Les inégalités en éducation
Les inégalités liées à la question scolaire procèdent-elles de cette dernière ?
Non si l’on en croit l’Observatoire des inégalités : « L’école française est inégalitaire parce que la société l’est aussi. Et parce que le système éducatif favorise les plus favorisés. »[1]

Face aux inégalités sociales, le système éducatif ne peut pas tout.
Bourdieu affirme, par ailleurs, que le système scolaire : « est un des facteurs les plus efficaces de conservation sociale »[2]
Il n’est pas question d’occulter ni réduire les difficultés traversent l’Ecole et l’Université. Cependant, certains rapports ne servent qu’à instrumentaliser des dysfonctionnements réels ou supposés pour invalider les principes fondateurs de l’Ecole de la République avec, pour quelques uns, le dessein non dissimulé de la privatiser.[3]
Le constat, toujours entretenu, de la « crise de l’école » est loin d’être une nouveauté. Il perdure depuis la création de l’école de Jules Ferry. Pas question non plus de minimiser les critiques de ceux qui se dévouent pour améliorer l’école sur le terrain, « entre les murs » des établissements, au contact de publics d’élèves aux comportements divers, confrontés à des situations sociales d’exclusion.
L’avenir de notre pays se fonde sur la qualité de cet enseignement public et de l’investissement que la nation consacre à ce maillon essentiel de notre cohésion sociale.
D’où viennent donc ces inégalités scolaires ?
D’abord du milieu social d’origine[4].
De fait, certains, au nom du « libre choix » revendiquent de cultiver leur système élitiste financé par la puissance publique parce qu’ils considèrent l’égalité comme une injustice.
Pour les militants laïques, l’injustice c’est l’inégalité. C’est pour cette raison que nous revendiquons l’égalité en éducation, non celle des groupes ou des communautés mais celle des citoyens. Sinon, on introduit la différence des droits entre groupes et on dénature le concept de service public expression de l’égalité des citoyens et non des communautés.
La République devrait-elle financer et favoriser une école de la différentiation sociale ?
La République peut-elle financer et favoriser l’école privée des parents qui ne veulent pas mettre leurs enfants avec les enfants des autres dans l’école publique ?
La République finançant et favorisant l’entretien d’écoles privées dont elle n’a ni la direction, ni le contrôle ne fait-elle pas concurrence à sa propre école publique ?
La République finançant et favorisant, le dualisme scolaire n’alimente-t-elle pas là, structurellement, la machine à fabriquer de l’inégalité scolaire ?
L’académicien , évêque d’Angoulême partage ce constat « Il n’y a par conséquent, semble-t-il, plus de sens pour que l’Eglise occupe ce terrain, sinon au risque de se laisser instrumentaliser au service d’une logique de privatisation, en mettant à la disposition des privilégiés des systèmes privés de soins, d’éducation, etc., dont l’inspiration catholique n’est plus qu’une source lointaine et finalement inopérante qui risque de produire un contre-témoignage. [5] »
L’association Chrétiens pour une Église dégagée de l’école confessionnelle (CEDEC) s’interroge aussi : « Les chrétiens ont-ils besoin d’un milieu scolaire protégé ? Où sont aujourd’hui 95 % des enfants d’immigrés, de chômeurs ? Où sont les boursiers et la plupart des enfants en grande difficulté intellectuelle ? » Le CEDEC milite également pour que la laïcité soit « de plus en plus un facteur essentiel de paix civile. Elle reste le meilleur moyen de lutter contre les intégrismes[6]. » Les militants du CEDEC disent « se sent(ir) humiliés quand l'Eglise catholique contribue, par le comportement des responsables de cette école confessionnelle, à appauvrir l'école publique - école de la Nation »[7]
Dans le domaine de la santé tout le monde s’accorde pour déclarer : « On ne peut pas dignement comparer le fonctionnement et les objectifs de santé publique d’un hôpital public avec les objectifs d’un établissement à but lucratif ... Les hôpitaux publics ne choisissent ni leurs patients ni les pathologies qu’ils traitent. ».
Pourquoi diable, ne pourrait-on pas, alors que les situations sont parfaitement analogues, remplacer « santé » par « éducation » ? Les écoles publiques, elles non plus, ne choisissent ni leurs élèves, ni les pathologies sociales qu’elles affrontent. De plus, elles seules assument la mission essentielle du « vivre ensemble » de la République et se chargent d’accueillir tous les enfants quelles que soient leur origine et leurs conditions sociales. L’école républicaine laïque est l’affaire de tous, garante du respect de la liberté de conscience des citoyens en devenir.
La mixité sociale n’est pas un obstacle à la réussite scolaire. Ceux qui réussissent dans l’enseignement privé réussiraient dans l’enseignement public. Les élèves du privé sont pour la plupart issus de milieux favorisés non seulement d’un point de vue économique, mais aussi culturel. Les différences dans l’origine sociale des élèves des deux secteurs expliquent l’avantage des élèves du privé.
