition il s’agit là de neutraliser les effets positifs que pourrait avoir une présence trop conséquente de gens du voyage au profit des majorités en place dans certaines communes. Or, selon le député Dominique Raimbourg il s’agit là d’un « mythe » puisque « les gens du voyage sont très abstentionnistes et divisés, il n’existe pas chez eux de vote communautaire »[5]. Au-delà de l’importance que les gens du voyage peuvent accorder aux fait politique, comment est il concevable que de « raisons électoralistes » puissent justifier l’existence de tels quotas entre les citoyens ?
Bien entendu, la situation juridique des gens du voyage est singulière à bien d’autres égards (droits de vote, prestations sociales, éducation des plus jeunes, les airs d’accueil, etc.), néanmoins les livrets de circulation ainsi que les conditions entourant le rattachement obligatoire à une commune pour les gens du voyage interrogent avec une certaine acuité l’égalité entre les citoyens français. Que leur mode de vie impose des aménagements et des dérogations est une chose, qu’ils soient traqués comme n’importe quels délinquants en est une autre …
[1] http://olivier-blochet.over-blog.com/2016/11/gens-du-voyages-la-fin-d-une-legislation-d-exception-a-portee-de-mains.html
[2] Voir note du Fnasat http://nouvelle-aquitaine.drdjscs.gouv.fr/sites/nouvelle-aquitaine.drdjscs.gouv.fr/IMG/pdf/Note_FNASAT_Election_de_domicile_Gens_du_voyage_pdf.pdf
[3] http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2812.asp Voir le rapport parlementaire relatif au statut, à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage enregistré à l’Assemblée Nationale le 27 mai 2015.
[4] http://www.gouvernement.fr/argumentaire/egalite-et-citoyennete-3-priorites-pour-retisser-les-liens-de-la-communaute-nationale-5306 Voir le communiqué du Gouvernement en date du 3 juillet 2016
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