Les indignés de Londres
Le samedi 15 octobre, un groupe d’indignés se réunit à Londres pour manifester Place Paternoster, devant la bourse de Londres, dans la City de Londres contre notamment la dérégulation des services financiers. Cette place étant la propriété privée de Mitsubishi, comme tellement d’endroits à Londres où même les trottoirs sont des lieux privés où les passants n’ont le droit de circuler que par le bon vouloir des propriétaires des lieux, la police intervient et « kettle » les manifestants, c'est-à-dire les repousse brutalement sur les marches de St Paul qui est situé à côté. Elle établit un cordon qui empêche les manifestants de se disperser, amène des toilettes portables et de l’eau, comme elle est obligée de le faire dans tous les cas de « kettling ». Les manifestants décident alors de planter leurs tentes sur le parvis de St Paul, toujours encerclés par la police métropolitaine de Londres. Le lendemain matin, le chanoine de St Paul Giles Fraser demande à la police de se retirer, parce qu’il estime que la présence et les moyens dont disposent la police sont totalement disproportionnés par rapport aux quelques 200 manifestants qui ont planté leurs tentes sur l’ancien cimetière de St Paul. Ce que fait la police.
À partir de là, la situation dégénère. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, St Paul ferme ses portes alléguant les risques sécuritaires posés par les manifestants, ce qui vaudra aux manifestants l’appellation de « pires que les nazis » par la presse de droite. Le problème est que St Paul ou son conseil d’administration ne semble pas disposé à partager le rapport qui répertorie ces risques de sécurité. En fait il semblerait qu’il n’y ait eu aucun rapport, ce qui a été confirmé par la directrice de la sécurité à Londres qui n’a jamais été contactée par St Paul, mais que le conseil d’administration de St Paul ait décidé qu’en fermant les portes de St Paul, il parviendrait à tourner l’opinion publique contre les manifestants, citant une perte de revenus quotidienne de 22.000 livres sterling (la visite de St Paul coûte 13.50 livres par personne) et le chômage économique de certains de ses 200 employés. Les journaux de droite s’en mêlent.
Mais ces indignés de Londres découvrent bien vite qui sont les membres du conseil d’administration et les « trustees » de St Paul, et ses partenaires institutionnels : anciens directeurs de banques comme Lloyds, Goldman Sachs, un ancien chef de la police londonienne, la bourse de Londres. St Paul commence à perdre la bataille des relations publiques. Certains pasteurs montrent au créneau en écrivant aux journaux pour dire que les manifestants défendent les valeurs de l’église.
La presse de droite se déchaîne : les manifestants sont des manifestants professionnels, ou bien ce sont des bobos comme on dit en France, ou encore des chômeurs qui touchent des allocations. Tout est bon pour discréditer les manifestants. Le coup de grâce est asséné par le Daily Telegraph qui, images thermiques à l’appui, démontre que 1 sur 10 manifestants ne restent pas la nuit sur le parvis de St Paul, mais qu’ils rentrent chez eux, chez papa ou maman ou vont coucher à l’hôtel. Tous les journaux ou presque (une mention spéciale pour le Guardian et le New Statesman qui ont été exemplaires dans cette affaire) reprennent cette information, notamment la BBC et l’Independent, qui n’a d’indépendant que le nom. Ceci avant que les manifestants louent exactement le même équipement que le Telegraph et démontrent qu’il est impossible de prouver si les manifestants sont présents ou non dans les tentes, auquel s’ajoute le témoignage d’un militaire spécialiste dans l’imagerie thermique qui affirme qu’il est impossible à partir des images filmées de prouver qu’il n’y a pas de manifestants dans les tentes, et il tient absolument à ce que son témoignage soit pris en compte. Aux dernières nouvelles, Occupy London vient de porter plainte auprès de la Commission de la presse
Entre temps coup de théâtre. Le chanoine de St Paul démissionne parce qu’il ne veut pas être associé à l’usage de la violence par l’église anglicane pour déloger les manifestants.
Aujourd’hui le 28 octobre 2011, St Paul a rouvert ses portes, expliquant que c’était possible parce que les manifestants avaient réorganisé leurs tentes, mais personne n’est dupe. St Paul comme la city de Londres ont prononcé une injonction contre les manifestants, qui ont publié aujourd’hui leurs revendications : une réforme complète du Square Mile ou de la City de Londres, qui a ses propres règles et sa propre police, sans oublier un vote groupé contre les résidents de Londres (par exemple la banque de Chine a un véto contre le vote des résidents londoniens), une cité dans une cité qui n’obéit à aucune règle, parce qu’elle a obtenu des exemptions à toutes les règles et qu’elle a en permanence un lobbyiste à l’assemblée des députés pour protéger ses propres intérêts, enfin les intérêts des banques.
Parce que mon fils est l’un de ces indignés, je suis allée à Londres hier. Alors que la presse de droite se déchaîne contre ces indignés parce qu’ils ont créé autour de St Paul ce qu’elle appelle un « shanty town », bidonville en français, alors qu’il y a une bibliothèque, un centre de premiers secours, un centre de recyclage des déchets, une tente de conseils juridiques, une tente abritant un piano terriblement désaccordé, une cuisine (pas de viande malheureusement) qui nourrit toute cette population, en plus de certains sans-abris qui ont trouvé dans cette communauté, un espace convivial où il leur ait possible de contribuer et qui travaillent 24h/24, il y a quand même des milliers de sans-abris qui couchent dans les rues de Londres tous les soirs, des trafiquants de drogue qui vendent chaque jour leurs drogues, des innocents victimes quotidiennement de la culture du couteau, et cela n’indigne personne. Ce campement a été décrit comme un modèle du genre, totalement pacifique, organisé comme l’église anglicane a été incapable de l’être, et impossible à catégoriser.
Je suis fière de mon fils. Il n’a pas encore réussi à changer le système financier mondial, mais il a réussi (pas tout seul) à diviser l’opinion publique sur la place de l’église dans la société britannique, à fermer St Paul et à faire démissionner le chanoine de St Paul qui pense que l’église ne devrait pas ou jamais recourir à la violence (et n’oublions pas qu’il n’y a pas de séparation entre l’état et l’église en GB), mais aussi à défier le système qui fait que les banques ont jusqu’ici bénéficié d’un régime plus que favorable, dans la city de Londres aux dépens des londoniens. Il ne s’agit pas d’un changement à l’échelle mondiale, mais les fondations de l’establishment britannique ici et maintenant sont ébranlées.
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