Les gourous mis à nu
Traduction du deuxième chapitre de Stripping the Gurus, par Geoffrey D. Falk, qui évoque ici le cas de Ramakrishna, le premier gourou indien connu des occidentaux, et l'un des plus respectés.
- Ramakrishna
[Ramakrishna] est une figure de l'histoire récente, et sa vie et ses enseignements n'ont pas encore été obscurcis par des légendes bienveillantes ou par des mythes douteux. [Lien]
Les adeptes et les admirateurs de Ramakrishna ont reconnu en lui [une incarnation du] Christ. [...] Lorsque [Mahendra Nath Gupta, l’un de ses plus proches disciples] déclara à son maître que celui-ci était la même personne que Jésus et Chaitanya, Ramakrishna affirma avec enthousiasme : « La même ! La même ! Sans aucun doute la même personne ». [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
Je suis un avatar. Je suis Dieu sous forme humaine. [Ramakrishna, cité dans Nityatmananda, Swami (1967), SriM Darsan]
L’histoire du yoga et des yogis en Occident – et de leurs abus de pouvoir supposés, le plus souvent relatifs à des questions d’ordre sexuel – commence véritablement avec les discours de Swami Vivekananda à l’exposition universelle de Chicago en 1893.
L’histoire de Vivekananda débute quant à elle avec son propre gourou, Sri Ramakrishna, né en Inde en 1836 (« Sri » est un titre de respect dans l’Inde orientale, proche de l’anglais « Sir »). C’est donc vers ce dernier que nous allons tout d’abord tourner notre attention.
Enfant, le petit Ramakrishna – qui devait par la suite prétendre être l’incarnation d’à la fois Krishna et Rama – « aimait s’habiller et se comporter comme une petite fille ». [In Sil, Narasingha P. (1997), Swami Vivekananda : A Reassessment] Ce penchant était d’ailleurs encouragé par un environnement familial qui lui achetait des vêtements féminins et des bijoux en or, en accord avec son corps et son âme relativement féminines.
On peut parfaitement se rendre compte d’après la seule photographie subsistante de Ramakrishna qu’il possédait des seins assez fermes et proéminents – très probablement un cas de gynécomastie. [...]
Ramakrishna pourrait aussi être décrit, selon le jargon de la psychologie moderne, comme étant un « she-male », c’est à dire un homme qui, en dépit de ses organes sexuels masculins, est doté d’une psychologie féminine et de seins ressemblant à ceux d’une femme. [...]
[Sarananda] écrit, en se fondant apparemment sur le témoignage de son maître, qu’il saignait tous les mois de la partie correspondant à ses poils pubiens [...] et que le saignement durait pendant trois jours, tout comme les menstruations d’une femme. [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
Mais la connaissance du grand sage portant sur l’aspect microcosmique du principe féminin ne se limitait pas seulement à ce fait :
Une fois, après une sieste, il s'assit et son vêtement laissa apparaître ses reins. Il remarqua alors qu'il était assis comme une femme qui s'apprêtait à donner le sein à son enfant. En fait, il avait pour habitude de donner le sein à son jeune disciple [mâle] bien-aimé, Rakhal Gosh. [...]
Il [...] faisait montre d’une attitude franchement érotique envers ses disciples et ses adeptes mâles. [...] Il se faisait souvent passer pour leur petite amie ou leur mère, et les touchait ou les caressait toujours avec amour. [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
Quiconque donne le sein à un adulte considère/traite explicitement cet adulte comme un enfant. S’il existe dans ce contexte une quelconque attirance sexuelle du « parent » envers « l’enfant », alors on ne peut éluder l’aspect pédophile sur le plan psychologique, même si celui qui prend le sein est majeur, comme l’était Ghosh, alors âgé de dix-huit ans. Et si un homme adulte (un « she-male », dans le cas de Ramakrishna) incite un autre homme adulte (plus jeune que lui) à jouer le rôle d’un bébé, de sorte que le premier puisse jouer le rôle de la mère du second, et littéralement donner le sein à ce dernier, alors il ne ferait aucun doute que nous soyons confrontés à un comportement de nature fétichiste.
De plus, après avoir rencontré pour la première fois Vivekananda, son disciple le plus connu, Ramakrishna avoua qu’il avait été transporté par un « désir ardent » de revoir le jeune homme :
Je courus vers la partie nord du jardin, un endroit assez peu fréquenté, et je criai le plus fort que ma voix le permettait, « Ô mon chéri, reviens-moi ! Je ne peux vivre sans te voir ! » Peu après, je me sentis mieux. Cet état de choses dura pendant six mois. D’autres jeunes garçons venaient également ici ; je me sentais fortement attiré par certains d’entre eux, mais ce n’était nullement comparable à mon attraction pour [Vivekananda]. [C’est moi qui souligne] [In Disciples, Eastern & Western (1979), The Life of Swami Vivekananda]
Ramakrishna décrivit ensuite son disciple favori de diverses façons, que ce soit comme « une énorme carpe aux yeux rouges », « un très grand pot », « un gros bambou troué » et un « pigeon mâle ».