On sait que lorsque des élèves considérés comme mauvais, moyens et bons sont réunis dans les mêmes classes, c’est un puissant facteur de progrès pour les plus faibles. « La mixité scolaire est en ce sens un élément central de la diminution des inégalités sociales à l’école. »[8]
Certains promoteurs de l’école privée subventionnée récusent l’État qui éduque et les finalités de l’institution scolaire. L’école publique est plus malade de l’état de la société, que cette dernière n’est malade de son école. L’école n’est pas davantage responsable du chômage que des inégalités sociales ou des difficultés économiques du pays. La prétendue crise de l’école sert d’alibi à une mutation du système éducatif par la concurrence et le marché, dans une option libérale. À la clef, un transfert vers l’enseignement privé, présenté comme plus performant. Ses prétendues performances résultent de la sélection sociale alimentée par financements publics sans les contraintes afférentes. Rappelons en effet que le service public d’éducation repose sur les principes de laïcité, d’égalité, de gratuité et de continuité. Principes auxquels l’enseignement privé confessionnel n’est nullement obligé de respecter.
L’opinion, confortée par une omerta de la plupart des responsables institutionnels sur le dualisme scolaire, a fini par s’habituer à cette approche exclusivement consumériste, au point de ne plus voir ce qu’elle a d’inapproprié à la situation que nous connaissons aujourd’hui : deux systèmes concurrents, entretenus tous deux par la République. Ainsi l'Etat finance directement sa propre concurrence au profit de diverses religions et groupes communautaires.
On individualise le rapport à l’école pour l’inscrire dans une logique marchande du parent-client maitre de sa présupposée « liberté de choix » pour imposer la demande du privé sur l’offre de service public par chèque éducation. Dans une gestion entrepreneuriale de l’éducation, la formation exclusive du travailleur éclipse celle du citoyen pour répondre aux exigences de l’économie.
La question scolaire est d’abord, avant tout, institutionnelle et idéologique.
« L'État a le devoir de former des citoyens » énonçait Condorcet, au nom de l’intérêt général et des valeurs communes, sans pour autant « créer une sorte de religion politique et violer la liberté », ce afin de préserver la liberté de conscience de chacune et chacun.
S’opposent aujourd’hui deux conceptions pour les uns, c’est la démocratisation par l’égalité en éducation qui doit « être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les citoyens ».
Pour les autres c’est l’individualisation du rapport à l’école au nom de la liberté de choix celle de l’entreprise appliquée à l’enseignement pour former une élite.
Il y a donc ceux qui défendent au nom de la « liberté d’enseignement » contre ceux qui érigent l’égalité en principe : « l'égalité d'éducation n'est pas une utopie ; que c'est un principe » [9]…« L'égalité, messieurs, c'est la loi même du progrès humain ! C’est plus qu'une théorie : c'est un fait social, c'est l'essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons…. Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d’avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle, et l'égalité des droits est pourtant le fond même et l'essence de la démocratie. ».
La citoyenneté, la mixité sociale, dans un contexte de crise économique, constituent de nouveaux défis, de nouveaux enjeux de société pour l’école publique laïque. Certains en cherchant à commercialiser l’éducation la soumettent à des conditions de fortune pour restaurer l’inégalité dans l’accès au savoir.
Eddy KHALDI
[1]« Pourquoi l’école française est-elle si inégalitaire ? » 29 novembre 2011 : Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. http://www.inegalites.fr/spip.php?article1478.
[2] « L'école conservatrice Les inégalités devant l'école et devant la culture » par Pierre Bourdieu
[3] L’OCDE conforte cette logique : « La structure actuelle du système éducatif considérée comme archaïque, est appelée à disparaître au profit de structures plus souples, largement soumises aux lois du marché aussi bien dans leurs débouchés que par leur fonctionnement interne. L’institution scolaire proprement dite n’aura plus qu’à assurer la socialisation des jeunes et à leur inculquer, non plus essentiellement des savoirs, mais des compétences devant garantir leur employabilité et leur adaptabilité ».
[4] « Un fils de cadre supérieur à quatre-vingts fois plus de chances d'entrer à l'Université qu'un fils de salarié agricole et quarante fois plus qu'un fils d'ouvrier et ses chances sont encore deux fois supérieures à celles d'un fils de cadre moyen » Bourdieu, P. et Passeront, J. C. Les héritiers. Editions de Minuit, 1964.
[5] Claude Dagens, Evêque d’Angoulême, Académicien. « Pour l’éducation et pour l’école. Des catholiques s’engagent, » Odile Jacob, 2007.
[6] Extrait de la lettre adressée par le CDEC (Chrétiens pour une Église dégagée de l’école confessionnelle) à l’épiscopat en juin 2000 après le congrès des APEL en mai 2000 à Vannes.
[7]Communiqué du 16 aout 2010 des « Chrétiens pour une Eglise Dégagée de l'Ecole Confessionnelle » (CEDEC)
[8] « Le fait d’être entré dans l’école de masse constitue en soi un élément de réduction des inégalités : beaucoup d’enfants de milieux défavorisés atteignent aujourd’hui des niveaux scolaires élevés, et ils sont les premiers de leur famille à connaître cette situation. » Éducation & formations – n° 66 – juillet-décembre 2003 . “L’École réduit-elle les inégalités sociales ? »
[9] Jules Ferry Conférence populaire du 10 avril 1870
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