Les lanceurs d’alerte, un défi pour la moralisation de la vie publique
La loi de moralisation de la vie publique d'août 2017 créera-t-elle une confiance renouvelée entre citoyens et politiques ? Le doute est permis, car rien n'y est dit quant à la protection des lanceurs d'alerte. Or, depuis l'affaire Snowden, leur rôle apparaît central, tant dans le contrôle des dérives du pouvoir politique que dans celui des rouages démocratiques. Le 10 mars 2017 à l'Ageca (organisme associatif), à l'initiative notamment du collectif citoyen Index Orion nous avons organisé une conférence-débat intitulée Lanceurs d'alerte et moralisation de la vie publique.
Le débat s’est engagé autour de 3 célèbres lanceurs d’alerte Stéphanie Gibaud auteur de « La femme qui en savait vraiment trop », Philippe Pascot auteur de « Pilleurs d'Etat » et Philippe Rizzoli auteur « La mafia de A à Z ». Autant de témoignages qui ont mis en évidence l’exigence à légiférer sur la protection des lanceurs d’alerte, afin d'appliquer une quelconque loi de moralisation de la vie publique aussi efficace soit-elle.
Vers un statut pour les lanceurs d'alerte
Leurs analyses se sont tour à tour concentrées sur l'évasion fiscale, la corruption dans la vie politique et les organisations mafieuses. Stéphanie Gibaud a révélé l’évasion fiscale de l’UBS, Philippe Pascot le manque d’exemplarité de certains élus et Fabrice Rizzoli les collusions entre le crime organisé et la sphère légale.
La France n’est pas encore un modèle de transparence. Dans son étude, Corruption Perception Index 2016 (25/01/2017), Transparency International l'a classée en 23ème position sur 176 pays au regard de l’indice de corruption, derrière l’Estonie et juste avant les Bahamas. L'une des solutions découlerait d'une meilleure protection des lanceurs d'alerte. Selon, la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste […] de la loi ou du règlement ». Or, Comme l’a montré Olivier Leclerc dans son ouvrage Protéger les Lanceurs d’alerte La démocratie technique à l’épreuve de la loi, Exégèses, les lanceurs d’alerte ont un rôle clé dans la révélation d'actes illicites.
La loi Sapin 2 avait posé un premier jalon, sans toutefois définir de statut des lanceurs d’alerte, puisque ces derniers devaient en référer au Défenseur des droits, ainsi qu'à leur supérieur hiérarchique. Certes, la nouvelle loi de moralisation de la vie publique vise à préserver l'intérêt général par des mesures significatives, telles la fin de la réserve parlementaire ou encore des emplois familiaux. Cependant, l’abandon du casier judiciaire vierge des élus est une insuffisance. Cette loi n'éteindra pas d’elle-même la « culture du secret », qui par trop présente dans la vie publique de notre pays est l'une des premières sources de défiance à l'égard des politiques. A ce jour, seuls quelques journaux ont porté au grand jour les turpitudes de certains élus, ce qui est insuffisant pour en assurer un véritable contrôle.
Faire circuler la parole démocratique, afin d'apporter la transparence
La rénovation des pratiques politiques était l'un des grands engagements d’Emmanuel Macron ; lui qui avait su identifier et cristalliser les aspirations des Français à cet égard, lui qui disait « vouloir remettre les Français au cœur de la politique ». Pourtant, la nouvelle loi n'envisage aucun contre-pouvoir : la société civile en l’occurrence. Or, laisser aux politiques le soin de se contrôler eux-mêmes serait pour le moins étrange. Eux n'hésitent pas à instaurer une surveillance parfois étroite de leurs administrés, à l'instar du nombre exponentiel de radars sur nos routes. Mais en l'absence de lanceurs d'alerte qui contrôlera les politiques, sinon eux-mêmes ?
Il est regrettable que le monde politique n'ait pas pris l'initiative de créer ce statut. Lors de notre conférence, en présence du collectif Anticor, plusieurs outils ont été étudiés, afin de prémunir les lanceurs d'alerte contre 3 grands périls : licenciement, procès, intimidation. Certains exemples étrangers sont ici éclairants. Aux Etats-Unis, après le scandale Enron, la loi Sarbannes Oxley a permis d'avancer. Dans les entreprises américaines, elle permet de mettre en cause toutes personnes physiques ou morales qui ne respecteraient pas les normes fédérales. Différents outils, comme des hot lines, des rétributions financières ou des promesses d'immunité sont mis en œuvre.
Les lanceurs d’alerte qui dénoncent les évasions fiscales à l’instar des Panama papers peuvent être rétribués, en fonction du montant de la fraude récupérée par l’Etat. Cette rétribution paraît toutefois excessive et peu applicable en France. Le Conseil de l'Europe préconise une approche fondée sur la liberté d'expression grâce à un soutien financier, sous forme d'avance de frais de procédure.
La loi aussi bonne soit-elle ne répondra pas à elle seule à l'exigence de moralisation de la vie publique. Le pouvoir de porter la parole démocratique en toute quiétude doit être donné aux lanceurs d'alerte ; car, ils incarnent le meilleur canal de circulation de cette parole, qui porte en elle la transparence, ainsi que la confiance renouvelée.
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