Plus tard, le gourou, alors marié et prématurément frappé d’impuissance, atteignit le samadhi (extase mystique impliquant en général une perte de conscience du corps matériel) après être monté sur le dos du jeune Vivekananda.
Quant à savoir quelle excuse le grand gourou aurait pu fournir pour avoir chevauché de la sorte son disciple si cette cascade ne l’avait pas poussé vers une perception extatique de la divinité, libre à chacun de le deviner.
On ne peut passer sous silence l’obsession [de Ramakrishna] pour l’anus et la merde dans chacune de ses conversations. Même l’expérience qui lui fournit sa plus haute prise de conscience, à savoir que le soi renferme le Paramatman, l’Être Suprême qui contient toute la connaissance, provenait de sa contemplation d’une sauterelle qui avait un petit bâton inséré dans l’anus ! [...]
Son extase [i.e. sa transe] était provoquée par le fait de toucher son jeune disciple [mâle] favori. Il développa quelques stratégies pour toucher ou caresser le corps de ses disciples (parfois le pénis, comme avec Vijaykrishna Goswami, dont il calmait le membre par son « toucher »). [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
Bien entendu, les comportements homoérotiques de Ramakrishna référencés ci-dessus n’impliquent pas qu’il ait été un homosexuel actif. Cependant, ils ne peuvent pas non plus être séparés de sa vision du corps féminin, qu’il considérait comme n’étant rien de plus que « des choses telles que du sang, de la chair, de la graisse, des entrailles, des vers, de la pisse, de la merde, etc. ». [In Nikhilananda, Swami, tr. (1984 [1942]), The Gospel of Sri Ramakrishna] De plus, « l’incarnation de la Mère Divine » a lui même révélé que :
Les femmes m’effraient terriblement. [...] Je les envisage comme une tigresse qui viendrait pour me dévorer. De plus, je vois de grands pores [cf. les symboles du vagin] sur leurs membres. Je les considère toutes comme des ogresses. [...]
Si une femme touche mon corps, je me sens malade. [...] Les parties touchées me font mal comme si elles avaient été piquées par un poisson-chat cornu. [Ibid.]
Même la simple vue d’une femme pouvait provoquer des sentiments si négatifs chez Ramakrishna qu’elle pouvait l’amener à
soit s’enfuir en direction du temple, soit mettre en œuvre une stratégie de fuite en entrant dans le samadhi. Son attirance pour les jeunes garçons pourrait être considérée comme une forme de pédophilie non active, souvent associée avec les hommes âgés frappés d’impuissance. [...]
Le mépris qu’éprouvait Ramakrishna pour les femmes était en fin de compte l’attitude misogyne d’un homme manquant de confiance en lui, qui s’imaginait être une femme dans le but de combattre sa peur innée des femmes. [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
En d’autres occasions, la simple mention d’un objet qui déplaisait à Ramakrishna (par exemple, du chanvre ou du vin), tout comme de fortes émotions ressenties par le sage, le poussaient à se réfugier dans le samadhi. Lorsque son cousin suggéra que ces comportements étranges pourraient avoir une origine psychologique, la réponse de Ramakrishna fut de « pratiquement se jeter dans la rivière, pour en finir une fois pour toutes. » [Ibid.]
Considérant tout ceci, il n’est pas surprenant que la discipline spirituelle de Ramakrishna prit elle-même un tour étrange.
Au cours de ses pratiques ascétiques, le corps de Ramakrishna changeait de façon remarquable. Lorsqu’il vénérait Rama en s’inspirant d’Hanuman, le singe chef de guerre du Ramayana, ses mouvements ressemblaient à ceux d’un singe [enfant, Ramakrishna était également un acteur accompli]. [...] Dans sa biographie de Ramakrishna, le romancier Christopher Isherwood paraphrasa la propre description faite par le saint de son comportement étrange : « Je ne faisais pas ceci de mon propre chef ; cela survenait tout seul. Et la chose la plus merveilleuse fut que la partie inférieure de ma colonne vertébrale s’allongea de près de trois centimètres ! Plus tard, lorsque j’arrêtai de pratiquer ce type de dévotion, elle revint graduellement à sa taille normale. » [In Murphy, Michael (1992), The Future of the Body : Explorations into the Further Evolution of Human Nature]
Durant les jours de ma [« sainte »] folie [alors qu’il était prêtre du temple de Kali à Dakshineswar], je pris l’habitude de vénérer mon propre pénis comme le Shiva linga. [Ndt : pierre dressée, symbole phallique de la puissance du dieu Shiva] [...] La vénération d’un linga vivant. Je l’avais même orné d’une perle. [Nikhilananda, Swami, tr. (1984 [1942]), The Gospel of Sri Ramakrishna]
La dévotion particulière du sage ne se limitait pas non plus à ses propres parties génitales :
[Ramakrishna] considérait les jurons [comme étant] aussi chargés de sens que les Védas et les Puranas, et appréciait particulièrement d’exécuter le japa (le décompte rituel des grains d’un rosaire) en prononçant le mot « chatte ». [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
En effet, comme l’avatar autoproclamé le déclara lui-même à ses disciples :
Dès que je prononce le mot « chatte », je contemple le vagin cosmique [...] et je me plonge dedans. [Ibid.]
Ce n’est en réalité pas aussi étrange que cela pourrait paraître à première vue, car « chatte » [ndt : « cunt » en anglais] dérive de Kunda ou Cunti – des noms de Kali, la Divine Mère de l’hindouisme, vénérée par Ramakrishna.
Cela reste tout même très étrange.
Quoi qu’il en soit, en 1861, Ramakrishna, fraîchement marié, s’initia à la pratique du yoga tantrique (sexuel) avec un enseignant féminin, Yogeshwari (son mariage fut contracté avec une épouse de cinq ans, choisie par le yogi lui-même alors qu’il était âgé de vingt-trois ans, puis laissée chez ses parents). Parmi les rituels exécutés par l’étudiant avide durant cette sadhana (pratique/discipline spirituelle), figuraient la consommation des restes des repas des chiens ou des chacals, ainsi que celle d’une « préparation à base de poisson et de chair humaine présentée dans un crâne humain ». [Ibid.] Les tentatives pour le faire participer à des pratiques de sexe rituel avec une partenaire, qui sont un élément essentiel du tantra, eurent cependant moins de succès. Elles se finissaient en effet par la fuite du sage dans la sécurité de la transe, et il se contentait simplement de regarder d’autres adeptes avoir des rapports sexuels.
De même, lorsque son épouse atteignit l’âge adulte, Ramakrishna essaya de lui faire l’amour, mais échoua dans sa tentative, plongeant au contraire dans un état de « supraconscience prématurée » (il s’avère que leur mariage ne fut vraisemblablement jamais consommé). Ceci ne découragea pas la jeune femme de poser ses propres prétentions spirituelles :
Comme elle considérait que son mari était Dieu, Sarada devint convaincue qu’étant son épouse légitime, elle devait elle aussi être une divinité. S’appuyant sur les déclarations de son époux selon lesquelles elle était en réalité l’épouse de Shiva, Sarada prétendit ensuite : « Je suis Baghavati, la Divine Mère de l’univers ». [Ibid.]
Il s’agissait certainement d’une forme de compensation pour avoir été confinée en cuisine pendant des jours entiers par son mari, sans même avoir le droit d’aller se soulager aux latrines.
[Ramakrishna fut] l'un des saints les plus véritablement grands de l'Inde du dix-neuvième siècle. [In Feuerstein, Georg (1992), Holy Madness]
Démontrant la haute estime en laquelle chaque loyal disciple tient son gourou, Vivekananda lui-même déclara que Ramakrishna était « le plus grand de tous les avatars ». [In Sil, Narasingha P. (1997), Swami Vivekananda : A Reassessment] Cette évaluation n’était toutefois pas partagée par tous ceux qui connurent le grand sage :
Hriday, le neveu et compagnon du Maître, le considérait en fait comme un imbécile. [In Sil, Narasingha P. (1998), Ramakrishna Revisited : A New Biography]
Le gourou vénéré exprima par la suite la même opinion au sujet de sa mère terrestre.
Quoi qu’il en soit, Ramakrishna reçut le titre de « Paramahansa », ce qui signifie « Cygne Suprême », ce qualificatif allant de pair avec sa condition d’avatar supposé. Cette appellation signifie que l’on a atteint le plus haut degré de la spiritualité et du discernement, par analogie avec le cygne qui serait capable d’extraire le lait d’un mélange de lait et d’eau (supposément en caillant le lait).
Ramakrishna fut diagnostiqué avec un cancer de la gorge au milieu de l’année 1885. Il mourut en 1886, laissant derrière lui plusieurs milliers de disciples. [In Satchidananda, Swami (1977), Guru and Disciple] Comme prévu, le commandement de ces adeptes échut à Vivekananda.
Après tout ceci, Sil (dans son ouvrage paru en 1998) donna son évaluation finale de « l’incarnation [de Dieu ou de la Mère Divine] pour l’âge moderne » en concluant que, en dépit du statut ébouriffant de monumentale icône culturelle de Ramakrishna, il n’en était pas moins « un peu un bébé et un peu idiot ».
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Source et traduction des chapitres 9 et 10 sur Ram Dass et Sai Baba.
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